Elle persiste et elle signe. Avec sa motion déposée le 6 mars dernier au Conseil national, l’élue du Parti libéral-radical (PLR) vaudoise Jacqueline de Quattro charge le Conseil fédéral d’introduire la notion de contrôle coercitif dans le Code civil et le Code pénal.
Encore peu connu en Suisse, ce concept a été théorisé par des chercheurs aux Etats-Unis dans les années 1970. Il a ensuite été diffusé par le sociologue américain Evan Stark à partir de 2007 pour penser les violences conjugales. Il désigne un schéma de comportements répétitifs dans la sphère domestique qu’un agresseur met en place pour dominer sa victime et obtenir son obéissance.
Contrairement aux violences physiques ponctuelles, le processus est insidieux et cumulatif. Et il prive peu à peu la victime de son autonomie ainsi que de son libre arbitre. Pour y parvenir, l’agresseur intimide, contrôle, humilie, surveille les déplacements, les fréquentations ou le contenu du téléphone portable de sa victime.
Pays anglo-saxons à la pointe
Pionniers en la matière, l’Angleterre et le Pays de Galles ont criminalisé le contrôle coercitif par le Serious Crimes Act en 2015, suivi de l’Ecosse en 2018, où celui-ci est passible de 14 ans d’emprisonnement. Dans une loi adoptée en 2023, le Parlement belge a également consacré cette notion dans son droit. En France, l’Assemblée nationale a adopté fin janvier – en première lecture – la proposition de loi permettant d’inscrire dans le Code pénal cette notion.
Et en Suisse? Le Conseil fédéral traîne des pieds. Interpellé par la conseillère nationale Jacqueline de Quattro en 2024, il avait estimé que «l’ajout de dispositions pénales supplémentaires sanctionnant la ‘violence domestique’ entraînerait des redondances et des problèmes en matière de concours d’infractions». Et que «le Code pénal ne présentait pas de lacunes».
Une réponse qui est loin de satisfaire la Vaudoise, qui, lorsqu’elle était conseillère d’Etat, s’était chargée de porter en 2017 la loi contre la violence domestique avec un principe: «Qui frappe part!» Interview.
Jacqueline de Quattro, concrètement, qu’est-ce que le contrôle coercitif?
C’est l’ensemble des contraintes et des pressions psychologiques exercées sur la victime par un tyran domestique. Cela concerne principalement des femmes, mais aussi des hommes et, malheureusement, de nombreux enfants. Ce schéma de pressions psychologiques précède souvent les violences physiques. Le sanctionner serait un bon moyen d’éviter que les violences ne s’aggravent. Je rappelle qu’en Suisse, en moyenne, une femme meurt toutes les deux semaines sous les coups de son compagnon ou de son ex-compagnon. On compte déjà 12 féminicides depuis le début de l’année…
Pourquoi être revenue à la charge avec cette motion début mars? A la suite de votre interpellation en 2024, le Conseil fédéral avait estimé que le Code pénal ne présentait pas de lacunes en matière de violences domestiques...
Car la situation a évolué depuis. J’ai pu échanger avec de nombreux experts qui m’ont confirmé qu’il existait véritablement une lacune en droit en Suisse et que d’autres pays européens se mobilisaient. Et au mois de janvier, l’Assemblée nationale en France a adopté en première lecture une proposition de loi visant à inscrire le contrôle coercitif dans le Code pénal. Car il a des conséquences graves, en particulier sur les enfants. En Suisse, ces derniers ne sont pas suffisamment pris en considération.
Est-ce vraiment utile d’incriminer spécifiquement le contrôle coercitif en Suisse, alors que certaines infractions comme la contrainte, les injures, ou les menaces sont déjà punies par la loi?
Il n’existe pas d’infraction spécifique «violence domestique». Or, cette forme de violence doit être considérée dans sa globalité. Ce qui précède les coups n’est pas sanctionné pénalement: contrôle des fréquentations, critiques systématiques sur la tenue vestimentaire, surveillance des appels et des SMS, harcèlement ou dénigrement. Cela conduit à l’isolement social et ces actes constituent des atteintes graves à la liberté et aux droits fondamentaux des victimes.
Quels comportements précis devraient être pénalisés?
Un seul appel téléphonique surveillé n’est pas du ressort du contrôle coercitif. En revanche, si cela devient systématique, il faut que ce soit sanctionné. Cela permet de prévenir des actes plus graves et de mettre un terme à l’escalade de la violence. C’est un phénomène de société qu’il faut prendre au sérieux.
En Suisse, entre 2019 et 2024, seulement 11% des poursuites pour viol ont abouti à une condamnation. Comment prouver qu'on est victime de violences psychologiques, alors qu'il est déjà très difficile de prouver des violences physiques en justice?
C'est un défi, c’est vrai, mais le contrôle coercitif est une violence répétée et systématique. Des preuves peuvent donc être réunies, comme des messages, des captures d’écran ou des témoignages. Aujourd'hui, la violence domestique n'est pas traitée comme une infraction à part entière. Je n’ai pas de baguette magique, mais je souhaite doter les juges d’une boîte à outils afin qu’ils puissent mieux appréhender ce fléau.
Ne vaudrait-il pas mieux agir sur la prévention, faire un travail sur le terrain, former davantage la police et la justice plutôt que de renforcer l’arsenal législatif?
L’un ne va pas sans l’autre. C’est ce que nous avons fait dans le canton de Vaud lorsque j’étais conseillère d’Etat, avec l’introduction d’une loi pionnière contre les violences domestiques en 2017. Nous avions intégré tout un volet de formation, notamment pour mieux accueillir la parole des victimes et les prendre en charge de façon adéquate.
Votre motion a été cosignée par sept femmes. Vos collègues masculins s’en fichent?
Ce sujet met mal à l'aise. Beaucoup préfèrent ne pas en parler. Pourtant, tout le monde connaît au moins une victime de violences domestiques. En Espagne, une sensibilisation massive a permis une prise de conscience dans la société. En Suisse, nous devons briser ce tabou. J'ai choisi de réunir une femme de chaque parti pour montrer que ce n'est pas une question politique, mais une question de société. Ce combat doit être mené collectivement, sans clivage.