Après 1 an au pouvoir
Pourquoi Javier Milei n’a pas amélioré la vie des Argentins

Les politiques du président «anarcho-capitaliste» ont eu un coût social élevé, avec une hausse de la pauvreté et du chômage. A l’inverse, elles ont propulsé de 172% la bourse de Buenos Aires.
Publié: 20.01.2025 à 15:13 heures
Il y a 1 an, Javier Milei assurait que seul le capitalisme — avec le moins d'État possible — pouvait sortir le monde de la pauvreté. Or la pauvreté a progressé sous sa férule.
Myret Zaki

A la veille de son apparition au Forum de Davos, ce 23 janvier à 10h15, le président argentin, adepte d’un libertarianisme radical, est crédité par quelques médias pour avoir réussi à retourner en un an une économie argentine auparavant chaotique. Egérie de l’efficience d’Elon Musk, arrivé au pouvoir en novembre 2023, Javier Milei a été salué par Donald Trump pour son «job incroyable».

Invité à Davos l’an dernier, le chef d’Etat anarcho-capitaliste avait fait sensation chez les ultralibéraux lors de son premier discours le 17 janvier 2024 dans la station grisonne, alertant l’Occident du «danger» de tomber dans le «collectivisme» et le «socialisme», «qui ont toujours échoué à travers les époques» et ont «condamné l’humanité à la pauvreté, à la misère et à la stagnation». En revanche, avait-il souligné, «le capitalisme de marché et la libre entreprise sont un système supérieur et moralement juste», qui est «le seul instrument dont on dispose pour éradiquer la faim et l’extrême pauvreté sur la planète».

Pourtant, un an après, les recettes de Milei n’ont pas sorti les Argentins de la pauvreté. Elles ont eu des conséquences sociales néfastes, affectant en premier lieu les plus précaires et les retraités. En effet, les bilans admiratifs sur le «redressement à la tronçonneuse» éludent les effets qu’ont eus les coupes d’un tiers des dépenses publiques. Blick passe en revue le revers des politiques de Milei, sur la base des chiffres disponibles.

Crédité un peu vite pour la baisse de l’inflation

Avec l’arrivée de Milei, l’inflation annuelle en Argentine a baissé de 211% en 2023 à 118% en 2024. Et c’est la principale amélioration portée à son crédit. Or dans le même temps, l’inflation mondiale baissait aussi partout. Ce n’est donc pas une spécificité argentine. D’après le FMI, l’indice mondial d’inflation a reculé de 6,7% en 2023 à 5,8% en 2024. Ceci, grâce à la nette détente des prix mondiaux de l’énergie, et de la fin des disruptions des chaînes d’approvisionnement. 

L’impact de la baisse des matières premières, en particulier les prix du pétrole, du gaz, des denrées agricoles et des métaux, a été significatif sur les indices de prix dans le monde. Par ailleurs, suite à l’explosion de l’inflation en 2021 et 2022, les banques centrales avaient resserré leurs taux d’intérêt, ce qui a eu pour effet de juguler l’inflation en 2024. Créditer l’entier de la baisse de l’inflation en Argentine aux seules politiques de Milei revient donc à surestimer son impact.


Pour 2025, des prévisions optimistes indiquent que l’inflation argentine pourrait baisser de 118% à 25%. Mais la tendance, stable en décembre, montre qu’un tel objectif sera loin d’être aisé. Même si au niveau mondial, les attentes inflationnistes sont elles aussi à la baisse.

Indice mondial d’inflation: une détente généralisée

Statistiques de l’inflation au niveau global, avec prévisions jusqu’en 2029


Source : Statista

Détente des prix de l’énergie sur le marché mondial en 2024

Indice global des prix de l’énergie, à fin novembre 2024.

Sources : Fonds monétaire international, Réserve fédérale de St Louis.

Excédent budgétaire et effets collatéraux

Le président argentin est crédité, à juste titre, d’un retour spectaculaire à l’excédent budgétaire en 2024. C’est la première fois, depuis 14 ans, que les recettes du gouvernement de Buenos Aires dépassent ses dépenses. Le pays est passé d’un déficit de 2,9% du PIB en 2023 à un surplus de 0,3% du PIB en 2024. Toutefois, ce redressement s’est fait au prix de coupes agressives dans les services publics et d’une politique d’austérité drastique pour une majorité d’Argentins. L’ambition de Milei d’atteindre un excédent budgétaire de 1,3% du PIB en 2025 ne sera possible qu’au prix de coupes supplémentaires dans les dépenses.

Hausse de la pauvreté et du chômage

Globalement, en 6 mois, la baisse des salaires réels et de certaines prestations sociales ont entrainé plus de 5 millions d'Argentins dans la pauvreté. Le nombre de personnes vivant dans la pauvreté est passé de 42% fin 2023 à 52,9% mi-2024, un record sur 20 ans, avec une hausse du niveau d’extrême pauvreté (18% de la population n’arrivant pas à manger à sa faim). Au 4 ème trimestre 2024, le taux de pauvreté s’est stabilisé autour des 49,9%, mais son recul est lent. De nouveaux calculs pour le dernier semestre 2024 seront publiés mi-mars de cette année.

Un problème multidimensionnel

Des académiques mettent en garde contre une aggravation de la précarité dans les professions à bas revenus et contre le risque de voir s’installer une «pauvreté structurelle» liée au démantèlement de l’Etat. Cette pauvreté multidimensionnelle inquiète les chercheurs : les services publics ont été durablement rabotés, l’accès à des services sociaux réduit, et le pouvoir d’achat des consommateurs est frappé par un renchérissement des services de base tels que l’eau, l’électricité, le gaz et les transports, suites aux suppressions des subventions dans ces domaines.

Autre grand défi du gouvernement, stopper la fuite de cerveaux sans précédent qui bat son plein, les chercheurs voyant leurs salaires baisser constamment depuis des années, et se plaignant de la difficulté d'épargner, de devenir propriétaires ou de se projeter dans le futur.

La bourse au plus haut de tous les temps

Le dirigeant d’ultradroite a redressé sans conteste une chose: l’indice boursier de Buenos Aires. Les grandes entreprises ont été les principales gagnantes des politiques du libertarien, et l’envolée des actions en atteste. Sur 2024, l’indice affiche une hausse spectaculaire de 172%, qui peut être attribuée aux politiques du «fondamentaliste du libre-marché», ainsi que l’appelle Bloomberg, et à ses dérégulations agressives.

Retraités et fonctionnaires perdants

Toutefois, les conséquences sociales des coupes dans les dépenses publiques ne s’observent pas dans les indices. Mais elles sont tangibles. Les coupes les plus sévères ont ciblé les retraités, les salariés de l’Etat ainsi que les travailleurs du secteur de la construction. Les retraités ont subi un quart des coupes. La pension minimale, celle que touchent les deux-tiers d’entre eux, a chuté de 13 % en moyenne en 2024, tombant à peine au-dessus du seuil de pauvreté. Les personnes actives dans les travaux publics ont subi un autre quart des coupes.

Au niveau de l'emploi, là aussi, le score est moins brillant. Sans surprise, le taux chômage a progressé, passant de 5,7 % fin 2023 à 7,6% mi-2024, avant de refluer vers 6,9% fin 2024. 

Croissance mal distribuée

Certes, les indicateurs clé comme le PIB s’affichent au vert. En ce début d’année, l’Argentine a renoué avec la croissance. Elle est sortie d’une récession de deux ans. En septembre 2024, le PIB a progressé de 3,9% sur le trimestre. Le FMI et la Banque mondiale prévoient 5% de croissance pour le pays en 2025, puis 4,7% en 2026.

Un taux de croissance ne renseigne toutefois pas sur la répartition de celle-ci. Et c’est là que le bât blesse: sous la férule du gouvernement Milei, une montée des inégalités semble programmée. Ses mesures, tout en réduisant le déficit fiscal, réduisent les protections sociales des travailleurs et affectent les populations les plus vulnérables qui dépendent des aides d’Etat. 

Distribution du PIB, fiabilité des chiffres

En outre, l'éducation et la santé pourraient faire les frais de l’austérité, augmentant l’écart entre ceux qui peuvent accéder à des services privés de qualité et les autres. De même, la privatisation de secteurs comme l'énergie ou les transports peut en accroître la cherté, que subissent déjà les Argentins au quotidien.

Enfin, les statistiques économiques, dans ce pays qui avait agressivement manipulé ses chiffres de l’inflation sous le gouvernement Kirchner (2006-2015), sont à prendre avec précaution et à recouper avec d’autres séries d’indicateurs et d’études académiques.
Malgré la dureté des mesures d’austérité, Javier Milei conserve à ce jour le soutien de la moitié de la population argentine. Un sondage mené par Bloomberg en novembre indique que sa cote de popularité atteignait près de 47% en novembre.

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