21 ans au service d'Exit
«Je pousse à la vie, pas à la mort!»

Elle exerce une activité bénévole pas tout à fait comme les autres. Depuis 21 ans, Gabriela Jaunin aide les gens à mourir avec Exit, l’association d’aide au suicide assisté. Un sacerdoce? Non, une vocation. Nous l’avons suivie une journée. Récit.
Publié: 06.04.2025 à 06:03 heures
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Gabriela Jaunin est accompagnatrice chez Exit depuis bientôt 21 ans. Une activité bénévole atypique. Pour se ressourcer, elle peut compter sur la présence de ses petits-enfants, qu’elle chérit comme la prunelle de ses yeux.
Photo: Julie de Tribolet
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Alessia BarbezatJournaliste Blick

Ce matin, Gabriela Jaunin a fait le trajet depuis Châtel-Saint-Denis (FR) jusqu’à Genève pour rejoindre ses collègues à 9 heures tapantes. Dans son sac à main, des brioches pour tout le monde. La quinquagénaire aux yeux pétillants est une femme de petites attentions. Prendre soin, accompagner, rassurer, c’est une vocation pour cette ancienne préparatrice en pharmacie qui se rêvait infirmière.

Cette jeune grand-mère exerce une activité pas tout à fait comme les autres. Elle est accompagnatrice chez Exit, l’association d’aide au suicide assisté. Bientôt 21 ans qu’elle est présente bénévolement aux côtés de celles et ceux qui ont décidé d’en finir avec la vie. Un parcours qu’elle relate simplement, d’une voix toujours douce et posée.

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Bénévole durant dix ans à la Ligue vaudoise contre le cancer, elle y a accompagné des personnes en fin de vie dans des conditions qu’elle jugeait inhumaines. «C’est pour cette raison que je me suis inscrite chez Exit en 2004, explique-t-elle. D’abord comme simple membre. Je n’avais jamais imaginé devenir un jour accompagnatrice.»

Mais, la même année, Gabriela perd trois membres de sa famille. «Je les ai vus partir avec beaucoup de douleur. C’était terrible. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas mourir comme ça. C’est peut-être ce qui m’a incité à franchir le pas.» 

Des débuts éprouvants

Le premier accompagnement ne se déroule pas comme elle l’avait imaginé. Gabriela raconte qu’elle s’est rendue dans le canton de Fribourg chez une personne vivant seule, souffrant de sclérose en plaques. La vieille dame boit la potion létale qu’on lui tend et décède dans les minutes qui suivent. La police et le médecin légiste arrivent sur place – le suicide assisté étant considéré comme une mort non naturelle, le procureur doit également être averti avant que les pompes funèbres ne puissent enlever le corps.

Gabriela Jaunin prend une longue inspiration, se remémorant chaque détail de la scène. «Le fils de cette dame est arrivé. Il n’avait pas été prévenu par sa mère, il venait juste lui rendre visite. La police a dû le calmer, il était effondré. C’était effroyable. J’ai été vraiment choquée, je ne voyais pas Exit ainsi, cela ne correspondait pas à mes valeurs. Pour moi, il était inimaginable de ne pas prendre en compte les proches dans le parcours de fin de vie», confie-t-elle. Avant d’ajouter: «Dès que je me suis sentie prête, j’ai procédé aux accompagnements à ma manière et peu à peu l’inclusion des proches est devenue l’une de nos priorités.»

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On me fusillait du regard quand je rendais visite à des personnes dans les homes. J’étais considérée comme la 'méchante'
Gabriela Jaunin, accompagnatrice chez Exit
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Celle qui est aujourd’hui vice-présidente de la section romande de l’association, après en avoir assuré la coprésidence de 2018 à 2024, ne cache pas que les débuts ont été difficiles. «Je vomissais en rentrant à la maison les premières fois. Forcément, mon mari s’est inquiété. Il m’a dit que si cette activité me rendait malade, il valait mieux que j’arrête. J’ai dû entreprendre un véritable travail sur moi-même», avoue-t-elle.

Et puis, l’accueil qui lui était réservé dans les maisons de retraite aurait pu en décourager plus d’une. Pas Gabriela. «Il ne faut pas oublier qu’à l’époque le suicide assisté était encore un tabou dans notre société. On me fusillait du regard quand je rendais visite à des personnes dans les homes. J’étais considérée comme la 'méchante', mais ça m’était égal. J’aimais ce que je faisais.» 

Et de dessiner ses motivations: «Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le jour J, mais tout ce qui précède, le lien si spécial qu’on tisse avec la personne. A l’approche de la fin, on ne triche plus. On est dans la vérité. Nous, les accompagnateurs, nous sommes les derniers confidents.»

En 2004, la branche romande d’Exit a accompagné vers la mort 42 personnes. Un chiffre qui n’a cessé de croître pour bondir à 570 personnes en 2024, témoignant d’une évolution des mentalités sur la question. Une tendance qui s’observe aussi dans l’augmentation continue du nombre de membres depuis la création de l’association en 1982, atteignant aujourd’hui 38 800 inscrits en Suisse romande.

Un bénévolat pas comme les autres

Aider les autres à mourir est une activité qui ne laisse personne indifférent. «Certains amis m’ont tourné le dos. C’est comme ça, déplore-t-elle. Mon mari et mes enfants m’ont toujours soutenue. A mes petits-enfants, j’explique que j’aide des gens très malades. J’essaie de choisir les mots justes.»

Celle qui a été élevée dans la foi catholique et qui a même enseigné le catéchisme dans une autre vie a pris peu à peu ses distances avec la religion. «Il existe une croyance très forte qui voudrait que, si Dieu donne la vie, c’est à lui de la reprendre. Je le comprends, même si je n’y souscris pas.» Un jour, à Bulle, Gabriela Jaunin décide de prendre rendez-vous avec un curé pour en avoir le cœur net. Est-elle une mauvaise personne? «Il m’a rassurée. Dieu était là pour accueillir et non pour juger. Je suis sortie de l’église délestée d’un poids de 30 kilos sur mes épaules», raconte-t-elle, le sourire aux lèvres.

Le «kit de départ» contient les documents officiels, du Motilium (un antivomitif) et de la… sambuca, pour neutraliser l’amertume du pentobarbital, qui sera dilué avec de l’eau. L’accompagnatrice récupère la potion létale à la pharmacie, le jour du départ.
Photo: Julie de Tribolet

L’accompagnatrice avoue avoir toujours le sommeil léger à la veille d’un départ. «Je pense à la famille, à ce qu’ils ressentent. Quand j’arrive sur place, il y a beaucoup de larmes. Puis, quand la personne part, c’est un immense soulagement pour les proches. Je repars sereine.»

Son équilibre, elle le trouve dans de longues balades en forêt et surtout auprès de ses petits-enfants. Ils la surnomment Mamou. «Quand je rentre d’un accompagnement et que je vois mon petit-fils de trois ans me sauter dans les bras, la vie reprend son cours», dit-elle en glissant son téléphone dans son sac. 

Les tartelettes d’Odette*

Car l’heure tourne. Gabriela Jaunin met sa doudoune noire et file prendre le train, trottinant sur ses bottines à talons, direction Lausanne. Puis, elle monte dans sa voiture et roule vers une commune de l’est de la capitale vaudoise où la bénévole va rencontrer une candidate au suicide âgée de 78 ans, vivant seule dans une petite maison de campagne.

Gabriela dans le salon d’Odette*, une candidate vaudoise au suicide assisté. C’est la deuxième fois que les deux femmes se rencontrent.
Photo: Julie de Tribolet

Odette attend sur le pas de la porte celle qui va peut-être accélérer son passage de vie à trépas avec un grand sourire. L’équilibre un peu précaire, elle nous invite chez elle pour le «goûter». La sémillante grand-maman a mis les petits plats dans les grands et offre des tartelettes au citron et deux tartes aux pommes préparées le matin même. «Il n’y a rien de triste à parler de la mort!» assure-t-elle en servant le thé.

C’est la deuxième fois que Gabriela Jaunin rencontre cette senior atteinte d’une neuropathie, une affection du système nerveux. Lors de la première entrevue, elle lui avait détaillé les formalités administratives à effectuer pour enclencher le voyage vers la mort: la rédaction de directives anticipées, d’une lettre manuscrite demandant l’assistance au suicide, ainsi que l’obtention d’un certificat médical attestant de son état de santé et de sa capacité de discernement.

Elle lui avait également expliqué le déroulement précis de la procédure de fin de vie: de la prise de pentobarbital – un puissant barbiturique qui agit sur le système nerveux central, provoquant d’abord une somnolence, puis le coma, avant d’entraîner un arrêt respiratoire – à la venue de la police judiciaire, de la médecine légale et des pompes funèbres.

Pour Odette*, «il n’y a rien de triste à parler de la mort». Elle a même préparé le goûter pour recevoir l’accompagnatrice d’Exit.
Photo: Julie de Tribolet

Odette n’est pas prête à partir. Les symptômes de sa maladie sont encore «supportables». Elle se renseigne «au cas où», pour avoir «l’esprit serein». «J’ai peur de perdre la tête et de finir à l’EMS, comme ma mère qui y est restée onze ans. Ce n’est pas une jolie fin, j’ai envie de laisser un bon souvenir à mes proches.» Elle cherche Gabriela Jaunin du regard: «Elle est mon assurance tranquillité. Regardez-la, un vrai rayon de soleil! C’est magnifique de partir avec elle.»

En moyenne, sur dix personnes rencontrées, trois iront jusqu’au bout. Gabriela Jaunin les rencontre cinq à six fois. «Vingt fois s’il le faut. J’ai même une dame que je suis depuis dix-huit ans! Je le dis toujours: je suis une accompagnatrice qui pousse à la vie, pas à la mort!» 

*prénom d'emprunt

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