Rencontre avec les soldats de la Swisscoy à Pristina
«Soigner des camarades blessés, c'était l'horreur»

Les tensions entre la Serbie et le Kosovo ne cessent de s'intensifier. Les militaires engagés pour la troupe de la Kfor vivent la violence de près. Blick a visité leur quartier général.
Publié: 03.07.2023 à 06:22 heures
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Dernière mise à jour: 03.07.2023 à 09:31 heures
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Nous sommes accueillis par Xhetare Rexhaj, officier de presse et d'information, au siège de la KFOR à Pristina, avec en arrière-plan la célèbre Swiss House.
Photo: Levin Stamm
Levin Stamm

De l'extérieur, le quartier général de la Force pour le Kosovo (KFOR) à Pristina ressemble à une prison de haute sécurité. Il faut passer deux postes de garde et un contrôle de sécurité pour franchir les barrières de barbelés. Ce n'est qu'alors que l'on découvre la vraie nature de la plus grande base des troupes d'intervention de l'OTAN dans le plus jeune Etat des Balkans. «Camp Film City» est une véritable ville au sein de la capitale kosovare: cafés, salons de coiffure et boutiques d'électronique donnent l'impression d'une rue tout à fait normale... s'il n'y avait pas tous ces hommes et ces femmes en uniforme militaire.

Nous sommes accueillis en suisse allemand. L'officière de presse et d'information Xhetare Rexhaj du 48e contingent de la Swisscoy est originaire de Schaffhouse. La trentenaire accompagne Blick au quartier des groupes d'intervention helvétiques. L'ambiance est détendue, les militaires prennent leur café du matin sur la terrasse de la fameuse Swiss House. «Un lieu de retraite important pour reprendre son souffle quelques instants», explique Xhetare Rexhaj.

Des statistiques controversées

Dans la situation actuelle, les troupes de la Swisscoy ont effectivement besoin de souffler un peu. L'ambiance n'a jamais été aussi tendue depuis la déclaration d'indépendance du Kosovo il y a 15 ans. Dans le nord du pays, la cohabitation pacifique des deux groupes ethniques serbes et kosovars appartient au passé depuis avril. Les électeurs et politiciens serbes ont boycotté les élections dans quatre localités à minorité kosovare. Les candidats d'origine albanaise ont été investis malgré un taux de participation de seulement 3,5%.

La police kosovare a assuré l'investiture des nouveaux maires par la force – et la situation a dégénéré. Le 29 mai, 31 soldats de la KFOR venus de Hongrie et d'Italie ont été blessés, selon les médias. D'autres blessés sont à dénombrer parmi les manifestants serbes et les membres de la police kosovare. Aucune victime n'est par contre à déplorer dans les rangs de la Swisscoy. Les militaires suisses se retirent systématiquement en cas de débordements et laissent le champ libre aux contingents d'autres nations.

Un soldat de la KFOR rencontré par Blick à l'aéroport parle cependant de plus de 90 militaires blessés. Beaucoup d'entre eux sont en colère contre les responsables politiques qu'ils accusent d'être à l'origine de l'escalade – ils auraient exposé les forces de sécurité à un danger qui aurait pu être évité. Outre ce militaire de la KFOR, un collaborateur de l'ONU a mentionné les mêmes chiffres.

Certains des Suisses engagés dans la Swisscoy ont vécu de près les suites des débordements. Xhetare Rexhaj conduit Blick au centre médical que la Suisse partage avec l'Autriche. Il est dirigé par Steffi Beeler, originaire du canton de Schwyz. Elle se souvient du jour où certains des soldats de la KFOR ont été transportés par voie aérienne de la petite ville de Zvecan, au nord du pays, au quartier général pour recevoir des soins médicaux d'urgence. Le contingent helvétique a amené les blessés des hélicoptères au centre d'urgence de la KFOR et a participé à leur traitement.

La Swisscoy a été largement saluée de tous côtés pour son soutien, mais Steffi Beeler déclare également: «S'occuper de camarades blessés a été une expérience traumatisante pour beaucoup d'entre nous. C'était l'horreur.» Après plusieurs entretiens individuels et de groupe, les participants ont largement digéré ce qu'ils ont vécu. Steffi Beeler ajoute: «Maintenant, nous sommes encore plus conscients de ce que cela signifie d'être en mission dans une zone de tension.»

«Les gens veulent de la normalité»

En tant que soldats au camp de Film City, il est facile de perdre le contact avec le monde extérieur: se mêler à la population pendant leur temps libre est en effet interdit pour les soldats de la KFOR.

Parmi les rares personnes qui quittent presque quotidiennement le quartier général de la KFOR, il y a Christoph Lisibach de Winterthur. Il est en mission pour l'équipe de liaison et de surveillance, patrouille dans les villages environnants autour de Pristina et rencontre de nombreuses personnes, des chefs d'entreprise aux simples paysans.

Christoph Lisibach ne rapporte que de bonnes nouvelles de ses interactions avec les habitants: «Presque tous ceux que nous rencontrons sont satisfaits de notre présence. Les Serbes peuvent être plus froids envers nous.» Lui et son équipe ne ressentent guère le conflit dans le nord: «Tout se passe pacifiquement. Les gens ici veulent surtout retrouver la normalité.»

Bientôt une augmentation des effectifs?

Le Kosovo est encore loin de la normalité, du moins pour le moment. Le Premier ministre Albin Kurti et le président serbe Aleksandar Vucic se sont rendus à Bruxelles la semaine dernière pour des entretiens avec l'UE. Mais les deux dirigeants ont refusé de se rencontrer directement, rendant une désescalade actuellement improbable.

Une fin imminente de la présence internationale au Kosovo n'est pas non plus envisagée. C'est également l'avis du colonel Raoul Barca, commandant de contingent, lorsqu'il reçoit Blick dans son bureau. Un portrait de la ministre de la Défense Viola Amherd est accroché au mur. Raoul Barca voit la prolongation de l'engagement de la Swisscoy par le Parlement suisse il y a deux semaines, jusqu'en 2026, comme une preuve de la valeur du travail accompli par la Swisscoy au Kosovo: «Cela montre que notre travail est apprécié.»

Une augmentation des effectifs est-elle à venir? Actuellement, 195 militaires sont engagés dans la Swisscoy. Cependant, le Parlement a accepté d'augmenter l'effectif de 30 militaires si nécessaire. Raoul Barca commente sèchement: «Étant donné la situation actuelle, nous aurions des missions utiles pour 30 personnes supplémentaires.»

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