Le président du PLR Suisse Thierry Burkart voulait permettre aux pays occidentaux de pouvoir réexporter le matériel de guerre suisse dont ils disposent. Mais le conseiller aux États socialiste Daniel Jositsch s’y est opposé: «Si on n’est pas du côté du 'bien', on aide forcément le 'mal', l’agresseur», a-t-il déclaré lundi passé. «Mais c’est une idée qu’il faut pouvoir supporter, quand on est un pays neutre.»
Et au socialiste de tonner dans la salle: «Si vous ne voulez pas de cela: allez-y, modifiez la Constitution fédérale! Lancez une votation populaire!»
Ainsi, la demande de Thierry Burkart a été rejetée. Laissant un goût d’amertume au grand parti bleu: mercredi, les libéraux-radicaux ont donc fait en sorte que le Conseil national rejette une proposition similaire, en provenance du PS cette fois. Cela montre que les positions à l’intérieur même des partis varient sur le sujet. On sent que la Suisse lutte pour sa neutralité… et perd quelque peu de son calme légendaire.
En effet, pendant les trois dernières décennies, personne ne s’est vraiment soucié de cette question de neutralité — ni en Suisse, ni à l’étranger. Puis, la Russie a attaqué l’Ukraine. Le Conseil fédéral a refusé de prendre des sanctions contre le Kremlin, malgré les sollicitations ukrainiennes, car cela aurait été contraire au principe de neutralité helvétique.
Le monde a alors crié au scandale. Et le Conseil fédéral a finalement plié l’échine, en sanctionnant ce qu’il pouvait sanctionner sans perdre complètement son historique tradition de vue.
La neutralité, c’est la Convention de la Haye?
Mais avec la mise en œuvre des sanctions viennent les complications et les controverses. Faut-il constituer une task force à cet effet? La Confédération applique-t-elle réellement ces mesures, et devrait-elle figer les fonds de tous les oligarques? En plus de ces questions, toujours pendantes, la pression de nos voisins européens n'a pas tellement faibli.
Autre question importante: la Suisse doit-elle ou ne doit-elle pas autoriser la réexportation en Ukraine d’armes qu’elle avait autrefois vendues à l’Allemagne, au Danemark ou encore à l’Espagne? Si nous autorisons ces transferts, pourrons-nous encore nous qualifier de pays neutre?
C’est sur ce point que les esprits s’échauffent actuellement à Berne. Les parlementaires, de la gauche à la droite, rivalisent de propositions pour expliquer comment les livraisons d’armes pourraient être compatibles avec le principe de neutralité. Notamment parce qu’il s’agit, de base, du domaine du commerce.
Le problème, c’est que cette question n’est pas assez précisément régie par le droit international. C’est du moins ce qu’affirme Thomas Cottier, professeur émérite en droit économique international: «La Convention de La Haye de 1907 sur les droits et devoirs des États neutres n’en parle pas.»
En effet, le traité stipule seulement que les pays neutres ne peuvent pas faire la guerre en tant que telle, et doivent traiter tous les belligérants de manière égale. C’est pourquoi, selon Thomas Cottier, invoquer la Convention de La Haye pour justifier le refus de la réexportation d’armes ne fait pas vraiment sens. Et au professeur d’ajouter que «le droit international a évolué depuis 1907.»
L’historien Sacha Zala partage l’analyse de Thomas Cottier. «En droit international, la neutralité ne signifie au fond pas grand-chose de plus que le fait de ne pas faire la guerre», assure-t-il. C’est pourquoi il existe en Suisse une distinction entre le droit de la neutralité, qui correspond à la description ci-dessus, et la politique de la neutralité. C’est cette dernière que critique l’historien suisse, affirmant qu’«avec la politique de neutralité, on peut justifier tout et son contraire.»
Un concept à géométrie variable?
Le principe de neutralité ne figure pas en tant que tel dans la Constitution fédérale de 1848. Mais la Suisse l’a toujours employée comme un outil visant à préserver son indépendance. Aujourd’hui, à l’image de précédentes périodes de crises dans l’histoire, ce concept est au centre des débats publics. Et la confusion est palpable: «Tout le monde a sa petite idée sur ce que signifie vraiment la neutralité», soupire Thierry Burkart.
D’où aussi la pression sur la Confédération pour afficher une ligne directrice claire. Elle est l’instance suprême en termes de politique extérieure. N’est-ce donc pas à elle que revient, au final, la responsabilité de fixer un cap?
Mais on dirait que le Conseil fédéral ne fait guère plus que de se référer à la neutralité, à chaque intervention du Parlement au sujet des réexportations. Vendredi, les sept sages ont fait savoir, sur la question des armes, qu’ils souhaitaient s’en tenir à la pratique actuelle, et ne pas autoriser de transferts de matériel de guerre. Cela au motif que «le Conseil fédéral s’en tient aux valeurs de la neutralité suisse.» Le PLR a immédiatement critiqué cette déclaration, la qualifiant de «non-décision».
Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis avait essayé de faire autrement. Au printemps dernier, il avait présenté l’idée d’une neutralité «coopérative». Un «concept» qui permettrait une collaboration plus étroite avec des organisations comme l’OTAN. Mais Ignazio Cassis l’a rendu public sans en informer les autres conseillers fédéraux. Ceux-ci ont ensuite rayé l’idée de la liste.
Neuf Suisses sur dix pour la neutralité
Une chose est sûre: la pression étrangère sur la Suisse ne cessera pas de sitôt. La Confédération doit se positionner de manière plus claire. Trois options semblent s’offrir à nous.
D’un côté, certains veulent ancrer et graver le principe de neutralité armée dans le sens strict du terme dans la Constitution (à l’image de l’UDC).
De l’autre, il y a ceux qui prônent une neutralité dynamique, modulable, flexible. Qui permettrait, par exemple, une attitude plus stricte envers l’agresseur et une collaboration plus étroite avec l’agressé. Cela correspondrait à l’idée de neutralité «coopérative» qu’essayait de faire émerger Ignazio Cassis.
Ou alors, la Suisse pourrait tout simplement dire adieu à la neutralité, comme l’a récemment fait la Suède. Après tout, «la neutralité est un moyen», affirmait à l’époque Pascal Couchepin, «elle n’est pas une fin.» Une option qui n’enchante pas vraiment la population. Les sondages le montrent: Neuf Suisses sur dix veulent que la Suisse reste neutre.