Wattwil, dans le canton de Saint-Gall. Dans le Toggenburg, pour être plus précis. Nous sommes dans un vieil immeuble collectif à la façade en bardeaux bleu clair. Faezy Mohammed y vit avec sa femme Ali Shadia et leurs cinq enfants: Haydar (15 ans), Hala (13 ans), Ali (9 ans), Youssef (4 ans) et Aileen (8 mois). La plus petite dort sur le canapé, blottie dans une couverture rose. Elle est nourrie par un tuyau dans le nez. Car, comme son frère Youssef, elle souffre d'un défaut génétique.
La famille vit en Suisse depuis sept ans. Avec sa première femme, la mère de ses trois plus grands enfants, Mohammed avait décidé en 2013 de quitter sa Syrie natale, déchirée par la guerre civile. «Nous voulions offrir un meilleur avenir à nos enfants», explique le père de famille. Sa femme, alors enceinte, est morte lors de leur périple en Grèce. Mohammed et les enfants ont réussi à gagner la Suisse.
Moins d'aide sociale que les Suisses
La fuite face à la guerre civile n'est toutefois pas considérée comme un motif d'asile, c'est pourquoi la famille est «admise provisoirement». L'aide sociale qu'elle reçoit est inférieure au taux normal. Le logement et l'assurance maladie sont payés par les services sociaux. Mais au-delà des quelque 2000 francs alloués la famille, elle est laissée à son propre sort.
Si l'on en croit le Conseil fédéral, elle devra bientôt faire avec encore moins. Les étrangers qui ne viennent pas d'un pays de l'UE verront en effet leurs allocations sociales réduites pendant trois ans «afin de créer des incitations à une meilleure intégration professionnelle», explique un texte publié par la Chancellerie.
Il s'engage bénévolement - et espère obtenir un stage
Selon Tina Peschko, de l'Entraide Protestante Suisse (EPER), ne pas vouloir travailler n'est que rarement la raison pour laquelle les étrangers en Suisse restent à l'aide sociale. «En quinze ans de métier, je peux compter ces cas sur les doigts d'une main», dit-elle.
Elle accompagne Mohammed dans le cadre du programme «Heks Visite Ostschweiz», qui procure régulièrement aux personnes bénéficiant de l'aide sociale des missions dans des organisations à but non lucratif. Mohammed est par exemple chauffeur bénévole dans un service de transport pour personnes âgées ou handicapées. Actuellement, il est à la recherche d'un stage pour se réinsérer dans la vie professionnelle. Sans succès jusqu'à présent, malgré de nombreuses candidatures.
Il n'a jamais assez pour acheter de nouveaux vêtements
«J'ai toujours peur de ne pas pouvoir nourrir mes enfants», dit Faezy Mohammed dans un entretien à Blick. Sa famille est reconnaissante du soutien qu'elle reçoit en Suisse et d'y être en sécurité. Mais elle ne peut pas vivre de manière autonome. L'intégration se révèle être une tâche difficile. Les anniversaires des enfants, la participation à la vie associative, les excursions: «Tout coûte de l'argent, explique Faezy Mohammed. Nous achetons des vêtements d'occasion, il n'y a jamais assez pour en acheter de nouveaux.»
«L'intégration coûte de l'argent», confirme Tina Peschko. Même l'intégration dans le marché du travail. Pour les personnes à l'aide sociale, l'accès à un emploi rémunéré est difficile pour de nombreuses raisons. Il faut commencer par des mesures de formation et la promotion des compétences linguistiques. Le soutien lors du processus de candidature est également essentiel.
«En réduisant l'aide sociale, on ignore cette problématique fondamentale et on aggrave de plus en plus la situation de vie des personnes concernées, et donc leur capacité d'intégration», s'indigne-t-elle. La modification telle que proposé par le Conseil fédéral sera probablement contre-productive, croit-elle.
Projets du Conseil fédéral largement critiqués
Elle n'est pas la seule à le penser. Les projets du Conseil fédéral sont mal accueillis. Promouvoir une meilleure intégration des personnes concernées en réduisant les fonds sociaux est «irréaliste et cynique», estime le PS. Les Verts sont convaincus que cette réduction est anticonstitutionnelle. Les deux partis soulignent en outre que le potentiel d'économie, de l'ordre de 3 millions de francs au total, est faible.
Les critiques émanent également des cantons. La Conférence des directrices et directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) déplore notamment que la Confédération intervienne ainsi dans la compétence principale des cantons, car ceux-ci sont responsables de l'aide sociale. Les villes et les communes mettent également en garde contre des «décisions arbitraires».
Seuls l'UDC et le Centre saluent le paquet de mesures. Selon l'UDC, une part importante de l'augmentation des coûts de l'aide sociale est due aux personnes issues de l'immigration. Le Centre estime qu'il est juste d'appliquer un taux de soutien plus bas à l'aide sociale pour les personnes originaires de pays tiers. Mais seulement pendant les trois premières années.
L'EPER lance une pétition
Selon l'EPER, cela ne suffit pas. L'organisation demande au Parlement, par le biais d'une «pétition pour une aide sociale équitable», lancée mercredi, de «garantir à toutes les personnes un soutien approprié dans les situations de détresse».
«L'aide sociale est utilisée abusivement comme instrument d'une politique migratoire restrictive et ne peut plus remplir ses tâches de garantie du minimum vital et d'intégration sociale», estime Evelyn Stokar, collaboratrice juridique de l'EPER. «L'aide sociale, dit-elle, doit prendre en charge toutes les personnes en Suisse.» Des personnes comme la famille Mohammed de Wattwil. En cas de coupes budgétaires, ce sont surtout les enfants de ces familles qui en pâtiront, selon Tina Peschko.
(Adaptation par Jocelyn Daloz)