Une heure et treize minutes, au mieux trois-quart d'heure, pour parcourir 2,8 kilomètres. Les CFF visent-ils le titre de transporteur le plus lent du monde?
La situation fait rager dans le Nord vaudois. Les villages d'Essert-Pittet et d'Ependes (VD) ont perdu la ligne de train qui les reliait, auparavant, en trois minutes. Le nouvel horaire CFF, entré en vigueur le 15 décembre, a multiplié ce trajet par minimum 15.
Zéro bus entre les deux
Un peu de géographie: les deux communes sont situées entre Chavornay et Yverdon. Depuis Essert-Pittet, il faut désormais repartir en arrière, vers Chavornay, pour attendre au bas mot 35 minutes avant d'embarquer à bord d'un train pour Ependes.
Autre option, partir direction Yverdon, où il faut attendre une heure avant d'à nouveau repartir en arrière. La situation semble totalement absurde. Surtout lorsqu'on sait qu'il n'existe aucun bus pour relier les deux villages.
Dur à avaler pour les locaux
Replaçons le problème à son échelle. «Les CFF nous ont dit qu'on avait à peine 80 passagers par jour, tous trajets confondus, indique le syndic d'Ependes, Christian Bavaud. Mais c'est tout de même embêtant. On s'inquiète aussi de n'avoir qu'un seul train par heure pour Yverdon, on en aurait préféré deux, pour les pendulaires notamment.»
Alors certes, la problématique est micro-locale en comparaison au réseau CFF, le plus dense au monde. Mais il s'agit d'un choix qui impacte la vie des locaux. Si l'on ne peut pas conduire, ni parcourir 2,8 km à pied, impossible dorénavant de se rendre au village voisin rapidement pour y voir des amis ou de la famille.
Une petite gare «bien utilisée»
«C'est vrai que nous avons une diminution des prestations alors que partout ailleurs, elles sont augmentées, déplore Dominique Vidmer, municipal à Chavornay, ancien syndic d’Essert-Pittet où il habite. On était déjà très fâché de ne pas avoir la cadence à la demi-heure pour Yverdon ou Lausanne, à l'instar de la petite gare de Bavois qui est juste avant Chavornay.»
L'élu constate d'une part que la gare de son village de résidence, récemment rénovée, est toujours bien utilisée. «Que ce soit avec des clients du village, des villages voisins ou des visiteurs du pénitencier local», souligne Dominique Vidmer.
Une «politique un peu étrange»
«C'est une politique un peu étrange, s'étonne-t-il donc. On veut améliorer la mobilité à Orbe avec un projet au quart d'heure et on péjore les liaisons dans les petites communes qui doivent garder l'horaire à l'heure.»
D'autre part, Dominique Vidmer confie que le coup du «train en arrière» est déjà connu des jeunes de son village. «Ceux qui sont en formation sur Yverdon ont toujours pris le train pour Chavornay, qui repart en direction d'Yverdon, pour gagner un peu de temps quand même, vu que la cadence à la demi-heure n'a pas été mise en place», explique le Municipal.
3,4 millions de rénovations, pas d'arrêt
La région n'en est pas à sa première difficulté liée à un changement ferroviaire. Dernière en date, la gare de La Brinaz, entre Montagny et Valeyres-sous-Montagny.
Fraîchement rénovée pour 3,4 millions de francs, elle ne sera finalement pas utilisée entre 5h du matin et 21h. Une décision corrélée à l'horaire CFF 2025, indiquait cet été la chaîne Canal Alpha.
«C'est inadmissible»
Comme le pensent une partie des habitants, le Nord vaudois est-il le «grand perdant» du nouvel horaire? «Malgré les améliorations dans d’autres régions romandes, et pour la région de l’Ouest lausannois, que je salue, l’horaire 2025 a des répercussions directes sur le Nord vaudois», confirme la conseillère nationale socialiste Brenda Tuosto, également municipale de la Cité thermale.
L’exemple de la liaison entre les deux villages n’est pas anecdotique pour la Socialiste. «Passer de 3 à 46 minutes, sans bus de remplacement, est inadmissible, tonne-t-elle. Les CFF, comme les cars postaux, font partie du service public. Une petite commune devrait pouvoir bénéficier d'une desserte en transport public pour sa population», déplore l'élue.
La mobilité? Un «devoir» de la Confédération
Elle poursuit: «C’est un devoir de la Confédération et des Cantons d’offrir une couverture raisonnable, ou des bus de remplacements, surtout lorsqu’il y a une suppression de haltes ou un rallongement de temps aussi conséquent.»
Le vase serait-il sur le point de déborder dans la région? «Il faut comprendre que cinq haltes ferroviaires ont été supprimées: William Barbet, Champittet où se situe Pro Natura, la Haute École d’ingénierie et le Gymnase d’Yverdon, puis la halte à Valeyres-sous-Montagny, La Brinaz et Essert-sous-Champvent», liste l’élue.
L'énumération ne s'arrête pas là. «La ligne directe entre Bienne et Genève est supprimée. On avait une cadence à l'heure, maintenant, on a une rupture au niveau de Renens.»
Grosse mobilisation des villes
L'Alliance des Villes, qui réunit plus d'une trentaine de collectivités, s'est largement mobilisée pour défendre les intérêts de certaines communes face au nouvel horaire. «On a désormais six liaisons directes Yverdon-Genève, mais elles ne sont plus aussi rapides», glisse Brenda Tuosto.
Par ailleurs, les deux ICN entre Yverdon et Lausanne sont «une condition minimum» pour connecter la deuxième ville du canton à sa capitale. «Il est regrettable d’avoir dévié l'IC5 faisant Bienne-Genève, pour la cadence à la demi-heure, ajoute l'élue municipale. La ligne du Pied-du-Jura, notamment les liaisons entre Yverdon et Morges, était importante. Sur cette connexion, le temps de parcours est également doublé», finit-elle de recenser.
Une «politique de l'agonie»
En 2025, devoir se battre pour maintenir des lignes d’importance nationale est un «non-sens au vu des politiques climatiques que nous devons atteindre», estime la conseillère nationale. «Si l’offre en transport public est dégradée, les liaisons seront moins utilisées, ce qui fera diminuer les recettes et donc les rendre moins rentables. C’est une politique de l’agonie qui doit être évitée.»
Le syndic d'Ependes regrette aussi ces changements, à l'heure des efforts pour le climat. «On nous encourage à prendre le train, il y a de moins en moins de places de parking dans les grands centres, ce n'est pas idéal», résume Christian Bavaud.