Réchauffement climatique en Suisse
Le nombre d’oiseaux d’eau en hiver fond comme neige au soleil

La faune près des lacs suisses se modifie. En hiver, le nombre d'oiseaux d'eau a presque diminué de deux tiers ces 25 dernières années, révèlent de nouveaux chiffres. Les hivers sont désignés responsables. Est-ce grave? Des experts répondent.
Publié: 31.01.2023 à 06:21 heures
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Dernière mise à jour: 31.01.2023 à 10:56 heures
Photo: KEYSTONE
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Lauriane PipozJournaliste Blick

Cet hiver, vous l'aurez remarqué, il ne fait pas un froid de canard. Ce n'est pas nouveau. Et la température aurait aussi des effets sur nos amis à plumes. Selon de nouveaux chiffres de la station ornithologique suisse, située à Sempach, dans le canton de Lucerne, il semblerait que les oiseaux d'eau se fassent de plus en plus rares autour des lacs de nos pays. En cause: le réchauffement climatique.

Que se passe-t-il? Les bénévoles de la station suisse comptent chaque année depuis 50 ans le nombre de volatiles présents près des points d'eau suisses. Leur but: mettre en évidence les mouvements de ces animaux à long terme.

Or, une baisse notoire de ces anatidés — dont les représentants les plus connus sont les oies, cygnes et canards — a à nouveau été constatée cette année. Dans les détails, les goélands cendrés et fuligules morillons manqueraient particulièrement à l'appel.

Le fuligule morillon, ou canard morillon, est un canard plongeur de la famille des anatidés.
Photo: Marcel Burkhart pour la station ornithologique suisse

Les chiffres récoltés les 14 et 15 janvier derniers appuient cette tendance observée depuis la fin des années 1990, explique la station suisse. «Aux abords suisses du Léman, nous avons compté 22’000 oiseaux d’eau en 2023,contre 62’000 il y a 25 ans», dévoile Chloe Pang, porte-parole, à Blick. Les données du lac de Neuchâtel appuient également cette idée: 72'000 individus ont été recensés cette année, contre plus de 80'000 en 1997.

Des conditions idéales pour l'hivernage

Comment expliquer cette baisse drastique constatée? Comme les lacs suisses sont grands et qu'ils ne se pétrifient pas sous l'effet du gel, ils offrent en général des conditions idéales pour l’hivernage de ces bêtes à plumes, amorce notre interlocutrice. «Environ un demi-million de canards, mouettes, goélands et autres oiseaux d’eau d’Europe du Nord et de Sibérie parcourent jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres pour se rendre des eaux gelées du Nord vers la Suisse.»

Or, comme le climat se réchauffe, ils ont moins besoin de se déplacer, semblerait-il. Depuis la fin des années 1990, les effets du réchauffement climatique se feraient de plus en plus évidents, avance-t-elle. «Comme ces points d'eau restent de plus en plus libres de glace, ces animaux y trouvent désormais suffisamment de nourriture. On voit bien qu’ils sont de moins en moins nombreux à passer l’hiver chez nous.»

Au fond, cette diminution est-elle un problème? «En soi, non — mais elle illustre un effet d'autres phénomènes délétères, précise l'ornithologue Nicolas Strebel, responsable de l'unité situation de l'avifaune à la station ornithologique de Sempach. Comme le réchauffement climatique qui est, lui, un problème de taille.» Au bout du fil, celui qui a publié un article sur ces recensements l'an dernier précise que ces données, récoltées dans toute l'Europe depuis les années 60, soulignent avant tout une observation scientifique.

Un gage de qualité

Mais alors, concrètement, quel est le but de ces observations? «Cette collecte aide à montrer où se trouvent beaucoup d'oiseaux d'eau et quels milieux humides sont sous pression à cause de leur dégradation, explique Chloe Pang au nom du centre d'étude lucernois. Nous pouvons ainsi savoir où il est urgent de prendre des mesures pour les préserver.»

La communicante enchaîne: «Il s'agit d'un excellent indicateur de la qualité de l'environnement.» Les volatiles sont en effet plus faciles à inventorier que les insectes, par exemple. Si un grand nombre d'entre eux se trouvent dans un endroit, c'est qu'il se porte bien.

«Mais, à l'inverse, s'ils désertent ce cadre, il faut regarder de plus près», avertit le porte-parole. Le système aurait déjà fait ses preuves: en regardant les mouvements de ces animaux site par site, il serait possible de déterminer les raisons de leur comportement. Et, en cas de problème, de tenter de corriger le tir. «Les changements environnementaux ne sont pas nouveaux, complète Chloe Pang. Mais le problème est leur nouvelle rapidité. A cause de l'homme. Il est désormais beaucoup plus difficile pour les espèces de s'y habituer.»

Moins de canards au bord des lacs romands

Il faudrait agir rapidement pour restaurer les zones humides, confirme à Blick François Turrian, directeur romand de l'association suisse pour la protection des oiseaux Birdlife. Les endroits sauvages où l’on trouve de l’or bleu se font rares. Ce qui pose des problèmes de survie à beaucoup de volatiles. «Ils doivent aujourd'hui faire face à la disparition de près de 90% de ces zones dans notre pays, se désole-t-il. La plupart ont été détruites par drainage!»

Il ajoute que la sauvegarde de ces secteurs privilégiés peut aussi nous profiter directement. Ce sont de formidables puits de carbone, encore plus que les forêts, rappelle-t-il. Du gaz carbonique y est stocké. En y prêtant attention, on obtient un double bénéfice: «On préserve les conditions de vie des bêtes qui se plaisent chez nous et ce CO2 isolé permet de lutter contre la destruction du climat.»

Mais les oiseaux d'eau ne sont pas les seuls à payer la modification de leur environnement, martèle le scientifique. Celui qui se bat bec et ongles pour la biodiversité chez Birdlife depuis 2001 rappelle que cette dégradation a des effets encore bien plus dévastateurs sur l'ensemble de l'avifaune, c'est-à-dire l'ensemble des oiseaux d'un lieu donné, et de la biodiversité. En 2022, près de la moitié des espèces étaient en déclin, dénonçait un rapport de Birdlife International. «Et plus du 40% des oiseaux nicheurs sont aujourd’hui menacés en Suisse», souligne-t-il. Il faudrait donc gentiment commencer à se secouer les puces.

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