Mauro Poggia a été conseiller d'État en charge de la santé à Genève, de 2013 à 2023. L'élu du Mouvement citoyen genevois (MCG) a donc été chargé de la lourde tâche de faire respecter toutes les mesures sanitaires liées à la pandémie de Covid-19.
À l'heure où le variant Pirola infecte de plus en plus de monde, la crainte d'une nouvelle pandémie germe dans les esprits. Le candidat aux États et au National se confie sur son expérience, ce qui devrait changer, et l'influence des conspirationnistes.
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Monsieur Poggia, fort de votre expérience, pensez-vous que les ministres de la Santé arriveraient à faire accepter des mesures à la population, en cas de nouvelle pandémie?
Ça sera plus difficile pour les politiques de faire passer les mesures, mais ça ne veut pas dire qu’elles ne se justifieront pas. En revanche, si la population n’en veut pas du tout, cela ne sert à rien. Il faut éviter une guerre civile. Je remarque que l’acceptation d’une mesure dépend du degré d’angoisse. Si le virus fait des ravages, cela est d’autant plus facile de faire comprendre qu’il faut agir. Si une mutation du virus de la grippe aviaire devenait létale pour l’homme, il faudrait bien, à un moment, prendre des décisions. Idem si la vie des enfants était en jeu: tout le monde se sentirait concerné.
Faut-il s’inquiéter de nouveaux variants, si la population a plus envie de tourner la page que d’appliquer des règles d’hygiène?
Le vaccin est efficace contre les nouveaux variants. Chacun engage sa responsabilité individuelle, mais c’est un outil supplémentaire. Quand il n’existait pas, on a dû prendre des mesures coercitives, on ne pouvait pas dire aux gens âgés et aux personnes vulnérables de se débrouiller seuls. Notamment avant l’apparition du test antigénique, le but était d’éviter aux gens de se déplacer. En fermant les magasins, on a supprimé un but de déplacement. Nous ne le referions peut-être pas. Le vaccin permet d’éviter des arbitrages difficiles entre santé publique et économie.
Tout repose donc sur l’efficacité du vaccin?
Non, on a également appris de notre expérience. Aujourd’hui, nous serions plus pointus. La direction générale de la santé, à Genève, s’est particulièrement renforcée dans le domaine des maladies transmissibles. Elle suit en temps réel tout ce qui se passe dans le monde et se renseigne immédiatement sur la possibilité d’une arrivée d’un virus chez nous. La délégation du Conseil d’État à la protection de la population est là pour prévoir toutes les catastrophes, parmi lesquelles le retour d’un virus mortel. Nous n’aurions plus à réinventer ces cellules, l'expérience est acquise. Idem pour les applications de traçage. C’est surréaliste de repenser au début de la pandémie, lorsqu’on utilisait des tableaux grands comme des murs pour épingler les cas contacts et retrouver les foyers.
Vous êtes candidat au Conseil des États et au National. La collaboration entre Cantons et Confédération a-t-elle été efficace?
On a appris qu’il fallait être agile. La Confédération n’est pas un modèle propice à des situations de crise. Un État centralisé est plus efficace. Nous avons parfois sué, quand Genève a interdit les coiffeurs par exemple, et que les gens allaient se faire couper les cheveux dans le canton de Vaud. Finalement, nous avions raison puisque nos chiffres ont baissé. Cependant, le plus important dans une crise, c’est la flexibilité intellectuelle. Nous avons désormais un canevas, mais il y a toujours une part d’imprévu. La situation n'est jamais la même d’une crise à l’autre. Impossible de sortir une directive d’un classeur fédéral et de la suivre de haut en bas de la page.
Que faudrait-il améliorer de cette gestion de crise centralisée, peu habituelle en Suisse?
La Confédération doit avoir la poigne de réquisitionner ce dont la population a besoin. Il nous fallait de l’éthanol pour les solutions hydroalcooliques. Or Alcosuisse en a le monopole, la Confédération en a cédé tous les droits. Ils ne nous ont rien donné. Nous avons dû en acheter en Amérique latine. Mais à l’inverse, nous avons dorénavant des stocks de masques, ce qui permettra aussi de prendre des mesures moins contraignantes et plus rapides.
Que penser de l’influence des «conspirationnistes» dans le dialogue entre État et population?
Peut-être qu’aujourd’hui, on écouterait plus volontiers des voix discordantes, qui contesteraient des mesures? Mais elles demeurent une petite minorité. Parmi elles, il y a 10% de jusqu’au-boutistes, et 20% qui doutent raisonnablement. Ces gens véhiculent des informations contre lesquelles il est difficile de se battre, car ils utilisent des canaux parallèles. Durant la crise, j'étais le seul membre du gouvernement à essayer de leur répondre sur les réseaux sociaux, mais rapidement, je me suis retrouvé à copier-coller les mêmes réponses sur Facebook, parce que tout est toujours remis en question. Comme l’exemple des pays nordiques qui n’ont pas pris de mesures de confinement: leur taux de mortalité des aînés a été très important. Celui qui en fait peu est toujours considéré comme celui qui a raison par celui qui ne veut rien faire.
Les «anti-science» ont beaucoup accusé les politiques de mentir, puisque les recommandations changeaient. Eux aussi ont «l’expérience» du Covid-19 aujourd’hui, cela renforcerait-il leur discours?
On a commencé sans rien savoir! Dans un rétroviseur, on a l’impression que la pandémie, les mesures, tout ça a été très compact et rapide. Mais l’évolution des connaissances a été constante. Les scientifiques réalisaient au début des analyses sur la «survie« du virus, sur du tissu, sur du fer, sur du bois. Nous ne savions pas immédiatement qu’il se transmettait par aérosol. Nous avons changé la distance de sécurité au gré des connaissances scientifiques. Les politiques sont décidées en fonction des moyens technologiques et médicaux à disposition. À cela s’ajoute la létalité du virus et ses victimes potentielles. Quand nous avons cela entre les mains, nous les confrontons à la perception de la population et à son degré d'acceptation des mesures. Qui n’ont pas toujours grand-chose à voir avec la réalité.