Production d'énergie hydraulique
«Si les centrales prennent toute l'eau des poissons, ça sera la catastrophe»

Les cantons de montagne exigent des dispositions plus souples pour produire l'énergie hydraulique. Les scientifiques mettent en garde: si trop d'eau est utilisée et que rien n'est laissé aux poissons, cela sera une catastrophe pour la biodiversité.
Publié: 26.04.2022 à 12:18 heures
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Dernière mise à jour: 26.04.2022 à 12:47 heures
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La loi prévoit à l'avenir des prescriptions plus strictes pour de nombreuses centrales en ce qui concerne le débit résiduel.
Photo: Keystone
Camilla Alabor

Moins de pétrole et de gaz. Davantage d’énergies renouvelables produites à proximité. Quand il s’agit de définir à quoi devrait ressembler la production énergétique suisse de demain, la classe politique est unanime. Mais quand on plonge le nez dans les détails du dossier, les divisions surgissent. Notamment autour de cette question: qu’est-ce qui devrait avoir le plus de poids entre la production d’énergie propre ou… la protection de la nature. Car l’énergie hydraulique, source importante pour notre pays, n’est pas sans impact sur la deuxième.

Ce qui suit est un peu technique, mais facile à comprendre. La loi prévoit à l’avenir des prescriptions plus strictes pour de nombreuses centrales en ce qui concerne le débit résiduel. Il s’agit de la quantité d’eau qui ne s’écoule pas à travers l’installation, mais qui reste dans le ruisseau afin que les insectes et les poissons ne se retrouvent pas soudainement à sec.

Les cantons de montagne s’opposent à cette disposition qui réduit la quantité d’énergie produite. Celle-ci entraînerait en effet une perte de deux à quatre térawattheures, une somme non négligeable sur un total de 40 térawattheures issus chaque année de l’énergie hydraulique. Fer de lance de cette opposition, le Grison Mario Cavigelli, président de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie, déclarait récemment à la «NZZ am Sonntag» qu’il était nécessaire de «revoir notre copie en matière d’assainissement des débits résiduels».

Le quatrième plus grand nombre d’espèces de poissons disparues

Cette déclaration a fait bondir certains les scientifiques. Dans un article de blog publié récemment, Florian Altermatt, professeur d’écologie aquatique à l’université de Zurich, rappelle aux côtés de deux de ses collègues que les calculs relatifs à la quantité d’eau résiduelle nécessaire à la préservation des écosystèmes reposent sur des «bases scientifiques».

Or cette quantité d’eau est trop faible en de nombreux endroits, déplore Florian Altermatt. «Aujourd’hui déjà, de tous les pays, la Suisse a le quatrième plus grand nombre d’espèces de poissons disparues», rappelle le professeur. En clair: si le débit résiduel n’est pas augmenté comme le prévoit la loi, la biodiversité risque de continuer à s’appauvrir. «Beaucoup d’insectes et de poissons vont mourir, surtout avec la hausse constante des températures».

Le biologiste fait remarquer que le Parlement avait déjà décidé en 1991 d’augmenter les débits résiduels. Toutefois, le législateur a repoussé la date de mise en œuvre aux calendes grecques: les prescriptions plus strictes ne s’appliquent en effet qu’à l’expiration de l’autorisation d’utilisation d’une centrale.

L’extension ne progresse guère

Jusqu’ici, les cantons de montagne sont restés sereins, mais l’opposition grandit, dès lors que l’application de la loi se rapproche. 60% des concessions expirent entre 2035 et 2050, ce à quoi il faut ajouter que la Suisse discute en même temps d’une augmentation de la production d’électricité indigène, notamment dans le contexte des objectifs climatiques de Paris.

Florian Altermatt se défend d’opposer la crise énergétique à la perte de biodiversité. «Nous ne devons pas opposer les deux phénomènes», demande le chercheur zurichois. «Nous devons réussir le tournant énergétique de manière qu’il y ait suffisamment d’eau résiduelle dans les ruisseaux. Une mise en œuvre de la législation existante sur la protection des eaux est donc importante».

Reste à savoir si ces arguments seront entendus par la classe politique. Car l’extension des centrales hydroélectriques existantes, une mesure qui serait nécessaire pour combler la menace de pénurie d’électricité, ne progresse pas non plus.

Le délai sera-t-il prolongé?

L’appel de la biodiversité sera-t-il pris en compte par les cantons de montagne? Rien n’est moins sûr. Président de la Conférence des cantons de montagne, Roberto Schmidt dénonce un «jeu à somme nulle». Le Sierrois estime que cela ne fait pas sens de réduire la production hydroélectrique existante «pour devoir ensuite compenser ce déficit par de nouvelles installations hydroélectriques».

Au final, il se pourrait que la commission de l’environnement du Conseil des Etats, qui se penche actuellement sur le sujet, prolonge le délai de mise en œuvre de la loi. Et repousse ainsi une fois de plus la protection des truites, des ombres et des aloses.

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