Presque impossible à éradiquer
Rien n'arrête cette espèce de fourmis invasive déjà présente en Suisse romande

Les fourmis Tapinoma Magnum envahissent l'Allemagne et la Suisse, provoquant des coupures de courants et menaçant la biodiversité. La lutte contre cette espèce est complexe car elle est presque impossible à éradiquer. Un expert qualifie cette évolution d'«inquiétante».
Publié: 03.06.2024 à 09:11 heures
1/8
Dans la ville de Kehl en Allemagne, les fourmis ont formé des super-colonies.
Photo: Stadt Kehl
RMS_Portrait_AUTOR_821.JPG
Sandra Meier

Elles se multiplient de manière fulgurante, provoquant des coupures de courant et se révélant presque impossibles à éradiquer: les fourmis «Tapinoma magnum» sèment la terreur. Kehl, une ville allemande de la province de Bade-Wurtemberg, a déjà tiré la sonnette d'alarme. Le site de la ville indique que les habitants nagent en plein désarroi. 

«C'est vraiment grave, je n'ai encore jamais vu ça», déclare un spécialiste de la lutte contre les nuisibles. Depuis l'automne dernier, les autorités locales ont tenté à cinq reprises de traiter les zones infestées en utilisant de la mousse chaude. Rien n'y fait, les fourmis continuent d'envahir par millions les lieux: elles se nichent dans les aires de jeux, les boîtes de distribution, et même à l'intérieur des domiciles. 

Les villes allemandes ne sont pas les seules à être touchées par ce fléau. «Il y a de nombreuses communes suisses qui sont infectées», déclare à Blick Laurent Keller, un expert en fourmis. Ce dernier a été professeur d'écologie évolutive à l'Université de Lausanne pendant près de 30 ans et a mené des recherches sur les insectes, en particulier les fourmis.

Rien que dans les environs de Lausanne, on recense actuellement une vingtaine de sites connus abritant cette espèce invasive. «Et elle va continuer à se répandre», avertit Laurent Keller, qualifiant cette évolution d'«inquiétante». En effet, il n'existe à ce jour aucune méthode efficace pour combattre cette prolifération.

A l'origine de coupures de courant

La Tapinoma magnum est en fait originaire du bassin méditerranéen. «Elles ont été introduites en Allemagne et en Suisse par le biais de jardineries», explique Laurent Keller. L'expert confirme également les inquiétudes venues d'Allemagne: cette espèce invasive pourrait être à l'origine de coupures d'électricité et d'Internet. «Elles aiment vivre dans un environnement confiné, elles apprécient donc par exemple les compteurs électriques», précise-t-il.

La Tapinoma magnum présente des caractéristiques distinctes des fourmis locales: elle tolère le gel et reste même active en hiver. Chaque nid peut abriter jusqu'à 350 reines, ce qui explique leur prolifération rapide. Lorsqu'elle est écrasée, cette fourmi dégage une odeur de beurre rance.

Nouvelle un peu plus rassurante; cette espèce ne présente pas de danger immédiat pour l'homme. Elle ne pique pas et ne transmet pas de maladie, mais elle peut mordre. Par contre, son impact sur la nature est préoccupant. Elle menace les fourmis indigènes et peut influencer la biodiversité locale. 

Cette espèce forme des supercolonies, où les ouvrières ne distinguent pas leur propre nid de celui du voisin, à l'inverse des fourmis locales qui ont des nids géographiquement définis. «Lorsque je lutte contre un nid invasif, il reçoit du renfort du nid voisin», explique Dr Bettina Landau, biologiste au département Développement et qualité de l'entreprise de lutte contre les parasites Desinfecta.

«Avec 50 nids, on a perdu»

Certes, Desinfecta n'a pas dû intervenir jusqu'à présent pour la fourmi invasive, mais les équipes se tiennent prêtes. «La présence de cette espèce est connue depuis 2021 et nos collaborateurs sont sensibilisés et formés», explique Bettina Landau. Si une fourmi très petite est trouvée en grand nombre, les collaborateurs collectent des échantillons pour les identifier. Il est crucial d'arrêter la propagation dès ses débuts. «S'il y a déjà 50 nids, on a perdu», avertit la biologiste. «Dans ce cas, l'objectif n'est plus l'éradication, mais la limitation des dégâts», précise-t-elle.

La difficulté de gérer cette invasion est illustrée par un incident en 2017 dans la commune vaudoise de Cully. Une crèche puis un cimetière avaient tiré la sonnette d'alarme en raison de l'invasion des Tapinoma magnum, qui s'était étendue sur 2,5 hectares. Une conseillère municipale avait alors déclaré que ces envahisseurs avaient «très probablement» été introduits par une plante en pot. Malgré l'intervention rapide des spécialistes, la pulvérisation d'insecticides s'est avérée décevante.

«On ne sait pas comment venir à bout de cette espèce de fourmis invasive. Lutter contre elle a un coût personnel et financier élevé. Et ce, pour des chances de succès incertaines», a souligné le biologiste Daniel Cherix lors d'une conférence en 2019. Cette situation met en lumière la complexité et le coût de la lutte contre cette espèce envahissante, que rien ne semble arrêter.

Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la