«Ich bin der Leutnant Alfred Luginbühl, Ich hab' die Schweiz verlassen...». ("Je suis le lieutenant Alfred Luginbühl, j'ai quitté la Suisse ...»). Le jeune Bernois passe la frontière jurassienne en 1942. L’Allemagne l'enverra jusqu’en Finlande, pour empêcher l’avancée des Bolchéviques.
Sur la base de notes transmises par un des fils d'Alfred Luginbühl, l'écrivain genevois Pierre Béguin retrace la vie de ce soldat dans un camp nazi en Carélie. Blessé, fait prisonnier, déporté dans un camp de prisonniers au sud de Leningrad, il s'évade, traverse toute la Prusse orientale pour rejoindre Berlin, avant de retrouver la Suisse quatre ans plus tard.
Le contexte de l'époque est particulier. «Beaucoup de personnes voyaient le véritable danger dans le communisme et pas dans le nazisme», a dit Pierre Béguin lors du Livre sur les quais à Morges début septembre dans un dialogue avec Daniel de Roulet.
Selon la logique d'Alfred Luginbühl, il y avait «une certaine dimension patriotique» à aller combattre sur le front russe. Comme déserteur suisse, il n'a pas pu rejoindre la Wehrmacht, mais la Waffen-SS l'a accueilli.
Alfred Luginbühl accomplira finalement un acte de rédemption. Le jeune Bernois va tuer un gradé SS. Lors de la retraite des troupes allemandes, ce sous-officier dit à ces hommes de tuer un maximum de villageois. Le Suisse s'opposera à cette demande et la dispute se terminera par la mort du sous-officier.
En Suisse, Alfred Luginbühl aura comme dernier métier secrétaire syndical à la FOBB (Syndicat du bois et du bâtiment, qui deviendra par la suite Unia après une fusion).
A partir des notes du lieutenant - très complètes sur certains points, très incomplètes sur d'autres -, Pierre Béguin a effectué son travail de romancier: il y a donc une part de fiction, en particulier la fin du livre. «Il ne dit rien non plus de son évasion», souligne Pierre Béguin.
Pour comprendre son acte, l'écrivain genevois s'est penché sur la psyché de cet homme, dont l'enfance a baigné dans la violence: placé en institution, dans la maison de correction des «Croisettes», dans le quartier de Vennes sur les hauts de Lausanne, il a souffert de mauvais traitements. «Son engagement militaire est une façon de canaliser la violence qui l'habitait», avance l'écrivain.
Mais loin d'une pose victimaire propre à sa génération, Alfred Luginbühl assume ses actes: «Quand bien même ses choix sont en partie déterminés par des causes qui lui échappent». Alfred Luginbühl n'aura pas pu lire cet ouvrage, car il est décédé avant que le projet n'aboutisse.
(ATS)