L’initiative populaire de février 2014 de l’UDC «Contre l’immigration de masse» n’en finit pas de provoquer des remous. L’application de la loi a terminé en queue de poisson politique avec la «préférence indigène light», appliquée depuis juillet 2018.
Pour favoriser celle-ci, le Secrétariat d’État à l’économie (Seco) a émis une obligation d’annoncer les postes vacants aux chômeurs suisses. Un rapport, sorti en juin dernier explique que cette mise en œuvre a eu lieu «efficacement et conformément à la loi». Mais de nombreux cantons ont des résultats insuffisants.
Cinq jours d’accès exclusif aux offres d’emploi
Les entreprises des secteurs à fort taux de chômage doivent déclarer leurs postes vacants aux Offices régionaux de placement (ORP). Pendant cinq jours, les chômeurs ont un accès exclusif aux offres d’emploi. Soit ils se présentent eux-mêmes aux entreprises, soit l’ORP envoie les dossiers des candidats aux employeurs.
Le rapport du Seco, intitulé «Monitorage de l’exécution de l’obligation d’annoncer les postes vacants», révèle de grandes différences entre les cantons. La Suisse romande a particulièrement profité de ce système: Fribourg et Vaud sont deux des quatre cantons Suisses y ayant le plus recouru (avec le Tessin et Soleure), promouvant un chômeur local pour près d’un poste vacant sur dix. Neuchâtel et le Jura suivent de près, Genève et le Valais ont un pourcentage correct.
Le tableau est plus critique en Suisse alémanique. Dans les pires cas (plusieurs cantons ruraux, Lucerne et Bâle-Ville), le placement des chômeurs sur les critères du Seco ne réussit même pas dans un cas sur 50.
Cantons avec emplois qualifiés
L’Office de l’économie, du travail et des affaires sociales du canton de Lucerne, un des bonnets d’âne, précise que l’étude décrit la situation en 2018/19, lorsque son équipe était encore petite et s’habituait encore à ce système. Un porte-parole admet des difficultés et explique qu'«après six mois, nous avons lancé une réorganisation».
Ce n’est pas la seule ligne de défense des cantons en queue de file. Uri répond qu’elle n’envoie un dossier que «si la personne convient de manière réaliste à l’emploi demandé».
Bâle-Ville, le canton urbain avec le taux le plus faible, donne aussi l’explication d’un démarrage faible de ses activités. Un porte-parole de l’Office de l’économie et du travail bâlois estime aussi que l’étude n’a pas tenu compte des caractéristiques du canton, qui requiert beaucoup d’emplois hautement qualifiés et peu de professions manuelles.
Les excuses pleuvent d’un canton à l’autre. Les auteurs du rapport ont d’ailleurs pris en compte dans leur analyse des facteurs tels que la composition des branches et secteurs d’un canton.
Difficultés dans l’hôtellerie
Du côté des entreprises locales, le bénéfice de cette mise en œuvre paraît déterminant. Que gagnent-elles réellement à annoncer leurs postes vacants?
Christian Hasler dirige l’hôtel wellness «Alexander & Gerbi» dans le canton de Lucerne. Le taux de chômage dans le secteur de la restauration et de l’hôtellerie est supérieur à 5% et il est tenu de signaler tous les postes vacants. «Nous avons mis dix postes au concours et n’avons pas été en mesure d’en pourvoir un seul avec un candidat issu d’un ORP.»
C’est moins dû à l’office de placement qu’aux demandeurs d’emploi, estime-t-il. «Laissez-moi vous donner un exemple. Une fois, j’ai reçu six dossiers pour un poste vacant. J’ai contacté cinq personnes et quatre ne m’ont pas répondu. Nous cherchions quelqu’un pour servir le petit-déjeuner et les horaires de la dernière personne n’étaient pas compatibles avec la garde de ses enfants.»
«Ce n’est pas le personnel dont nous avons besoin»
Christian Hasler constate que le travail difficile et les horaires irréguliers du secteur de l’hôtellerie et de la restauration découragent de nombreux demandeurs d’emploi. Selon lui, les conseillers des ORP doivent la jouer carte sur tables avec les chômeurs sur ce point. «Dans sa forme actuelle, l’obligation d’annonce ne sert à rien et demande beaucoup d’efforts.»
À Zurich, dont l’office de placement est assez bien noté, l’expérience est mitigée. Selon Benjamin Styger de l’hôtel Uto Kulm, l’ORP zurichoise répond à toutes les offres mais n’arrive que très rarement à placer du personnel.
«Les personnes sérieusement intéressées se présentent de leur propre chef, assure-t-il. «Elles n’attendent pas que l’ORP envoie leur dossier. L’idée de donner la préférence aux chômeurs nationaux est bonne. Mais d’après notre expérience, l’ORP n’arrive pas à nous envoyer le personnel dont nous avons besoin.»
La coopération devrait s’améliorer
Même son de cloche du côté des entreprises, qui trouvent le retour sur investissement de l’initiative plutôt «modeste». Que ce serait-il donc passé si les demandes de l’UDC après l’acceptation de l’initiative sur l’immigration de masse, plus drastiques encore, avaient été acceptées?
Edgar Spieler, responsable du marché du travail à l’Office de l’économie et du travail du canton de Zurich, tire un bilan positif mais reste prudent. Selon lui, la transparence a pris en importance sur le marché du travail grâce à cette initiative. «Les demandeurs d’emploi dans les professions à fort taux de chômage ont plus facilement accès à des emplois adaptés», analyse-t-il aussi.
Il admet qu’il y a eu quelques problèmes de démarrage au cours des premières années, «des deux côtés». Mais il est convaincu que la coopération entre les ORP et les employeurs va continuer à s’améliorer.
Les prochains rapports montreront si c’est le cas, et si permettra de réduire concrètement le chômage et l’immigration, ses buts initiaux.