Plein de remords, les soignants se confient
«Attacher les résidents me déchire le cœur»

Dans les EMS, de nombreuses personnes souffrant de démence sont enfermées derrière des barrières de lit, attachés avec des sangles ou «tranquillisées» à coup de médicaments. Soignants et syndicats dénoncent le manque de personnel et un rythme effrené.
Publié: 26.08.2024 à 15:59 heures
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Dernière mise à jour: 26.08.2024 à 16:02 heures
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L'affection aide à lutter contre l'agitation en cas de démence.
Photo: IMAGO/Zoonar
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Vanessa Mistric

«Souvent, après une journée en maison de retraite, je rentre chez moi frustré car j'ai l'impression de ne pas faire mon travail correctement», regrette Reto M.*. Cet homme de 61 ans fait partie des soignants qui ont contacté la rédaction de Blick après que Blick a rapporté qu'en Suisse, des milliers de résidents âgés dans les EMS sont encore empêchés de se déplacer de façon autonome, étant notamment attachés par des sangles de fixation.

Dans certaines maisons de retraite, plus d'un pensionnaire sur cinq subit cette pratique. Plus de la moitié des personnes souffrant de démence sont «tranquillisées» à l'aide de psychotropes dans les maisons de retraite et de soins – bien que les spécialistes s'accordent sur le fait que cela est rarement nécessaire.

Plusieurs soignants racontent aujourd'hui à Blick qu'ils utilisent ces mesures de restriction de la liberté pour éviter des situations dangereuses, comme des chutes ou des excès de violence, mais qu'ils doivent en parallèle lutter contre leur mauvaise conscience. Ces professionnels admettent qu'il existe de meilleures solutions dans de nombreux cas, mais disent manquer de temps en raison du rythme effréné de leur métier. Les informateurs veulent rester anonymes, par peur de rompre le secret professionnel et de perdre leur emploi.

Attachés par manque de temps

Les spécialistes confirment que les soignants se sont souvent retrouvés face à un dilemme moral. Ils utilisent généralement les ceintures, les grillages et les médicaments calmants non pas avec de mauvaises intentions, mais surtout parce qu'ils sont dépassés. Une pratique qui, selon Christina Schumacher, directrice adjointe de l'Association suisse des infirmières et infirmiers (ASI), pourrait être évitée: «On peut se passer de presque toutes les mesures limitatives de liberté si l'on dispose d'un personnel suffisant et suffisamment bien formé.»

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«Tu es responsable de douze résidents atteints de démence dans le service du matin, à deux. Tu n'as pas le temps de dire un mot gentil. Tu vas de l'un à l'autre, tu exerces une pression pour que les soins aillent vite.»
Reto Müller, infirmier
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Viviane Hösli, responsable du personnel de santé au Syndicat des services publics (SSP), fait également état de collaborateurs surmenés qui, souvent par manque de temps, ne savent pas comment agir différemment dans des situations difficiles et sont alors rongés par le remords.

Reto Müller, infirmier, décrit une situation classique que vivent les soignants: «Tu es responsable de douze résidents atteints de démence dans le service du matin, à deux. Tu n'as pas le temps de dire un mot gentil. Tu vas de l'un à l'autre, tu exerces une pression pour que les soins aillent vite. Cela provoque toujours une résistance, car les résidents ne sont pas des robots. Beaucoup se défendent physiquement. Alors tu regardes sur la liste des médicaments si tu peux administrer des psychotropes.»

Pour les personnes en institution qui se montrent très violentes en raison de problèmes psychiques, le personnel a souvent peu d'alternatives dans les situations dangereuses, explique Reto Müller. «Mais pour la plupart des personnes atteintes de démence, il suffit de rire avec elles et d'écouter leur histoire de vie. Elles deviennent alors plus calmes et sereines, et il n'est pas nécessaire d'utiliser des sangles de fixation ou des psychotropes.»

Des situations évitables

Il y a environ six ans, Reto Müller s'est occupé d'une résidente d'environ 80 ans dans un EMS à Bâle. Le soignant la décrit comme «une personne calme et douce» qui, une ou deux fois, s'est rebellée contre un soignant et a jeté des objets par terre. Cet événement l'a conduite à être constamment immobilisée à l'aide de psychotropes, la rendant apathique dans son lit. «Au bout d'un moment, j'ai remarqué qu'elle était à nouveau plus alerte, qu'elle avait de la joie à vivre. C'est là que j'ai réalisé que nous avions oublié de lui donner des médicaments pendant plusieurs semaines. Malgré cela, elle n'a pas eu de problèmes», raconte l'infirmier. Il est convaincu qu'il n'aurait jamais été nécessaire de lui administrer des psychotropes.

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«S'il y a suffisamment de personnel et que quelqu'un est là pour veiller à ce que rien ne se passe, ces mesures ne sont en fait pas nécessaires»
Christina Schumacher, directrice adjointe de l'Association suisse des infirmières et infirmiers
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Reto M. décrit les conséquences que cela engendre pour lui et pour nombre de ses collègues: «Cela me déchirait de l'intérieur. Je ne peux plus assumer ce que je fais. En tant qu'infirmiers, on nous enseigne l'importance de la dignité d'une personne. Si quelqu'un refuse quelque chose, je ne peux pas simplement le forcer. On apprend à valoriser les gens, à s'occuper d'eux et à établir une relation de confiance. Mais il faut avoir du temps pour faire le travail.»

La directrice de l'ASI rapporte que les résidents sont souvent attachés par le tronc dans les salles communes pour éviter qu'ils ne se lèvent et ne tombent. «S'il y a suffisamment de personnel et que quelqu'un est là pour veiller à ce que rien ne se passe, ces mesures ne sont en fait pas nécessaires.»

Les autorités doivent augmenter la taille des effectifs

Selon Viviane Hösli du SSP, les soignants sont souvent seuls la nuit pour s'occuper parfois de 50 résidents, répartis quelquefois sur plusieurs étages. «Quand une personne déambule et qu'il faut aller la voir, on atteint vite ses limites. Lors de la réunion d'équipe suivante, on dit: c'est la troisième nuit où la personne a été "pénible". Et nous disons au médecin du home qu'elle a besoin de médicaments. Alors qu'il serait peut-être préférable de prendre brièvement un thé avec la personne et de bavarder un peu pour qu'elle puisse bien s'endormir.»

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«Les autorités et les responsables d'institutions pour personnes âgées devraient de toute urgence veiller à ce qu'il y ait suffisamment de personnel à disposition»
Bea Heim, présidente de l'Associations des retraités et de l’entraide en Suisse et ancienne conseillère nationale PS
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Selon la syndicaliste, les soignants eux-mêmes souffrent de ne pas pouvoir offrir des soins de qualité: «Beaucoup tombent malades psychiquement, s'abrutissent ou quittent la profession.» La responsable du SSP demande aux communes et aux cantons d'investir davantage dans le personnel et d'améliorer les conditions des soins.

C'est également ce que demande Bea Heim, présidente de l'Association des retraités et de l’entraide en Suisse et ancienne conseillère nationale socialiste: «S'il est vrai que dans les maisons de retraite et les EMS des personnes sont attachées, bloquées avec des barrières de lit ou sous sédation médicamenteuse parce qu'il n'y a pas assez de personnel, c'est absolument inacceptable». Les cantons, les communes et les propriétaires d'institutions pour personnes âgées devraient de toute urgence assumer leurs responsabilités et veiller à ce qu'il y ait suffisamment de personnel à disposition, soutient la politicienne. «Les droits humains sont valables pour tous, y compris pour les personnes nécessitant des soins et pour les personnes âgées.»

L'association des institutions pour personnes âgées et des soins Curaviva déclare: «Les mesures limitant la mobilité sont une thématique complexe et exigeante». La dignité et l'autodétermination doivent être particulièrement protégées. Entre-temps, on utilise moins souvent ces moyens qu'auparavant. De plus, cela se fait «toujours en tenant compte de la plus grande capacité d'autonomie possible, en collaboration avec les médecins traitants, les proches et les représentants légaux».

* Nom modifié

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