Pierre-Yves Maillard inquiet
«Ce mois de septembre sera celui de toutes les catastrophes»

Le 25 septembre, les Suisses décideront s'ils acceptent de faire travailler les femmes jusqu'à 65 ans et d'augmenter la TVA pour financer leurs retraites. Revigorés par les sondages, les opposants à AVS21 ne lâcheront rien jusqu'à la dernière minute.
Publié: 03.09.2022 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 03.09.2022 à 07:35 heures
«Quand j'étais gosse, un salaire d'ouvrier suffisait pour faire vivre une famille», se souvient Pierre-Yves Maillard.
Photo: Siggi Bucher
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Ne lui demandez pas comment se sont passées ses vacances: Pierre-Yves Maillard n'a pas arrêté. Fin juin, il prenait le dessus sur Roger Nordmann lors d'un congrès du PS Vaud où l'enjeu était surtout de ne mettre aucun des deux poids lourds du parti hors-course.

Une parenthèse, le temps de préparer l'avenir («PYM» vise donc le Conseil des États en 2023) et voilà l'homme fort de l'Union syndicale suisse de retour à son pain quotidien, la défense des salaires, plus que jamais sous pression de l'inflation.

«Je pourrais m'arrêter, mais les problèmes sont là. Et les gens me font confiance, nous assure le Vaudois. Par rapport à ce que j'ai vécu au Conseil d'État avec jusqu'à dix décisions par jour, c'est moins de stress.» Très bien, profitons-en pour aborder le pouvoir d'achat, thématique qui a rythmé la semaine sur notre site.

Trois Romands ont témoigné cette semaine dans Blick de leur détresse face à l’augmentation du coût de la vie. Qu’est-ce que cela vous inspire?
Quand on lit ces portraits, ça fait mal au ventre. Ce qui me fait peur, c’est que les choses pourraient encore s’aggraver ces prochaines semaines. Cela fait des mois que nous essayons de tirer la sonnette d’alarme et d’avertir que le mois de septembre sera catastrophique.

Pourquoi?
Parce que la hausse des primes d’assurance-maladie va représenter entre 2,5 et 3 milliards de francs de pression supplémentaire sur les familles. C’est une vraie catastrophe qui se cumule avec la hausse du coût de la vie. Il y aurait des solutions: indexer tous les salaires, augmenter immédiatement les réductions de primes LAMal et indexer à cette inflation record les rentes AVS. Mais pour l’instant, la réponse politique, c’est d’ajouter encore une hausse de la TVA de 1,4 milliard, que l’on nous propose le 25 septembre. C’est insupportable.

Un mot revient dans tous les portraits réalisés par Blick: un sentiment d’abandon de la classe politique.
Le Conseil fédéral fait comme si de rien n’était, en tout cas. Pour lui comme pour la majorité du Parlement, les primes-maladie et la TVA sont des impôts qui peuvent augmenter de manière régulière. Mais quand l’impôt concerne les hauts revenus ou les entreprises, ils veulent toujours les baisser. Avec l’augmentation de l’essence ou de l’énergie, c’est une concentration de catastrophes — et il faut évidemment encore ajouter les coupes dans les rentes AVS pour les femmes et les couples mariés du projet AVS 21. Dans tout cela, ce qui me choque, c’est la brutalité du message.

C’est-à-dire?
Lorsqu’une ancienne conseillère fédérale (ndlr: Eveline Widmer-Schlumpf) intervient dans la presse pour dire qu’une année de travail en plus, c’est une «émancipation des femmes», a-t-elle conscience de ce qu’elle dit? Elle reçoit une confortable rente de l’Etat depuis ses 59 ans et elle vient expliquer à une vendeuse qu’elle devrait «s’émanciper» au travail jusqu’à 65 ans…

Mais en tant que conseiller national, vous faites aussi partie de cette classe politique déconnectée du peuple…
En campagne tous les soirs en ce moment, je vois le décalage entre la réalité des gens et les discours dominants. Cela vaut aussi pour certains éditorialistes: il y a une couche de la population qui possède le pouvoir et qui parle aux autres de manière condescendante.
Il y a deux ans et demi, on applaudissait sur notre balcon les infirmières, ces «métiers essentiels» qui prenaient des risques en première ligne. Et comment on les remercie? On exige d’elles un an de travail en plus!

Trois portraits pour mesurer l'inflation

L’inflation. On ne parle que de ça depuis quelques mois. Commençons par les chiffres. «Le Temps» détaillait fin juillet l’analyse de Comparis et du Centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) sur le sujet. Selon leur calcul, la hausse des prix est de 1,4% sur une année, au premier semestre 2022. Pour la même période, le Secrétariat d'État à l'économie parle, lui, de 0,5%.

Conséquence: sans augmentation des salaires, le pouvoir d’achat des Suissesses et des Suisses plonge. Pour quels impacts humains? Afin de le comprendre, Blick développera cette thématique dans la semaine du 29 août au 2 septembre.

Première étape, des rencontres avec trois personnes au profil très différent: une travailleuse précaire valaisanne, une retraitée genevoise et un employé communal fribourgeois tout en haut de l’échelle salariale depuis cinq ans. Ces deux femmes et cet homme racontent leur quotidien, leurs choix, leurs factures, leurs doutes et leurs craintes face à l'envol du coût de leur vie.

L’inflation. On ne parle que de ça depuis quelques mois. Commençons par les chiffres. «Le Temps» détaillait fin juillet l’analyse de Comparis et du Centre de recherches conjoncturelles de l’École polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) sur le sujet. Selon leur calcul, la hausse des prix est de 1,4% sur une année, au premier semestre 2022. Pour la même période, le Secrétariat d'État à l'économie parle, lui, de 0,5%.

Conséquence: sans augmentation des salaires, le pouvoir d’achat des Suissesses et des Suisses plonge. Pour quels impacts humains? Afin de le comprendre, Blick développera cette thématique dans la semaine du 29 août au 2 septembre.

Première étape, des rencontres avec trois personnes au profil très différent: une travailleuse précaire valaisanne, une retraitée genevoise et un employé communal fribourgeois tout en haut de l’échelle salariale depuis cinq ans. Ces deux femmes et cet homme racontent leur quotidien, leurs choix, leurs factures, leurs doutes et leurs craintes face à l'envol du coût de leur vie.

La gauche a fait de ce scrutin une bataille féministe avec pour slogan «65 ans, c’est toujours non». Cela marche en Suisse romande, mais beaucoup moins outre-Sarine…
On verra. Les débats commencent seulement. Mais votre question est intéressante: on évoque les clivages, entre les régions linguistiques et entre hommes et femmes. Or, pour moi, ce vote montre aussi une forte différence d’appréciation selon les couches sociales. Les bas et moyens revenus, celles et ceux qui ont commencé à travailler jeunes s’opposent à cette réforme, jusque dans l’électorat de l’UDC. Il nous faudra convaincre les autres d’être solidaires. Et la participation des milieux populaires va jouer un grand rôle le 25 septembre.

Donc si la gauche perd, ce sera parce que l’électorat n’était pas le bon? Un peu populiste, non?
Je suis un ardent défenseur de notre démocratie directe, la plus belle plus-value que notre pays possède face à l’étranger. Mais dans le monde du travail, beaucoup n’ont pas le droit de vote et la participation aux votations des milieux populaires est souvent plus faible. Il nous faut donc mobiliser. Et réveiller la solidarité que tout le monde ressentait face aux métiers dits essentiels pendant la pandémie!

Dans la presse alémanique, vous anticipez d’éventuels mouvements sociaux dans notre pays si les salaires n’augmentent pas. La Suisse va-t-elle devenir un pays de grève comme la France, dont elle se moque souvent pour cet aspect?
Prenez Swissport (fournisseur de services dans les aéroports, ndlr.), où les gens gagnent à peine 4000 francs pour des horaires atypiques qui impliquent des sacrifices dans la vie de famille. Alors que les affaires ont repris après le Covid, on rechigne à redonner rapidement au moins les mêmes conditions salariales qu’avant et on refuse les améliorations légitimes. Même chose sur les chantiers, où les ouvriers doivent endurer canicules et grands froids. À l’heure où la croissance économique est toujours au rendez-vous et que l’on vit en quasi plein emploi, on doit entendre que la compensation du renchérissement n’est pas garantie pour tous! Comment voulez-vous que cela ne suscite pas de la colère?

Certaines branches ont tout de même annoncé des augmentations de salaires, par exemple dans la restauration ou la coiffure.
Justement! Il s’agit de secteurs très touchés par la pandémie, où les marges ne sont pas énormes et les contraintes élevées. Si c’est possible dans ces cas-là, pourquoi pas ailleurs?
Espérons que les faits contredisent la propagande qu’on a entendue contre les hausses de salaire. Et que les banques centrales ne jouent pas la stratégie de la récession.

C’est-à-dire?
Il y a un consensus parmi les banques centrales pour augmenter leur taux afin de «combattre l’inflation». De là à pousser vers la récession et le chômage afin de faire pression sur les salaires, il n’y a qu’un pas.

Mais il y a aussi une pénurie de personnel, forte selon les secteurs — pour une fois, ce sont les travailleurs qui tiennent le couteau par le manche. En France, par exemple, on parle de «grande démission»…
C’est un phénomène qui joue chez ceux qui peuvent se permettre de changer de travail. Il est beaucoup moins présent dans les branches à bas revenus et aux horaires atypiques. Prenons un peu de recul: quand j’étais gosse, un salaire d’ouvrier permettait
de faire vivre toute une famille. On vivait modestement, mais c’était possible. Aujourd’hui, pour vivre décemment, il faut un salaire et demi et deux salaires dans les milieux populaires. Lorsque les écoles ont fermé pendant le Covid, on a vu les problèmes que cela crée lorsque les enfants de 5 à 12 ans sont laissés pour compte à la maison. La pression devient très grande sur les familles.

Pierre-Yves Maillard a été préféré à Roger Nordmann pour le Conseil des États, fin juin lors du congrès du PS Vaud.
Photo: Keystone

Voilà pour le constat, mais quelles solutions proposez-vous?
Le canton de Vaud a servi de laboratoire à large échelle avec les prestations complémentaires pour familles et le plafonnement des primes LAMal. En augmentant le revenu de certaines familles, on a permis d’en sortir beaucoup de l’aide sociale. Et cela n’a pas empêché le canton d’être largement bénéficiaire et d’avoir une forte croissance économique. Au contraire! Il va falloir développer de tels modèles avec les crises qui s’enchaînent. J’espère que la droite va le comprendre progressivement.

Est-ce un vœu pieux ou vous le pensez réellement? Les fronts politiques paraissent bien figés.
Il y a des choses qui se passent de manière souterraine, par exemple le contre-projet sur le plafonnement des primes-maladies dont on parlait plus tôt. La presse en a peu parlé, mais il s’agit d’une enveloppe de 2,3 milliards de francs pour réduire les primes qui a été votée par le Conseil national. Si le Conseil des États valide l’objet, alors on pourra dire que la politique est en train de se réveiller un peu.

Au National, les élus romands du PLR ont notamment fait pencher la balance.
Tout à fait. Et je relève aussi les récentes déclarations du président du Centre, Gerhard Pfister. Il a affirmé que la Suisse devait se préparer à une «baisse de sa prospérité». S’il le pense vraiment, alors tout le Centre doit joindre les actes à la parole et militer pour un renforcement des mécanismes de solidarité. Dans toute l’histoire de notre pays, c’est dans ces moments-là que nous avons soutenu les couches les plus faibles de la population. La création de l’AVS après la guerre en est un bon exemple.

Et la réforme de l’AVS, vous croyez encore à un refus?
Le dernier sondage montre une dynamique pour nous. Vous évoquiez un sentiment d’abandon dans la population, mais les gens ont davantage de pouvoir qu’ils ne le croient. Un triple non le 25 septembre, en comptant l’impôt anticipé, aurait l’effet d’un séisme politique. Les riches savent bien se mobiliser, ils occupent le champ politique. Les milieux plus modestes doivent aussi le faire, adhérer à un syndicat et aller voter. Même si tout pousse à l’individualisation, les réseaux sociaux en tête, il y a une votation décisive. Les Suisses doivent défendre leur pouvoir d’achat.


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