Pour se rendre à l'école, les jumelles Nisha et Amani, 14 ans, n'ont pas beaucoup de chemin à parcourir. Il leur suffit de passer de leur chambre du premier étage au rez-de-chaussée. Leur professeure, c'est leur maman Sandra, âgée de 53 ans. Celle-ci a spécialement aménagé une salle de classe pour ses enfants avec des postes de travail et de nombreux livres. Cela signifie que, jusqu'à présent, les deux jeunes Argoviennes n'ont jamais reçu le moindre bulletin de notes classique.
Comment cette maman de quatre enfants en est-elle venue à leur donner elle-même des cours? «Il me semblait que le temps de présence à l'école était trop élevé et que nous aurions eu ainsi trop peu de vie de famille», explique Sandra. Sa fille aînée avait en outre déjà appris à lire dès le jardin d'enfants. «Je trouvais alors dommage qu'elle recommence à zéro en première année», poursuit la maman.
Renoncer à une carrière
L'école à domicile a connu un boom sans précédent en Suisse ces dernières années, en raison notamment de la pandémie. De plus en plus de familles ont franchi le pas. Sandra, elle, enseigne à sa progéniture depuis douze ans. Elle a également donné des cours à ses jumeaux aînés - aujourd'hui âgés de 17 ans - jusqu'à la fin de leur scolarité obligatoire, il y a quelques années.
Enseigner soi-même à ses enfants est une tâche très exigeante. C'est pour cette raison que Sandra n'exerce plus son métier d'hôtesse de l'air que sporadiquement, le week-end. Selon la mère de famille, il faut renoncer à une carrière professionnelle si l'on mise sur l'enseignement privé.
Chaque matin, dès 8 heures, elle s'assoit dans la salle de classe avec ses enfants et étudie avec eux. En été, elle le fait aussi parfois sur la terrasse du jardin ou, avant la pandémie, à l'étranger. «L'après-midi, les enfants étudient généralement de manière autonome», complète-t-elle.
Selon elle, ses deux aînés n'ont pas connu de parcours scolaire plus difficile que les autres enfants en raison de l'école à la maison. Aujourd'hui, l'un d'eux fréquente même une école de renom. Pour cela, il a dû réussir l'examen d'entrée. Le frère fait de son côté un apprentissage de commerce dans une grande banque.
Un camp de classe malgré les cours à domicile
Le préjugé selon lequel les enfants qui suivent l'école à domicile sont plus renfermés sur eux-mêmes n'a qu'à bien se tenir. «En côtoyant d'autres familles dans le même cas, j'ai plutôt pu me convaincre du contraire», affirme Sandra. Ses enfants ne sont pas du tout isolés: les deux jeunes de 14 ans fréquentent les scouts, vont chaque semaine à l'entraînement de karaté et au cours de danse avec d'autres jeunes du même âge.
Dans le cadre de ces dernières activités, c'est plutôt la maman qui n'hésite pas non plus à demander de l'aide à ses enfants. Elle a aussi pris des cours de latin avec une de ses filles à l'école-club Migros.
Parfois, un étudiant enseigne tout de même la géométrie aux enfants. Plusieurs fois par an, ils se rendent avec d'autres «homeschoolers» dans un laboratoire de chimie pour y réaliser des expériences pendant une semaine. Pas question non plus de renoncer aux camps de classe. Avant la pandémie, ils partaient chaque année avec d'autres enfants dans la même situation pour des semaines thématiques.
Visite des autorités pendant l'enseignement
Selon Sandra, l'un des principaux avantages de l'enseignement à domicile est qu'il peut faire ressortir les points forts des enfants. Ainsi, ses deux filles de 14 ans ont récemment passé le «Cambridge First Certificate in English», en obtenant la meilleure mention. Elle peut en plus déterminer le rythme d'apprentissage individuel et traiter un sujet en s'assurant qu'il soit bien assimilé.
Une fois par an, l'inspection scolaire rend visite à la famille. A cette occasion, on vérifie si la mère respecte le programme scolaire. De plus, le canton d'Argovie exige que la mère demande l'avis de ses enfants au moins une fois par an pour savoir s'ils souhaitent rejoindre l'école classique. Nisha et Amani se montrent très claires. «Rien ne nous manque ici», s'exclame-t-elle à l'unisson.
De nombreux cantons n'autorisent toutefois pas ce type d'enseignement si l'un des parents n'est pas un pédagogue qualifié. La famille argovienne ne comprend pas cela: «Ma tâche est tout autre que celle d'une maîtresse d'école», explique Sandra. Elle ne fait que transmettre la matière, s'évitant ainsi d'autres tracasseries comme les réunions de parents ou le suivi d'élèves en difficulté.
De là à espérer que cette façon de faire comble le manque d'enseignants dans le pays, il y a un pas que l'on ne se risque pas (encore?) à franchir.
(Adaptation par Thibault Gilgen)