La Fête de la musique à Lausanne impose-t-elle des quotas genrés à ses participants? C’est du moins ce que son formulaire d’inscription — disponible en ligne jusqu’au 31 janvier pour les musiques actuelles — laisse penser. Entre le nom du groupe et la catégorie musicale, les musiciens qui souhaitent participer doivent préciser le nombre d’hommes qui font partie de la formation, le nombre de femmes ainsi que le nombre de personnes non-binaires. Afin d'aller au bout du procédé, la mention est obligatoire.
Mais quelle mouche a donc piqué les organisateurs? «Depuis 2019, nous avons signé la charte 'Keychange', qui a pour but de s'approcher d'un équilibre entre hommes et femmes et d'une diversité de genres», explique Julien Grimm, secrétaire général de la manifestation qui se tiendra le 21 juin prochain.
Il faut dire qu’en 2020, les femmes n’étaient représentées qu’à 27% dans la catégorie des musiques actuelles de l’événement lausannois, d’après les informations que l’on trouve sur son site internet. «Il ne s’agit pas d’instaurer des quotas, mais simplement de faire un effort au niveau de la programmation pour favoriser un meilleur équilibre», poursuit Julien Grimm.
De là à parler d'interprétation, il n'y a qu'un pas. Car certains candidats doutent de la pertinence d’une telle obligation dans le formulaire d’inscription. C’est le cas de Jonathan* et Mathias*. Avec deux autres amis, les compères ont lancé leur groupe de rock en 2022 après des années d’hésitation. «C’est un projet qui nous tient à cœur, explique Jonathan. On a mis du temps à nous lancer, mais depuis près de 9 mois, on tient le rythme des répétitions et on a même enregistré des titres pour pouvoir les transmettre à gauche et à droite.»
«On sent tout de suite qu’on ne part pas gagnants»
Leur groupe ne fait pas dans la dentelle: du rock pur et dur. Tous dans la vingtaine, ils ont été encouragés par leur entourage et ils ont décidé qu’il était temps de se produire sur scène et de saisir les opportunités. «On cherche à emmagasiner de l’expérience et à se faire plaisir», précise Mathias. Solution toute indiquée: la Fête de la musique à Lausanne.
Motivés à poser leurs candidatures, les quatre amis déchantent vite, lorsqu’ils prennent connaissance de l’obligation sur le formulaire. Ils perdent espoir de jouer dans leur ville et décident de se porter candidats ailleurs. «Nous sommes quatre hommes. Lorsqu'on remplit les champs sur le formulaire, le déséquilibre est flagrant. On sent tout de suite qu’on ne part pas gagnants», regrettent-t-ils, avec une pointe d'humour.
Une volonté politique?
Le point le plus embêtant selon eux? L’aspect politisé que semble révéler ce contrôle genré des futurs participants. «Nous avons regardé du côté de Genève et, là-bas, il n’est pas question d’indiquer le genre sur le formulaire. On imagine bien que l'intention derrière est louable, mais on devrait plutôt célébrer la musique pour ce qu’elle est: une passerelle entre les gens, plutôt que comme quelque chose qui se définit par le genre. On ne peut pas toujours tout définir sous ce prisme.»
Outrepassé, le cadre strictement musical de la manifestation? La démarche ne rate-t-elle pas sa cible en se perdant dans des velléités politiques? Sur ce point, Julien Grimm est catégorique et souligne que l'association qui gère la Fête de la musique est indépendante. «Signer la charte 'Keychange', c’est un choix du comité. Nous discutons beaucoup avec les programmateurs d’autres événements et nous pensons simplement qu’il est normal de s’ouvrir à une meilleure représentativité. Il n'y a rien de politique, même si bien sûr, à l’origine, la Fête de la musique a été créée en 1982 en France, lorsque François Mitterand était au pouvoir. Sans faire de l'activisme, nous partons du principe qu’il s’agit de valeurs universelles.»
Promis juré, pas de politique, même si, toujours selon le site internet de la manifestation, le comité en question compte dans ses rangs Yann Riou, adjoint au chef du Service de la culture de la Ville de Lausanne.
Une question de statistiques
Le secrétaire général poursuit et rassure sur les intentions: «Nous avons besoin de statistiques pour comprendre la représentation que nous avons dans notre programmation. Le meilleur moyen d’avoir des chiffres précis est d’insérer les champs en question dans le formulaire d'inscription», explique-t-il.
Pour l’aspect statistique d’accord, mais quels sont les réels critères de sélection? La musique proposée ou le genre des musiciens? Autrement dit, et de manière caricaturale, un groupe composé de quatre femmes qui propose une cacophonie vocale a-t-il plus de chance de passer la rampe qu’un groupe de quatre hommes qui assure le spectacle?
«Bien évidemment que la qualité musicale reste le premier critère. Nous avons la chance d'avoir des centaines d'artistes inscrits chaque année, balaie Julien Grimm. Nous mettons tout cela en place dans l’esprit de la Fête de la musique. Le but est de faire descendre la musique dans la rue, dans tous les quartiers et de la rendre accessible à un maximum de personnes. Nous travaillons dur avec des pôles programmation pour inclure toutes les musiques et nous ne voulons laisser personne de côté.»
«On ne s'est pas posé la question»
Julien Grimm avoue ne pas avoir imaginé que la mention du genre dans le formulaire puisse être épineuse. Mais il comprend le ressenti de certains groupes. «J'échange beaucoup avec les artistes qui s'inscrivent et je n’ai pas eu de retour critique jusqu’à présent. On ne s’est pas posé la question de savoir si cela allait poser problème. Encore une fois, l’objectif est vraiment d’avoir des informations statistiques. Mais nous sommes ouverts à procéder différemment si nous avons des retours négatifs.»
Pour nos rockeurs, la question dépasse finalement le cadre de la Fête de la musique: «C'est très bien de vouloir être le plus inclusif possible, et dans tous les domaines. Personne ne remet en cause cela. Mais il serait parfois bienvenu de mieux expliquer la démarche.» Être sélectionné pour son talent plutôt que pour son genre (non musical), voilà certainement ce qui conviendrait aux musicos de tous bords.
*Noms connus de la rédaction