Lorsque le Covid-19 a atteint la Suisse il y a cinq ans, Parham Sendi l'a directement ressenti: à l'hôpital universitaire de Bâle, il a mis en œuvre les décisions prises du côté de Berne. Aujourd'hui, il est responsable de ces décisions en sa qualité de chef de la division des maladies transmissibles à l'Office fédéral de la santé publique (OFSP). Parham Sendi a ainsi succédé à Daniel Koch, l'une des figures marquantes de la gestion de la pandémie en Suisse.
Parham Sendi, pour attirer l'attention sur la lutte contre le Covid-19, Daniel Koch s'était jeté dans l'Aar. Aimez-vous vous baigner?
J'aime aussi nager dans l'Aar, même si c'est rare.
Seriez-vous également prêt à vous exposer ainsi?
Lorsqu'une crise survient, s'exposer fait partie du job.
Aviez-vous conscience de l'ampleur que prendrait ce virus lorsque vous en avez entendu parler pour la première fois?
Seulement lorsque j'ai vu les images en provenance de Bergame (ndlr: en Italie). C'est à ce moment-là que j'ai compris que le coronavirus allait arriver en Suisse, et à grande échelle.
Comment avez-vous vécu cette période dans votre hôpital?
La première vague a été très éprouvante, même s'il y a eu moins de cas par rapport aux vagues suivantes. L'incertitude était éreintante: les patients avaient peur, le personnel s'inquiétait et la population posait beaucoup de questions. Mais toute l'équipe voulait aider, on mettait ses intérêts privés de côté.
Avec le recul, auriez-vous fait quelque-chose différemment pendant la pandémie?
C'est une question difficile. Chaque fois que nous apprenions quelque chose de nouveau, une nouvelle phase d'incertitude arrivait. Mais maintenant, on a fait une mise à jour qui nous permet de voir où on aurait pu faire mieux.
Et donc?
Si l'on divise la pandémie en trois phases, la Suisse a très bien géré la première et la troisième phases. Entre les deux, de nombreux défis sont apparus.
C'est-à-dire?
On a vacciné, l'immunité a augmenté, mais en même temps, le virus a muté et les transmissions sont devenues de plus en plus rapides. Alors quand vous annoncez de nouvelles mesures, la population se lasse, ce qui est compréhensible.
Quels sont les autres enseignements à tirer?
Outre les aspects purement médicaux, nous devons davantage prendre en compte les dimensions sociales et le point de vue des personnes concernées, notamment des seniors dans les maisons de retraite ou des jeunes. Quelles mesures sont contraignantes pour eux et dans quelle mesure? Quelle solution pourrait être proposée?
Si une nouvelle pandémie commençait maintenant, demain, serions-nous prêts?
Non. Pas tout à fait comme on le souhaiterait. Mais nous sommes assurément plus avancés qu'il y a cinq ans. Nous avons lancé des projets durables, mais leur mise en œuvre prend du temps.
Quels sont ces projets?
Il y a par exemple le nouveau Plan suisse de pandémie qui vise à renforcer la sécurité de l'approvisionnement. Le système de surveillance pour les virus et les bactéries a également été amélioré. Enfin, il y a la loi sur les épidémies qui est en cours de révision. Ces évolutions, si elles sont toutes mises en œuvre, nous permettraient d'être bien mieux préparés.
Pensez-vous que la population suisse est aujourd'hui plus sensibilisée aux pandémies, notamment grâce au Covid-19?
Oui. Mais je pense aussi que l'être humain oublie relativement vite. On le voit déjà dans certains débats liés aux priorités à fixer.
Récemment, l'OFSP a annoncé qu'il fallait faire des économies. Qu'est-ce que cela signifie pour votre travail?
Comme tous les autres offices fédéraux, nous devons fixer des priorités. Nous avons décidé de mettre l'accent sur la numérisation, sur la maîtrise des coûts, sur la sécurité de l'approvisionnement ou encore sur la lutte contre les maladies transmissibles. Pour les autres projets, il faut s'attendre à des reports ou même à leur annulation. On n'a tout simplement plus assez d'argent pour tout.
Le citoyen va-t-il le ressentir? Si oui, comment?
Au fil des ans, nous avons élaboré des stratégies nationales que le Conseil fédéral a ensuite adoptées, par exemple pour lutter contre les maladies sexuellement transmissibles. Tout cela a créé des attentes. Mais si ces projets se mettent maintenant à prendre du retard, ça va finir se sentir.
Pensez-vous qu'il y aura à nouveau des confinements en Suisse?
Nous essaierons de l'éviter par tous les moyens. Mais toute pandémie nécessitera des mesures. Le cas échéant, il sera important de tester continuellement l'efficacité de chaque mesure, mais aussi ses dommages collatéraux.
Aurions-nous cette fois suffisamment de masques pour tout le monde?
Le plan de pandémie recommande que différents services constituent un stock de masques. Ce sont en premier lieu les cantons qui sont responsables de l'approvisionnement. Ce n'est que lorsque ces mesures se révéleront insuffisantes que la Confédération pourra également se procurer des biens médicaux.
Avez-vous vous-même une réserve de masques?
Oui. Le fait que chaque personne ait un paquet de masques en réserve est utile. Si vous êtes malade, vous devriez rester chez vous et ne pas contaminer d'autres personnes. Mais dans la vie quotidienne, il y a des situations où l'on ne peut pas faire autrement, par exemple lors d'un rendez-vous chez le médecin: là, le port d'un masque est utile. Pour autant, il n'est pas utile d'acheter une palette entière de boites de masques à la pharmacie pour les stocker ensuite dans le garage.
Quel est donc le risque d'une nouvelle pandémie?
Nous suivons activement l'évolution des virus. Actuellement, nous nous concentrons sur la grippe aviaire. Mais l'évaluation des risques reste inchangée pour le moment. Il n'y a toujours pas d'indices de transmission d'homme à homme.
Dans quelle mesure les opposants aux mesures contre le Covid sont-ils encore présents?
Il n'y a plus de mesures depuis trois ans, donc pas grand-chose à signaler. Mais nous recevons encore parfois des mails désagréables.
Comment feriez-vous pour convaincre les gens de suivre vos mesures?
Je pense que ce qui est important, c'est d'essayer continuellement d'informer de manière transparente sur l'état des connaissances à disposition. Il faut dire ouvertement ce que l'on sait et ce que l'on ne sait pas. Il faut aussi laisser de la place à la discussion et au dialogue. S'il y a du scepticisme en raison d'un manque de connaissances, je suis convaincu que l'on pourrait convaincre certaines personnes en procédant ainsi.
Les fax, toujours en service, sont devenus le symbole de la numérisation à la Confédération. Combien y en a-t-il encore aujourd'hui à l'OFSP?
(Il rit) Je dois rappeler le contexte: les médecins et les laboratoires doivent déclarer certaines maladies pour que nous puissions les combattre. Mais nous disposons depuis longtemps d'un outil numérique à cet effet, et techniquement, tous les laboratoires de Suisse y sont connectés. Certains d'entre eux ont toutefois du mal à s'adapter, si bien que nous recevons encore certaines données par fax. Du coup, on en a encore un, sinon on ne recevrait pas ces données.