Cela fait à peine une semaine que la fusion d'urgence des deux plus grandes banques suisses a été décidée. Oswald Grübel a dirigé Credit Suisse puis l'UBS. En marge d'une manifestation de l'Efficiency Club à Zurich, Blick a rencontré le banquier légendaire. Il a répondu aux questions de jeunes lecteurs. Le naufrage de la banque Credit Suisse a tout de même touché ses sentiments patriotiques.
Blick: Monsieur Grübel, aimeriez-vous encore être banquier aujourd'hui ou êtes-vous heureux de ne plus l'être?
Oswald Grübel: J'aime toujours être banquier, même si ce n'est qu'à titre privé. Ma journée commence par l'étude des nouvelles économiques et politiques du monde. J'aime découvrir comment les différents pays prennent leurs décisions.
Je me permet une autre question à ce propos: Aimeriez-vous être CEO d'une grande banque suisse actuellement?
Si j'avais 20 ans de moins, bien sûr – encore plus volontiers! Les banques sont importantes, les banquiers exercent une fonction importante. Et c'est un métier bien rémunéré.
Les banquiers – profession vue autrefois comme un titre honorifique – ont aujourd'hui une très mauvaise image. Ils sont vus comme des arnaqueurs. Cela vous dérange-t-il?
Les arnaqueurs sont les employés qui réalisent des pertes et qui, malgré cela, exigent des bonus pour eux-mêmes. Je trouve cela indécent. On peut – on doit, même – qualifier d'arnaqueurs les gens qui font cela. Mais tous les autres ne le sont pas. Le problème dans les périodes de tension comme celle que nous traversons actuellement, c'est que personne ne parle de tous les autres employés honnêtes.
Sur les conseils du Conseil fédéral, de la BNS et de la Finma, l'UBS a avalé Credit Suisse, fondé en 1856. Que ressentez-vous? Est-ce que cela vous touche?
Le mot juste serait plutôt: déçu. Je n'ai, certes, pas de passeport suisse, mais le naufrage de cette banque riche en traditions touche à mes sentiments patriotiques.
Commençons par le positif. Quelle est la force de cette solution, concoctée sous pression par le gouvernement et les autorités la semaine dernière?
Sa force, c'est que c'est une solution. Elle a mis fin à la panique bancaire, que la Suisse ne pouvait pas laisser se produire. Mais c'est aussi une solution discutable.
Dans quelle mesure?
La place financière suisse est morte de facto en tant que place financière internationale. Nous ne le remarquerons peut-être que dans dix ans, mais ce destin est déjà scellé aujourd'hui. Une place financière avec une seule banque internationale n'en est pas une – elle fait peut-être encore semblant d'en être une, mais elle se fait des illusions. Ce déclin va également modifier l'image que la Suisse a d'elle-même. Des douleurs fantômes nous attendent, des débats sans fin. Mais eh bien, oui, la Suisse y survivra.
Vous avez vous-même lancé une proposition. Elle visait à nationaliser Credit Suisse. Mais soyons sérieux: pourquoi le ministère des Finances ou la BNS seraient-ils en mesure de gérer une banque en difficulté?
Ils ne le seraient pas – et ce n'était pas non plus ma proposition. Mon idée était différente. La BNS, qui a gonflé son bilan à 1000 milliards au cours des dernières années, a acheté des actions dans le monde entier pendant des années. Au lieu de continuer à investir dans Apple, etc., elle aurait pu acheter toutes les actions de CS et faire venir un CEO valable, qui aurait réuni autour de lui un conseil d'administration compétent et capable de prendre des décisions. Credit Suisse aurait alors fait le ménage et aurait travaillé sérieusement, et dans quelques années, la banque aurait à nouveau valu 50 milliards. Cela aurait été la meilleure affaire que la BNS ait jamais conclue.
Une telle stratégie aurait nécessité du temps. Or, il n'y en avait plus dernièrement.
C'est vrai. La semaine dernière, on a agi dans la précipitation, car on ne faisait que réagir – à l'automne dernier encore, la BNS aurait pu communiquer qu'elle ne laisserait rien passer. Car dans les faits, toutes les parties impliquées savaient déjà à l'époque que Credit Suisse ne tenait qu'à un fil. Mais personne n'a réagi à ce moment-là.
Pourquoi?
Je ne peux que faire des suppositions. La Finma en savait manifestement trop peu sur le déroulement exact des opérations. Ils ne savaient pas à quel point Credit Suisse était dans une situation dangereuse.
A savoir?
Que cette banque n'a pas assez de personnel compétent avec une expérience bancaire.
L'autorité de surveillance ne peut tout de même pas ordonner à une entreprise privée de renouveler sa direction ou son conseil d'administration.
Elle ne peut pas l'ordonner, mais elle peut être très claire avec le conseil d'administration pour qu'il remplisse ses obligations et veille à une gestion responsable.
Vous comptez donc le conseil d'administration de Credit Suisse comme le principal responsable de la situation?
Je ne pratique pas le «shaming and blaming». Mais il est clair que la direction a échoué. Les gens se sont davantage occupés de tout et de rien que du cœur de métier d'une banque, à savoir instaurer la confiance, gérer les risques et gagner de l'argent. Et je suppose qu'ils ne l'ont pas fait parce qu'ils n'en avaient pas conscience. Mais alors je me demande – pourquoi élit-on au conseil d'administration des personnes qui ont, dans le meilleur des cas, une connaissance uniquement théorique de l'activité?
Est-ce que c'était différent avant?
Bien sûr – et cela devrait être différent aujourd'hui aussi. Il faut des membres du conseil d'administration compétents, qui connaissent les affaires, qui peuvent sélectionner et engager le bon management. Qui ont suffisamment de connaissances pour remettre en question la gestion et les risques.
D'accord. Quelle a été, selon vous, la dernière grande erreur qui a scellé le destin de Credit Suisse?
Il s'agissait précisément d'une décision d'entreprise fondamentalement erronée: à mon avis, la grande erreur stratégique a été l'augmentation de capital que Credit Suisse a réalisée à la fin de l'automne 2022. Ce faisant, il a donné le coup d'envoi de sa descente aux enfers.
Pourquoi cela?
Le moment ne pouvait pas être pire – l'augmentation a été annoncée alors que l'action valait encore 4 francs et que le prix de souscription des nouvelles actions était de 2,57 francs. De plus, les actions se négociaient à un quart de leur valeur comptable. Il ne faut pas être un génie pour réaliser que l'émission d'actions à une valeur comptable aussi basse signale des problèmes majeurs. La spirale descendante ne pouvait plus être arrêtée, la dernière heure de la banque allait bientôt sonner.
Après la crise financière de 2008 et les suivantes, la Suisse avait introduit une législation «too big to fail» qui ne servait manifestement pas à grand chose. La Finma et les banquiers n'en avaient-ils pas conscience depuis le début ?
On ne peut pas dire cela. La législation était correcte et bien pensée dans ses grandes lignes. Mais ce que je sais, c'est que le comité d'experts de l'époque était composé de nombreux professeurs et de personnes intelligentes, mais de peu de banquiers. Cela signifie qu'il y avait beaucoup de théorie, mais peu de pratique. Vous pouvez avoir autant de fonds propres que vous le souhaitez. Si les liquidités se font rares et qu'une panique bancaire a lieu, vous avez un vrai problème. Il semble que l'on n'ait pas assez pensé à cela.
Dans les débats actuels, on fait désormais une distinction très nette entre crise de liquidité, crise d'insolvabilité et crise de confiance. À juste titre, selon vous?
Absolument. La confiance est essentielle dans le secteur bancaire. Si la confiance fait défaut, vous avez d'abord un problème de liquidités – et un jour ou l'autre un problème de solvabilité. Vous vous retrouvez seul, plus personne ne veut faire affaire avec vous. Beaucoup de choses ont changé au cours des dix dernières années. Le monde est connecté comme jamais auparavant via les médias, il est devenu un village – une toux quelque part peut déclencher une tempête ici, simplement parce qu'on en parle.
La législation «too big to fail» prévoyait également de détacher la partie suisse des activités de la banque. Cela n'aurait jamais fonctionné en cas d'urgence, les Américains et les Britanniques n'auraient jamais accepté cela. Ou bien si?
C'est vrai. C'était un vœu pieux – non pas des banquiers, qui étaient largement absents du comité, mais des autorités.
Serait-ce une bonne idée de séparer les activités suisses de Credit Suisse du colosse bancaire et de créer une sorte de nouvel établissement de crédit suisse? Les marchés se sont quelque peu calmés, la panique bancaire est pour l'instant de l'histoire ancienne.
Encore une fois, c'est un beau jeu d'esprit. Mais cela ne vaut pas la peine pour deux raisons. Premièrement, l'UBS a un contrat, et elle n'y renonce pas facilement. En reprenant Credit Suisse, l'UBS a fait une bonne affaire, mes compliments. Deuxièmement, si les choses devaient soudainement changer, les représentants suisses passeraient pour des personnes peu fiables. Ce n'est pas possible.
Que va-t-il se passer maintenant?
Les choses suivent leur cours. La place financière internationale de la Suisse, c'est de l'histoire ancienne. Mais la Suisse est toujours là. Elle devrait se souvenir de ses qualités d'entrepreneur – et ne pas pleurer sur le passé. Ayons plus de courage!
L'intervieweur René Scheu est chroniqueur à Blick, philosophe et directeur de l'Institut de Politique économique suisse (IWP) à Lucerne.
(Adaptation par Lliana Doudot)