«On veut me faire taire!»
Arrestation et pressions avant la sortie d'un livre sur le scandale Hildebrand

Un livre sur l'affaire Hildebrand, rédigé par le député UDC thurgovien Hermann Lei, paraîtra le mois prochain. Sous pression, le spécialiste en informatique Reto T., qui a documenté les opérations de change de l'ex-chef de la Banque nationale, a été arrêté.
Publié: 09.02.2025 à 09:24 heures
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Philipp et Kashya Hildebrand: c'est à cause des transactions en dollars de l'épouse de l'ancien président de la BNS qu'a débuté à Noël 2011 l'affaire Hildebrand, qui compte encore aujourd'hui parmi les scandales politiques les plus spectaculaires de Suisse.
Photo: Sabine Wunderlin
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Peter Hossli

L'arrestation a eu lieu il y a deux semaines, un mercredi. Vers 19h45, des agents de la police cantonale thurgovienne ont sonné à la porte de Reto T.*, 52 ans, spécialiste en informatique. Ils ont fouillé son domicile, l'ont emmené et il a passé deux nuits en isolement.

Comme l'indique le ministère public thurgovien, c'est une plainte pénale contre Reto T. qui a déclenché la descente de police. Au centre de l'enquête, un livre qui paraîtra en mars et qui met en lumière l'un des scandales les plus spectaculaires de la politique suisse: l'affaire Hildebrand.

Il a été rédigé par l'ancien avocat de Reto T., le conseiller cantonal UDC thurgovien Hermann Lei. L'informaticien, voulant empêcher sa publication, a demandé l'aide de la justice. Comme il ne l'a pas obtenue, il a perdu son sang-froid. «Parce qu'on veut me faire taire», affirme Reto T. à Blick.

Le président de la BNS Philipp Hildebrand se présente à la presse le 5 janvier 2012. Il lui a été reproché que sa femme avait effectué des transactions en dollars, profitant ainsi de sa politique monétaire. Aucune procédure pénale n'a cependant jamais été ouverte contre lui, car il n'avait rien à se reprocher.
Photo: Pascal Mora / Pixsil Blick

Pour rappel, il y a 13 ans, le président de la Banque nationale suisse, Philipp Hildebrand, a démissionné en raison d'opérations de change controversées effectuées par son épouse d'alors. Les transactions ont été rendues publiques car Hermann Lei avait transmis des extraits bancaires de Hildebrand à la «Weltwoche». Et ce, contre la volonté de Reto T., qui travaillait alors comme informaticien à la Banque Sarasin. En automne 2011, l'expert en informatique a appris l'existence des transactions en dollars sur le compte de Hildebrand, a fait des recherches et les a documentées.

Reto T. s'est tourné vers Christophe Blocher

Reto T. a cherché des conseils juridiques auprès de son avocat Hermann Lei. Celui-ci a alors organisé en décembre 2011 une rencontre avec l'ancien conseiller fédéral Christoph Blocher, très critique de Hildebrand. Le SonntagsBlick a rendu public le fait que Blocher avait proposé de l'argent et un emploi à l'informaticien dans sa villa de Herrliberg pour qu'il lui remette les documents bancaires. Après un bref temps de réflexion, Reto T. a refusé et s'est retiré. Son avocat, Hermann Lei, a alors fait des copies des relevés bancaires à l'insu de l'informaticien et les a remises à la «Weltwoche».

Christophe Blocher aurait tenté d'acheter des informations sur l'affaire à Reto T.
Photo: KEYSTONE

Pendant des années, l'affaire a occupé les tribunaux. Blocher et Hildebrand n'ont pas été poursuivis juridiquement, mais Hermann Lei et Reto T. ont été condamnés sur certains points pour violation du secret bancaire.

Un livre en guise de réhabilitation

En juin 2024, l'avocat a repris contact avec son ancien client et l'a salué par un simple: «Salut Reto». Le livre pourrait les réhabiliter tous les deux. Il a demandé à Reto T. de vérifier les passages où il était cité, en justifiant sa demande par la remarque suivante: «Je ne veux tout simplement pas que tu sois en désaccord avec ce qui est écrit.»

L'informaticien a cependant ressenti l'offre de Hermann Lei comme une contrainte et a fait appel à son avocate. Celle-ci a expliqué à Lei par écrit que son client ne voulait rien avoir à faire avec le livre. Il ne le lirait pas et ne participerait pas à la rédaction de certains passages. «L'histoire se répète», dit Reto T. «Je ne vais pas à nouveau céder à la pression, comme en 2011, bien que je sois menacé de diffamation par ce dernier en cas de non-participation au livre.»

Le livre «Blocher, Hildebrand et Widmer-Schlumpf» de Hermann Lei paraîtra en mars. Il traite de l'affaire Hildebrand, qui a débuté à Noël 2011.
Photo: ZVG

L'ouvrage de Hermann Lei s'intitule «Blocher, Hildebrand et Widmer-Schlumpf». Mais Reto T. voit des erreurs dans des extraits publiés. Il n'a pas transmis un «conseil d'initié explosif», comme le dit le livre, mais a simplement posé une question juridique. «A l'époque, comme aujourd'hui, je ne voulais pas, par devoir, confirmer publiquement des données bancaires, comme Lei me l'a demandé et me le demande à nouveau aujourd'hui. Je ne veux pas être présenté dans le livre comme un stupide lanceur d'alerte ou de manière négative en général.»

Hermann Lei n'a pas souhaité s'entretenir avec Blick. Interrogé, il écrit: «Les reproches prétendument formulés ne sont en aucun cas exacts.»

Demande d'aide auprès du Ministère public

En septembre et décembre derniers, Reto T. s'est adressé au procureur général du canton de Zurich, qui s'est occupé de l'affaire pendant des années, car il se sentait sous pression de Lei pour violer le secret bancaire. «Je trouve cela scandaleux qu'une telle chose soit possible sans intervention de l'Etat», a-t-il écrit par mail. La veille de Noël, le procureur lui a répondu avec compassion: «Nous comprenons très bien votre situation... Nous allons nous en occuper de notre côté le mieux possible.»

Dès lors, Reto T. espérait que des mesures juridiques seraient prises contre le livre de Lei. Jusqu'au 29 janvier, date à laquelle la justice lui a donné des nouvelles. «D'un point de vue pénal, nous ne voyons actuellement aucune nécessité d'agir dans cette affaire.» Cette nouvelle l'a plongé dans une détresse psychologique. Il a téléphoné au procureur général, a réagi de manière désagréable et a critiqué l'UDC, le procureur et Hermann Lei dans des courriels.

Peu après, des policiers l'ont arrêté et l'ont fait interner dans une clinique. Ils ont en outre confisqué ses ordinateurs: «Pendant sept mois et demi, Lei a exercé des pressions sur moi à cause du livre», explique Reto T. «J'ai réagi un court instant de manière désespérée, car je ne peux pas me défendre contre le projet, les pressions et les nouvelles diffamations.»

Le ministère public zurichois fait savoir qu'il a reçu environ 70 mails de Reto T. depuis l'automne. «A plusieurs reprises, on lui a fait remarquer qu'il n'y avait pas de possibilité d'action pénale de la part du ministère public zurichois», écrit un porte-parole.

Sentiment d'impuissance

Reto T. a parfois parlé à des journalistes, mais n'a jamais accordé d'interview et ne s'est jamais laissé photographier. «En désespoir de cause», il rompt maintenant le silence. «Comment se fait-il qu'en Suisse, ceux qui contraignent soient protégés et que ceux qui sont contraints soient poursuivis? Ils ne m'ont jamais rendu aussi vulnérable que maintenant.»

* Nom connu de la rédaction 

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