Oligarques douteux à bord
Des entreprises ferroviaires européennes dans la tourmente

Pour les constructeurs de trains européens, l'est de la Russie a longtemps été un marché intéressant. Mais les usines et les bureaux qui s'y trouvent posent désormais de gros problèmes à Stadler Rail, Alstom et Siemens.
Publié: 15.03.2022 à 06:10 heures
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Dernière mise à jour: 15.03.2022 à 06:26 heures
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Période de turbulences pour Peter Spuhler, patron de Stadler Rail: il a beaucoup à faire en raison de la délocalisation de la production.
Photo: Natalia Fedosenko/TASS
Martin Schmidt

Les grands constructeurs de trains sont eux aussi impactés par la guerre en Ukraine. Le patron suisse Peter Spuhler doit temporairement transférer une grande partie de la production de son entreprise Stadler Rail de Biélorussie vers l'Europe.

Les sanctions contre la Biélorussie, alliée de la Russie, limitent massivement le transport de matériel et donc le travail dans l'usine. «Actuellement, moins de 2% du carnet de commandes d'environ 18 milliards de francs suisses sont encore en cours de traitement dans l'usine de production de Fanipol», déclare Stadler Rail à Blick.

Siemens et Alstom en main d'oligarques

Pour le personnel de Fanipol, le transfert est un coup dur; le nombre d'employés ayant déjà été réduit de 1100 à 400 personnes au cours des derniers mois. Et le démantèlement ne s'arrête pas là. «Les nouvelles suppressions d'emplois, inévitables en raison de la délocalisation des commandes et de la situation politique incertaine, se feront si possible par le biais du chômage partiel et dans le cadre d'un plan social». L'on examine également la possibilité d'employer des collaborateurs de Biélorussie dans d'autres usines.

Les concurrents de Spuhler sont également sous tension. Alstom et Siemens Mobility détiennent des parts dans des groupes russes de construction de véhicules ferroviaires, qui sont entre les mains d'oligarques.

Oligarques soupçonnés de blanchiment d'argent

Le groupe français Alstom détient une participation de 20% chez le constructeur russe de véhicules ferroviaires Transmashholding, qui appartient aux deux oligarques russes Iskander Makhmudov et Andrei Bokarev. Ces deux noms n'apparaissent pas jusqu'à présent sur la liste des oligarques sanctionnés par l'UE. Makhmudov et Bokarev sont toutefois soupçonnés d'avoir blanchi de l'argent sale via l'UE par le biais de leurs entreprises, comme le constate l'ONG néerlandaise NHC dans un rapport de l'année dernière.

Alstom ne veut pas faire de déclaration concernant les deux copropriétaires Makhmudov et Bokarev. Une demande de Blick en ce sens adressée à la Transmashholding est également restée sans réponse. Alstom ne veut pas non plus se prononcer sur les conséquences économiques des sanctions: «veuillez comprendre que notre priorité actuelle est la sécurité de nos collaborateurs en Ukraine et en Russie».

Jusqu'à récemment, la branche voyait encore un grand potentiel de croissance dans le marché ferroviaire russe. Mais cela pourrait durablement changer. Les sanctions contre la Russie vont nuire à l'économie du pays. La Russie perd déjà nettement de son attrait en tant que site économique auprès des entreprises et des investisseurs de par le monde.

Chez Alstom, on se préoccupe également de la participation au Transmashholding. «Aucune décision n'a été prise concernant une éventuelle cession de la participation dans TMH. Nous suivons de près la situation et ses conséquences pour TMH», déclare Alstom.

Siemens a aussi des liens avec un oligarque

Le concurrent allemand Siemens participe à la production des véhicules ferroviaires du groupe russe Sinara, dans lequel l'oligarque russe Dmitry Pumpyanskiy détient d'importantes parts. Jusqu'à présent, Pumpyanskiy ne figure pas non plus sur la liste des sanctions de l'UE. La division ferroviaire de Sinara génère un chiffre d'affaires de près de 1,5 milliard de francs.

«Du côté de Siemens Mobility, nous suivons les derniers développements avec beaucoup d'inquiétude», répond Siemens à nos sollicitations. Mais le groupe ne souhaite pas s'exprimer sur Sinara. Cela n'est pas possible en raison de «l'évolution rapide de la situation et de la complexité des mesures de sanction». Siemens ne veut pas non plus commenter une éventuelle vente des parts de Sinara.

Sinara a déjà contourné les sanctions en Crimée

L'oligarque Pumpyanskiy est considéré comme un ami proche de Poutine. Avec le groupe Sinara, il a déjà contourné les sanctions contre la Crimée imposées en 2017, et y a livré des machines. En Russie, les entreprises européennes sont à la merci des oligarques proches du gouvernement. Siemens Mobility a récemment décidé de suspendre les nouvelles affaires et les livraisons internationales vers la Russie et la Biélorussie.

Mais le fait que le groupe Sinara respecte cette fois-ci toutes les sanctions devrait être hors de la zone d'influence de Siemens. «Il va de soi que nous appliquons systématiquement toutes les sanctions et les dispositions relatives au contrôle des exportations», souligne Siemens lorsqu'on l'interroge à ce sujet.

Siemens est par ailleurs omniprésent en Russie. En 2011, le groupe a ouvert à Moscou un énorme complexe de bureaux employant environ 1300 personnes. En outre, Siemens construit avec le groupe Sinara, via une filiale en Russie, 13 trains à grande vitesse pour un total de 1,1 milliard de francs.

Les cours des actions s'effondrent

Avec un chiffre d'affaires de 8,8 milliards de francs chacun, Alstom et Siemens Mobility sont les plus grands acteurs de la branche derrière le leader chinois CRRC. Mais le holding Transmash a nettement rattrapé son retard ces dernières années, et génère également près de 6 milliards de chiffre d'affaires. Stadler Rail se situe à un peu plus de 3,5 milliards de francs et présentera mardi son rapport sur l'exercice 2021.

Stadler Rail peut actuellement se réjouir de ne pas avoir dans ses livres de comptes de commandes en provenance de Russie, pour lesquelles on pourrait s'attendre à des défauts de paiement ou à d'autres problèmes. Chez Alstom, les ventes directes en Russie, en dehors de la filiale, représentent actuellement moins de 0,5% du chiffre d'affaires.

Mais la bourse tourne le dos aux constructeurs de véhicules ferroviaires, en raison des incertitudes. L'action de Stadler Rail a chuté de 18% en l'espace d'un mois. L'action d'Alstom a elle chuté de 28% sur la même période. Le groupe Siemens, dont les produits sont plus diversifiés, a perdu environ 15%.

(Adaptation par Daniella Gorbunova)


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