«Nous ne trouvons personne»
Autrefois tradition en Suisse, le nombre de jeunes au pair est en chute libre

C'était autrefois une tradition en Suisse, mais elle se heurte désormais à la démographie, aux conséquences de la pandémie et aux systèmes de formation: le secteur des jeunes au pair connaît un déficit de personnel.
Publié: 31.07.2022 à 11:35 heures
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Dernière mise à jour: 31.07.2022 à 15:10 heures
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A Cortébert, dans le Jura bernois, Ben, Mascha et Lio construisent des châteaux de sable, tandis que leur mère Franziska Wenger Vonlanthen cherche depuis des mois un jeune au pair.
Photo: Siggi Bucher
Camille Kündig

C'est un récit bien souvent raconté par les grands-mamans suisses à leurs petits-enfants. Celui-ci commence par un train, à la fin de l'été au milieu des années 60. Elles étaient alors nombreuses à franchir le Röstigraben pour devenir jeune fille au pair l'espace d'une année et perfectionner leur suisse-allemand ou leur français.

Cette année «au pair», qui débute souvent en août, est probablement une invention suisse, selon les historiens. Dès le milieu du 19e siècle, des femmes de la partie germanophone du pays se sont rendues en Suisse romande pour s'occuper de la progéniture des bonnes familles, et vice versa. Autrefois, c'était aussi un moyen pour les futures mères de famille de se préparer au travail dans le ménage et à l'éducation des enfants.

Aujourd'hui, une année au pair est également une affaire d'hommes. Si la demande ne faiblit pas forcément, la démographie et les conséquences de la pandémie font que le secteur souffre d'un manque de personnel.

Une chute allant jusqu'à 60%

En cette fin du mois de juillet, nous sommes à Cortébert, une petite commune du Jura bernois. Ben, 7 ans, Mascha, 4 ans et Lio, 2 ans, construisent des châteaux dans le bac à sable de la maison. A côté d'eux, leur mère Franziska Wenger Vonlanthen. «Nous cherchons depuis des mois une jeune fille au pair pour s'occuper d'eux pendant que mon mari et moi travaillons dans notre entreprise, regrette-t-elle. Mais nous ne trouvons personne.»

L'association Pro Filia est en charge de déléguer ce genre de mission. Mais il y en a de moins en moins de candidats, selon sa présidente Therese Suter. «Nous avons suffisamment de familles qui cherchent un jeune au pair, mais pas assez de jeunes disponibles.» Toutes les organisations de placement suisses sollicitées font état de cette tendance. Certaines parlent d'une chute allant jusqu'à 60% au cours des dix dernières années. L'une des raisons de cette perte d'attractivité pour l'année au pair? Le faible nombre de jeunes quittant l'école et le manque de personnel qualifié.

«Une année au pair est, entre autres, une possibilité de transition pour les jeunes qui n'ont pas trouvé d'apprentissage ou de solution de raccordement adéquate, explique Gabriella Günther, co-directrice des écoles Didac, qui proposent une dixième année scolaire combinée à une année au pair. Mais aujourd'hui, il y a moins d'élèves en fin de scolarité et, en même temps, une grande offre de places d'apprentissage.» Avec la pandémie, un autre aspect est apparu: pour rassurer les parents, les jeunes au pair doivent désormais avoir de l'expérience dans la garde d'enfants. «Le baby-sitting au milieu d'une crise sanitaire est lié à des difficultés et à des craintes. Beaucoup de jeunes n'ont pas pu acquérir une expérience suffisante.»

Une école de langue plutôt qu'un ménage

Par ailleurs, la baisse d'intérêt est probablement liée aux nouveaux critères de formation. Il y a encore quelques années, il fallait attendre son 18e anniversaire pour commencer certains apprentissages. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. En outre, «de nombreux parents ont plus de possibilités financières qu'auparavant. Les enfants préfèrent donc fréquenter une école de langues plutôt que de tenir le ménage quelque part», explique Therese Suter de Pro Filia.

Mais le manque de jeunes au pair a des conséquences pour les familles qui doivent faire face à des places de crèche onéreuses. A cela s'ajoute des répercussions idéologiques. Cette tradition a pendant longtemps été une façon d'échanger entre les différentes régions linguistiques du pays. C'est donc aussi un élément de cohésion nationale qui s'effrite.

Au lieu d'apprendre le français dans le Jura bernois, un jeune suisse-allemand préférera donc sûrement apprendre l'anglais à Londres aujourd'hui. Mais à Cortébert, on reste optimiste. «Je continue de croiser les doigts», assure Franziska Wenger Vonlanthen en riant. Sur la plateforme aupair.ch, des personnes plus âgées s'inscrivent davantage qu'auparavant, raconte la responsable romande Beatrice Zürcher: «Il s'agit souvent de personnes qui ont travaillé dans le secteur des soins et qui ont perdu leur emploi après la crise du Covid.» D'autres agences à l'étranger sont spécialisées dans le placement de personnel au pair de plus de 50 ans. Ces personnes peuvent faire valoir leur expérience et retrouver un emploi.

(Adaptation par Thibault Gilgen)

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