Moritz Leuenberger sur l'état de forme du PS
«Aujourd'hui, je serais peut-être chez les Verts»

Moritz Leuenberger n'hésite pas à tirer sur l'ambulance socialiste. L'ex-conseiller fédéral attribue les pertes récentes de son parti à son orientation européenne et au «romantisme de la Jeunesse socialiste». Pour lui, les Verts filent du bien meilleur coton. Interview.
Publié: 04.04.2022 à 11:39 heures
«Je connais des gens qui se sont tournés vers les Verts'libéraux à cause de l'abandon de l'accord-cadre»: Moritz Leuenberger regrette la position du PS vis-à-vis de l'UE.
Photo: Thomas Meier
Interview: Reza Rafi

Aucune autre formation politique n'a autant perdu de plumes dans les Parlements cantonaux ces derniers mois. De Fribourg à Berne en passant par Genève, le constat est partout similaire: le PS voit ses sièges filer dans le camp ami des Verts.

Tandis que la coprésidence du parti ne s'inquiète pas (lire notre interview), la frustration est plus grande du côté de Moritz Leuenberger. Pour l'ancien conseiller fédéral socialiste, le PS fait fausse route. Il s'est confié à Blick.

Monsieur Leuenberger, vous faites-vous du souci pour votre parti?

Par rapport à ce qui se passe dans le monde, je trouve que le déplacement de quelques pourcents dans des parlements cantonaux a une importance assez faible. Néanmoins, les derniers résultats électoraux ne me rendent pas vraiment heureux. Mais je dois tout de même relativiser: tous les partis représentés au Conseil fédéral ont des difficultés, pas seulement le PS.

Mais c'est bien le camp socialiste qui a essuyé le plus de pertes...
C'est vrai en ce qui concerne les législatifs. Mais pour les exécutifs, je vois le contraire, par exemple en ville de Zurich. Et je suis persuadé que Simonetta Sommaruga et Alain Berset se hisseraient largement en tête en cas d'élection par le peuple. La compétence et la crédibilité du PS dans les gouvernements ne font aucun doute. À cela s'ajoutent les succès remportés lors des votations sur les référendums et les initiatives.

Pourquoi le bât blesse-t-il autant dans les Parlements?
Le PS a toujours été marqué par deux pans: les valeurs profondes et leur mise en oeuvre au gouvernement. En somme, la conviction politique et la responsabilité. Or, ces derniers temps, le parti est perçu par beaucoup comme un peu trop intransigeant. Sa position sur l'accord-cadre, par exemple, est considérée comme l'une des causes de son enterrement. Il y a un parfum de romantisme autour du parti.

Il y a donc un problème de perception?
Suivre le sens du vent ne suffit pas. Il faut parfois des convictions fondamentales. Cela m'a aidé lorsque j'étais membre du Conseil fédéral: pour le secret bancaire, j'ai parfois dû soutenir des décisions collégiales qui me mettaient mal à l'aise. J'étais content que mon parti dise clairement quelles étaient nos convictions.

Vous avez évoqué l'accord-cadre avec l'Union européenne (UE). Le PS s'est placé dans le camp des fossoyeurs...
Et cela s'est retourné contre nous! J'ai vu combien de personnes étaient déçues. J'ai des connaissances qui se sont tournées vers les Verts'libéraux à cause de cela. Moi aussi, j'ai été déçu. J'avais négocié l'accord sur les transports avec l'UE. Sans cela, il n'y aurait pas eu d'accords bilatéraux. La dénonciation de l'accord-cadre m'a donc été incompréhensible. Le PS, et en premier lieu son aile syndicale, porte une part de responsabilité. Maintenant, certains électeurs se tournent vers le PVL, qui se positionne clairement par rapport à l'UE.

101e conseiller fédéral, Moritz Leuenberger (au premier plan) a été en fonction de 1995 à 2010.
Photo: Keystone

Et maintenant, le PS soutient le référendum contre l'extension de Frontex, le service de protection des frontières de l'UE.
Ce référendum est un exemple-type de friction entre convictions idéologiques et responsabilité. Il est clair que Frontex doit assurer la protection des migrants et respecter les Droits de l'homme, et je peux comprendre que l'on saisisse l'occasion d'un référendum pour l'exiger. Mais le projet ne concerne pas directement ces thématiques. Il est donc délicat de mettre en péril Schengen et les relations avec l'UE.

Si vous aviez 20 ans aujourd'hui, adhéreriez-vous à nouveau au PS?
Je ne le sais pas, car je n'ai pas 20 ans, mais 75 ans. Je suis allé au PS parce que je voulais le changer. Cette volonté de changement, cet esprit de renouveau, la jeunesse d'aujourd'hui les voit ailleurs. Les Verts sont émotionnellement plus proches de leurs thèmes que le PS.

Seriez-vous aujourd'hui un gréviste du climat?
Peut-être un Vert, oui. Mais pas un manifestant qui bloque la circulation dans la rue pour défendre sa cause. Déjà à l'époque, je voulais changer les choses et pas seulement protester. Mais j'ai aussi suivi des tendances, tout comme la jeune génération aujourd'hui.

Que pensez-vous de la direction de votre parti, la coprésidence assurée par Mattea Meyer et Cédric Wermuth?
Je lis de temps en temps des interviews et je les trouve bien. Seulement, ce n'est pas simplement la présidence qui marque un parti et qui est responsable de tout, surtout pas au PS. Mais de nombreux électeurs et électrices perçoivent surtout des thèmes comme les questions de genre, les prescriptions de la police des langues ou l'idée de pouvoir résoudre le passé colonial en blanchissant les façades des maisons. Le PS n'est certes pas le seul responsable de ces questions, mais elles lui sont attribuées.

Mattea Meyer et Cédric Wermuth mènent la barque socialiste depuis deux ans et demi.
Photo: Keystone

Votre parti doit également se positionner sur de telles questions.
Il défend l'égalité des droits depuis 100 ans. Mais les questions de genre sont devenues une idéologie. Les thèmes centraux du PS sont la question sociale, les loyers, le prix des terrains, les salaires, en particulier ceux des femmes, toujours plus bas. Les conflits sociaux vont s'intensifier, justement à cause des changements globaux. C'est là que le parti a un rôle à jouer. L'essentiel est qu'il le défende. Qu'il ait 22 ou 24% de part électorale dans les cantons n'a pas vraiment d'importance.

(Adaptation par Adrien Schnarrenberger)


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