En poste depuis dix-sept ans déjà, elle ne s'exprime que rarement dans les médias. La commandante de la police cantonale de Genève Monica Bonfonti a cependant accepté de parler violences policières avec Blick*. À l'heure où — comme le relaie régulièrement la presse — les enquêtes pour ces dernières semblent s'enchaîner, au bout du Léman.
Dernier exemple en date: l'arrestation musclée filmée par un quidam, le lundi 1er mai, dans le quartier des Grottes à Genève. Sur la vidéo, l'on voit un homme — qui aurait pris la fuite lors d'un contrôle — maîtrisé au sol par deux agents. Un troisième policier arrive et assène un coup de pied dans le haut du corps de l'individu, déjà à terre.
Après avoir pris connaissance de ladite vidéo, Madame la commandante a saisi l'Inspection générale des services (IGS), la police des polices. Elle ne commentera pas directement l'épisode des Grottes, l'enquête interne étant en cours.
Monica Bonfanti a plutôt répondu à nos sollicitations pour aborder le fond de la question. Car, depuis le choquant décès de Georges Floyd aux États-Unis (en 2020) au moins, les violences policières sont devenues une thématique sociétale récurrente de par le monde.
Et la Suisse ne fait pas exception. Cette affaire rappelle (une fois de plus) que des ONG ont déjà pointé Genève (et même la Confédération) du doigt. La section romande d'Amnesty International a, par exemple, récemment dénoncé le manque de représailles sérieuses, pour les agents ou agentes qui dévieraient du droit chemin. «Il est très difficile pour une personne de porter plainte contre la police. Les procédures judiciaires sont souvent longues et pénibles. Elles se terminent rarement en faveur du plaignant, ce qui engendre un sentiment d’impuissance», regrette un juriste de l'organisation internationale dans les colonnes du «GHI».
Alors, les forces de l'ordre sont-elles vraiment devenues plus brutales, ces dernières années? Ne réprime-t-on pas assez celles ou ceux qui déraillent? Monica Bonfanti défend son pré carré: d'après elle, l'augmentation de la violence au sein de la police est un mirage médiatique plus qu'une réalité chiffrée... Parole à «Madame le colonel».
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Les violences policières sont un thème qui revient beaucoup dans les médias ces dernières années: c'est parce qu'il y en a plus qu'auparavant, ou simplement parce qu'on en parle plus?
Tout d'abord il faut définir ce que vous entendez par «violences policières». Cette dénomination regroupe différentes catégories d'actes répréhensibles commis par les policiers, qui donnent lieu à des plaintes et doléances. Il y a l'usage abusif de la contrainte, l'abus d'autorité, les lésions corporelles, les injures, et les menaces (ndlr: voir encadré ci-dessous).
Le terme général de «violences policières» regroupe, en réalité, différentes catégories d'actes répréhensibles, indique le service de communication de la police cantonale de Genève.
Ces actes sont classés en quatre catégories. Voici lesquelles.
- L'usage abusif de la contrainte ou de la force
Il s'agit d'actions policières lors desquelles la force (frappes, prises de déstabilisation, clés de bras) et/ou un moyen de contrainte (menottes, matraque, taser) auraient été utilisés de manière inopportune et disproportionnée, causant ou non des blessures.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: l'abus d'autorité (art. 312 CP) et les lésions corporelles simples (art. 123 CP), voire graves (art. 122 CP).
- L'abus d'autorité simple
Il s'agit d'actions policières, sans utilisation de la force ou d'un moyen de contrainte, lors desquelles l'agent ou l'agente abuse des pouvoirs de sa charge, dans le dessein de nuire à autrui, ou de se procurer (ou de procurer à un tiers) un avantage illicite.
L'article du code pénal visé dans de tels cas est: l'abus d'autorité (art. 312 CP).
- Les lésions corporelles
Il s'agit d'actions policières pour lesquelles l'usage de la force ou d'un moyen de contrainte n'est pas remis en cause, mais ayant toutefois causé une ou des blessures.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: les lésions corporelles simples (art. 123 CP), voire graves (art. 122CP).
- Les injures et les menaces
Il s'agit d'actions policières lors desquelles des propos inadéquats, parfois racistes, sont prononcés par l'agent ou l'agente qui intervient.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: l'injure (art. 177CP), les menaces (art. 180CP) et la discrimination raciale (art. 261bis).
Le terme général de «violences policières» regroupe, en réalité, différentes catégories d'actes répréhensibles, indique le service de communication de la police cantonale de Genève.
Ces actes sont classés en quatre catégories. Voici lesquelles.
- L'usage abusif de la contrainte ou de la force
Il s'agit d'actions policières lors desquelles la force (frappes, prises de déstabilisation, clés de bras) et/ou un moyen de contrainte (menottes, matraque, taser) auraient été utilisés de manière inopportune et disproportionnée, causant ou non des blessures.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: l'abus d'autorité (art. 312 CP) et les lésions corporelles simples (art. 123 CP), voire graves (art. 122 CP).
- L'abus d'autorité simple
Il s'agit d'actions policières, sans utilisation de la force ou d'un moyen de contrainte, lors desquelles l'agent ou l'agente abuse des pouvoirs de sa charge, dans le dessein de nuire à autrui, ou de se procurer (ou de procurer à un tiers) un avantage illicite.
L'article du code pénal visé dans de tels cas est: l'abus d'autorité (art. 312 CP).
- Les lésions corporelles
Il s'agit d'actions policières pour lesquelles l'usage de la force ou d'un moyen de contrainte n'est pas remis en cause, mais ayant toutefois causé une ou des blessures.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: les lésions corporelles simples (art. 123 CP), voire graves (art. 122CP).
- Les injures et les menaces
Il s'agit d'actions policières lors desquelles des propos inadéquats, parfois racistes, sont prononcés par l'agent ou l'agente qui intervient.
Les articles du code pénal visés dans de tels cas sont: l'injure (art. 177CP), les menaces (art. 180CP) et la discrimination raciale (art. 261bis).
Mais est-ce qu'il y en a de plus en plus, de ces violences?
Pour répondre à votre question, je dirais que nous en parlons simplement davantage. Car, si on regarde les chiffres, les cas de violences policières traités par l'Inspection générale des services (IGS) sont plutôt constants entre 2014 et 2022 à Genève. L’IGS ayant enregistré 249 plaintes voire dénonciations en 9 ans, avec une moyenne de 30 cas par an, il n'y a pas d'augmentation constatée ces dernières années. De plus, sur ces 249 cas, seuls sept policiers ou policières ont finalement été condamnés après enquête.
Donc, si les violences policières font beaucoup parler aujourd’hui, c’est juste parce que les gens y sont plus sensibles?
Je pense que la grande visibilité médiatique de cette thématique pourrait en effet s’expliquer par un enjouement plus prononcé du public à parler de ce sujet… L’évolution des réseaux sociaux a poussé les gens à systématiquement filmer et de diffuser tout évènement sortant du commun. Pour prendre un fameux exemple: le tragique décès de Georges Floyd lors de d’une interpellation aux États-Unis, en 2020, a mis tout le monde en émoi, au-delà des frontières. Des foules à travers toute la planète ont alors commencé à se mobiliser en soutien aux victimes de tels abus. Dès ce moment-là, c’est devenu un sujet médiatique récurrent.
Vous êtes en poste depuis un sacré bout de temps — 2006 exactement. Est-ce que la question de l'image de la police vous préoccupe plus qu'il y a dix ans?
En réalité, l’image de la police est plutôt bonne, d’après les sondages réalisés tous les trois ans via ce qu’on appelle des «Diagnostics Locaux de Sécurité (DLS)». Elle est même meilleure qu’il y a vingt ans… En 2004, 74% des Genevois et des Genevoises estimaient que la police faisait du bon travail. En 2020, ils et elles étaient 90% à penser ainsi. Pour donner un autre exemple: en 2007, environ 41% de la population estimait que la police cantonale traitait tout le monde de la même manière. En 2020 toujours, ce taux a grimpé à 61%! A noter — et c’est intéressant — que les étrangers qui vivent à Genève voient la police comme étant impartiale et égalitaire à 69%, contre 58% des résidents suisses.
Quoi qu'il en soit, les violences policières existent bel et bien. Comment la police tente-t-elle de prévenir ce genre de comportements, à l'interne?
Les policières et les policiers sont soumis à des formations continues obligatoires sur les techniques et les tactiques d'intervention, et ce tout au long de leur carrière. Ces «modules» sont composés de parties théoriques, mais aussi d'exercices pratiques. Certaines unités complètent la formation en s'entraînant sur des thématiques spécifiques à leurs missions.
Et en quoi consistent ces formations, censées prévenir les dérapages?
Le volet théorique permet d'aborder et de rappeler les différentes doctrines, les directives et les ordres de service auxquels les agents et les agentes sont soumis, en matière d'usage de la force — et de ses possibles conséquences. Les exercices pratiques servent quant à eux à mettre les personnes en situation, à vérifier leurs acquis. Les formateurs, les policiers et les policières profitent notamment de ces moments pour échanger, partager leurs expériences vécues dans le terrain. Ils discutent des situations complexes auxquelles ils ou elles auraient été confrontés. Ces retours d'expériences permettent de maintenir un lien entre la réalité du terrain et la formation, afin de faire évoluer, si nécessaire, les techniques et les tactiques d'intervention.
Donc, en plus de la formation de base, les policiers et policières sont censés systématiquement débriefer, après des arrestations dites «musclées»?
Oui, chaque affaire ayant nécessité l'usage de la force et des moyens de contrainte fait l'objet d'une analyse ensuite. Pour vérifier que tout se soit bien passé conformément aux prescriptions. Que ce soit lors de l'interpellation, du transport du prévenu — ou dans les locaux de police.
D'après vous, qu'est-ce qui peut pousser un agent ou une agente à abuser de la violence, ou de son pouvoir, lors d'une arrestation?
Il y a beaucoup d’éléments déclencheurs possibles. Je dirais que le stress, le doute, la fatigue, ou d'autres éléments perturbants peuvent survenir à tout moment, dans le quotidien d’un policier ou d’une policière. Ce qui est susceptible d'induire une appréciation erronée de la situation lors d’une interpellation. De plus, sur le terrain, toutes les situations sont différentes. Ça demande une grande capacité d'adaptation. Mais les agents et agentes sont entraînés pour faire face à ces problématiques.
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À quelles genre de conséquences s'exposent exactement les agents ou agentes qui «dérapent» vraiment?
Outre les sanctions pénales, ces agents ou agentes font l'objet d'une procédure administrative. Cette procédure débouche en général sur des sanctions disciplinaires, qui peuvent aller jusqu'à la révocation des rapports de service. C’est-à-dire une mise à la porte définitive.
Vous dites qu’il n’y a pas plus de violences policières qu’auparavant. Mais est-ce qu'on ne pourrait pas changer quelque chose dans le fonctionnement de la police genevoise, pour que ça n’arrive vraiment plus?
En réalité, la police genevoise évolue sans cesse, à ce niveau. Sa direction améliore constamment les processus permettant de lutter contre les violences policières. Que ce soit lors du recrutement, dans le cadre de la formation de base, ou de la formation continue. Aujourd'hui, la vidéosurveillance est en place dans une majorité des postes de police. Et nous sommes en train de regarder pour équiper les policiers et policières de bodycams (ndlr: des minicaméras à accrocher aux vêtements). De plus, toutes et tous vont bénéficier d'un meilleur suivi de carrière, et d'un encadrement adapté par des supérieurs, qui ont suivi des formations idoines.
*Madame la commandante n'a pu répondre à nos questions que par écrit, via un échange d'emails, invoquant son manque de disponibilité en raison de ses engagements. Nous avons ensuite retravaillé le texte. La présente version a été soumise, sur demande, au service de communication de la police pour validation avant d'être publiée.