Un mineur, même criminel, devrait-il croupir isolé dans une prison pour adulte? Un cas a rebondi à Genève: celui d'un Ivoirien de 17 ans, recherché en France pour avoir poignardé un éducateur et mis le feu à son foyer de Haute-Savoie.
«Le Temps» a dévoilé mardi que le garçon avait été soigné aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG) de sa blessure par balle, infligée par un policier. Avant d'être extradé dans son pays d'asile, l'adolescent vraisemblablement atteint de troubles psychiatriques se trouve dans l'aile sécurisée de Champ-Dollon.
Son avocate et les médecins dénoncent cette situation, soulignant ses besoins psychiatriques et sociaux urgents. Cette situation particulière, à l'intersection de plusieurs problématiques, pose des questions légales sur l'adaptation du modèle carcéral aux mineurs. Pour l'analyser, Blick a pris contact avec la Vaudoise Meriam Mastour, juriste spécialiste des discriminations raciales et de genre. Interview révoltée.
Meriam Mastour, que pensez-vous du traitement de ce jeune homme à Genève, tout de même accusé d'avoir poignardé un éducateur et mis le feu à son foyer?
Ce que dit la Convention des droits de l'enfant, que la Suisse a ratifiée, c'est qu'un enfant est un enfant jusqu'à sa majorité. Peu importent les crimes ou délits qu'il a pu commettre. Il doit donc être traité en tant que tel. Ce jeune se retrouve broyé entre deux systèmes qui sont tous les deux défectueux: l'asile et le carcéral.
C'est-à-dire?
En Suisse, mais aussi en France, il y a un clair manque de moyens, de formation et d'effectifs dans le système d'asile. Mais aussi une vraie souffrance du personnel. Et la volonté politique n'est pas favorable à l'accueil. C'est pareil pour le système carcéral. La prison de Champ-Dollon est la plus surpeuplée de Suisse. Des efforts sont faits pour désengorger, augmenter les effectifs et former le personnel. Mais la situation est telle qu'aujourd'hui, il est difficile de prendre en charge les détenus dans de bonnes conditions.
Pourquoi cela pose-t-il problème, spécifiquement dans le cas de cet ado de 17 ans?
Parce qu'il y a un principe de base: mineurs et majeurs ne doivent pas être ensemble. Lui, se retrouve dans une prison pour adultes. Ce que je constate, c'est que pour éviter une situation illégale, cet enfant se retrouve isolé depuis un mois. Alors même que l'isolement, selon le droit pénal des mineurs, doit rester une mesure exceptionnelle, qui dure au maximum sept jours. C'est probablement pour le protéger. Mais être avec des personnes majeures constitue un risque certain.
Et au vu de son état de santé, l'article du «Temps» affirme qu'il aurait besoin d'avoir davantage de contacts…
Ce qui est d'ailleurs un droit pour les détenus enfants. L'article 37 de la Convention des droits de l'enfant dit que les enfants doivent être traités avec humanité dans le cadre d'une incarcération, mais aussi avoir droit à des contacts avec sa famille, des correspondances et des visites. Il a été pris en charge pour ses blessures, mais pas pour ses troubles psychiatriques.
À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles... Est-ce que c'est quelque chose que vous entendez?
En ratifiant la Convention des droits de l'enfant, la Suisse a émis une réserve sur l'obligation de séparer le détenu mineur des adultes. Le comité des droits de l'enfant de l'ONU lui a explicitement demandé de la retirer, ce qu'elle n'a pas fait. On peut donc dire que la Suisse est dans une situation légale en mettant cet enfant à Champ-Dollon. Par contre, au niveau de l'isolement, j'ai du mal à voir la justification.
Vous pouvez développer?
Dans le cas d'un enfant, il y a une claire obligation pour les centres de détention d'avoir une fonction de prise en charge éducative ou thérapeutique. C'est le droit pénal des mineurs qui le dit. Mais l'autorité peut y renoncer si l'enfant n'a pas sa résidence en Suisse. C'est le cas pour ce jeune homme et pour moi, c'est problématique. Étant donné que sa situation est interétatique, puisque son arrestation s'est passée en France, sa prise en charge n'est pas adéquate.
Donc pour vous, le fait qu'il soit étranger, en l'occurrence Ivoirien, renforce la difficulté de sa situation carcérale?
Ce n'est pas uniquement le fait qu'il soit ivoirien. C'est qu'il a apparemment fait sa demande d'asile en dehors de la Suisse. En tant que migrant ivoirien mineur, pris en charge par la France et qui se retrouve incarcéré en Suisse, il a une accumulation de vulnérabilités et donc de difficultés. Et donc on peut lui appliquer des exceptions ou des traitements différenciés. Mais ce n'est pas parce que c'est légal que c'est juste.
Dans quelle mesure?
Un enfant doit être traité comme un enfant. D'autant plus si on veut qu'il puisse se réinsérer. Peut-être qu'il va obtenir l'asile en France et y rester. Mais dans quel état? Le problème général, en Suisse comme en France, c'est qu'on traite les requérants d'asile comme des criminels. De manière froide, sans prendre en compte les traumatismes liés à leur parcours ou leurs difficultés psychologiques. On ne permet pas aux personnes d'avoir un parcours de guérison, de résilience, de pardon et de retour à la société.