L'année 2024 n'est pas encore terminée, pourtant le service européen d'observation de la Terre Copernicus en a déjà la certitude: cette année sera la plus chaude jamais enregistrée. La conférence mondiale sur le climat qui se tiendra à partir de lundi en Azerbaïdjan tentera d'apporter des pistes pour freiner cette tendance haussière. Une fois de plus.
Avec ses 9 millions d'habitants, la Suisse n'a, à priori, qu'une influence limitée sur le climat mondial. Toutefois, la Confédération joue un rôle crucial quand il est question des émissions mondiales de CO2 puisqu'une part importante du pétrole et d'autres matières premières extraites dans le monde entier transitent par les cantons de Genève, de Zoug et du Tessin.
Vitol, Trafigura, Glencore, Mercuria et Gunvor sont cinq géants des matières premières implantés dans notre pays. Conscients des risques que leurs activités font porter sur leur réputation, ils publient des rapports de durabilité depuis plusieurs années et mettent la lumière sur les actions qu'ils mettent en œuvre pour réduire leurs impacts négatifs.
Mais ces rapports de «durabilité» font désormais l'objet de critiques acerbes. Dans un rapport pas encore publié, que Blick s'est procuré, l'organisation non gouvernementale Public Eye arrive à la conclusion que les groupes suisses spécialisés dans les matières premières se présentent dans leurs brochures comme plus respectueux de l'environnement qu'ils ne le sont réellement.
Grands écarts dans les émissions de CO2
Selon ce rapport, les émissions indirectes de gaz à effet de serre de Vitol, Trafigura, Glencore, Mercuria et Gunvor s'élevaient l'année dernière à 4043 millions de tonnes d'équivalents CO2. Les émissions des entreprises citées seraient ainsi presque quatre fois plus élevées que celles déclarées… et 100 fois plus importantes que celles de la Suisse entière, dont l'économie et la population rejettent chaque année un peu plus de 40 millions de tonnes d'équivalents CO2 dans l'atmosphère. Tous les groupes de matières premières ne s'en sortent pas aussi mal. Chez Gunvor, la différence entre les émissions de CO2 déclarées (422 millions de tonnes) et l'estimation de Public Eye (465 millions de tonnes) est relativement faible.
Vitol, en revanche, a déclaré des émissions de gaz à effet de serre à hauteur de 30 millions de tonnes d'équivalents CO2, alors que Public Eye arrive à 1306 millions de tonnes. Quant à Mercuria, elle a déclaré dernièrement des émissions de seulement 4 millions de tonnes de dioxyde de carbone, alors que l'organisation non gouvernementale parle de 496 millions de tonnes.
Ces écarts colossaux s'expliquent par le fait que dans leurs rapports, les négociants en matières premières ne prennent généralement en compte que les émissions de leurs propres installations de production, sans inclure les émissions produites lorsque leurs substances sont utilisées. En revanche, Public Eye a également pris en compte les émissions indirectes issues de la phase d'utilisation des matières premières négociées. On parle ici des émissions de gaz à effet de serre lors de la combustion de charbon, de pétrole et de gaz pour produire de l'énergie.
L'association des matières premières parle de «simplification grossière»
«Ces émissions ne sont pas une question secondaire, mais une partie intégrante et matérielle du modèle commercial des négociants en matières premières», indique le rapport. Mercuria, Vitol, Trafigura et Glencore n'en tiendraient guère compte. «Seule Gunvor présente des chiffres plus complets et donc plus crédibles», ajoute l'organisation non gouvernementale.
Les groupes réagissent à ces attaques de manière timide. Comme le rapport n'a pas encore été publié en détail, il n'est pas possible de se prononcer dessus, répond-on à Blick. Suissenégoce, l'association suisse des négociants en matières premières, prend carrément le contre-pied de ce rapport. Sa secrétaire générale, Florence Schurch, qualifie la méthode de calcul de Public Eye de «délibérément trompeuse». Selon elle, le rapport rejette toute la responsabilité des émissions de CO2 sur les négociants et exonère la population de toute participation. «C'est une simplification grossière qui ne tient pas compte de la réalité de notre monde interconnecté.»
Florence Schurch souligne que même l'Union européenne, connue pour ses règles environnementales strictes, ne tient pas les entreprises pour seules responsables des émissions du «scope 3», c'est-à-dire lors de la combustion des carburants. Pour elle, il est donc clair qu'«au lieu de chercher des récriminations simplistes, il faut une approche coopérative qui réunisse tous les acteurs et qui comprend aussi les commerçants, les producteurs, les consommateurs et les décideurs politiques. Cela permettrait d'élaborer des solutions communes et efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.»
Le négoce de certificats climatiques, un nouveau secteur d'activité
Il est indéniable que les groupes de matières premières ne sont pas les seuls responsables du changement climatique. Public Eye reproche toutefois aux responsables de Vitol, Trafigura, Glencore, Mercuria et Gunvor d'investir leurs milliards de bénéfices dans le développement continu des énergies fossiles au lieu de faire avancer sérieusement la transition énergétique. Dans ce contexte, l'organisation porte également un regard critique sur le commerce des certificats climatiques. Ce marché manque de transparence et est de plus en plus utilisé par les groupes de matières premières pour augmenter leurs profits. De plus, la réduction des émissions de nombreux projets est surestimée, selon les auteurs.
Public Eye cite par exemple un projet de crédit carbone de Vitol. Le groupe de matières premières a veillé à ce que 2,1 millions de réchauds à gaz soient distribués dans des pays d'Afrique subsaharienne. Comparés à un simple brasero ou à un feu ouvert, ceux-ci sont moins nocifs pour le climat et sont meilleurs pour la santé des utilisateurs. Mais tout cela n'a rien à voir avec l'altruisme. L'entreprise Vitol le précise d'ailleurs elle-même à la demande de Blick. «La décision d'investir dans ces appareils est prise de la même manière que toutes les autres décisions commerciales», écrit une porte-parole. Le commerce des certificats d'émission fait partie de la stratégie de Vitol et est géré «comme tous les autres secteurs d'activité».
Quoi qu'il en soit, grâce au commerce des compensations climatiques, les géants des matières premières ravalent leurs façades avec un bon coup de peinture verte.