Credit Suisse (CS), voire la Confédération, sont-ils menacés de plaintes à la suite de la reprise en urgence de la banque par l'UBS? C'est tout à fait envisageable. Notamment au vu du nombre de perdants dans cette affaire: les actionnaires, les détenteurs d'obligations et, enfin, les collaborateurs.
Monika Roth, experte en conformité et en droit des marchés financiers, voit toutefois peu de chances de réussite pour les plaintes: «Je comprends qu'après cette débâcle, on veuille maintenant que quelqu'un soit responsable. Mais le système juridique suisse offre à certains acteurs une importante couche de protection.»
Contrairement aux États-Unis par exemple, où une plainte contre CS est déjà en cours, la Suisse ne connaît pas le droit aux actions collectives. Celui qui veut porter plainte doit le faire seul – même si des milliers de personnes sont concernées. «Dans la plupart des cas, c'est beaucoup trop complexe et trop cher», détaille Monika Roth. Compte tenu du risque élevé en termes de coûts et de procès, elle s'attend donc à ce que des plaintes isolées soient déposées.
Et même celles-ci n'ont probablement qu'une chance limitée d'aboutir. En Suisse, il n'existe pas non plus de défenseurs des investisseurs comme en Allemagne, où la Deutsche Schutzvereinigung für Wertpapierbesitz (DSW) ou la Schutzgemeinschaft der Kapitalanleger (SdK) revendiquent haut et fort les droits des petits actionnaires.
Quelles actions en justice seraient envisageables?
Pour Monika Roth, la pression juridique la plus forte pourrait être exercée sur les membres de longue date du conseil d'administration de CS. Comme Urs Rohner, qui a siégé douze ans au conseil d'administration de CS, dont dix en tant que président.
«Le CEO et le VRP actuels n'ont probablement pas été en fonction assez longtemps», estime Monika Roth en prenant la défense – du moins juridiquement – de la direction de CS encore en place autour du président Axel Lehmann et du CEO Ulrich Körner. «Sur le plan juridique, je ne vois cependant aucun reproche justifiable.» Par ailleurs, c'est la SA qui serait lésée par une violation du devoir de loyauté et non l'actionnaire individuel. Selon Monika Roth, cela rendrait la demande de dommages et intérêts difficile.
Les gros actionnaires ne devraient pas non plus avoir beaucoup de succès avec une action en responsabilité. «Ils ont toujours voté en faveur des conseils d'administration et approuvé les rémunérations», explique Monika Roth.
La juriste rappelle qu'en 2008 déjà, lorsque l'UBS était en difficulté dans le contexte de la crise financière, une action juridique devait être engagée contre l'ancien conseil d'administration de la première banque de Suisse. Des actions en dommages et intérêts pour manquement au devoir étaient en cours et largement demandées. Mais rien n'a été fait. C'était d'ailleurs aussi le cas lors de la faillite de Swissair en 2001. Aucun membre du conseil d'administration n'a jamais été poursuivi en justice.
Une plainte contre les auditeurs – dernièrement PWC à CS, avant cela KPMG pendant des années – semble vouée à l'échec. Il faudrait que des délits clairs soient découverts a posteriori et qu'ils aient un lien direct avec le préjudice subi par un plaignant.
L'État a peu à craindre
Qu'en est-il d'une action en responsabilité de l'État? Monika Roth estime qu'une défaillance de l'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) est certes en jeu, mais qu'elle «ne devrait pas être justiciable».
Jusqu'à présent, on ne sait rien non plus d'une plainte que les plus grandes victimes de la débâcle de CS pourraient préparer. La Saudi National Bank est le plus grand actionnaire de CS. Elle a payé une action à 3,82 francs. Aujourd'hui, la contre-valeur d'une action CS est encore de 76 centimes selon l'offre d'achat de l'UBS.
La Saudi National Bank n'a pas donné suite aux demandes de contact de Blick concernant une potentielle plainte. Elle précise les points suivants dans un communiqué: «En décembre 2022, la participation de la Saudi National Bank à Credit Suisse représentait moins de 0,5% du total des actifs et environ 1,7% du portefeuille de participations.» La fusion de CS et de l'UBS n'aurait «aucun impact sur la rentabilité». Cela ne ressemble pas à un procès imminent. Les Saoudiens auraient même été prêts à soutenir CS à hauteur de cinq milliards de francs à la place de l'UBS, comme l'écrit le «Wall Street Journal».
Les actionnaires suivants de CS, Qatar Holding LLC, le groupe saoudien Olayan et le géant de l'investissement Blackrock, doivent également faire face à une dépréciation importante. Le porte-parole de Blackrock, Tristan Hahn, se targue d'un laconique «No comment» quant à une potentielle plainte contre CS.
La fondation Ethose, qui regroupe 220 caisses de pension et institutions, examine actuellement en Suisse «des possibilités juridiques pour clarifier les responsabilités de cette débâcle».