Réintégrée, elle a fait sa rentrée en catimini le 21 mars, les bras — cette fois — le long du corps, révèle Blick. Vous l’aurez compris, la référence aux membres supérieurs de cette enseignante du cycle d’orientation de Drize (secondaire 1) à Carouge n’est pas innocente: elle avait été épinglée par la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (CICAD), alertée par la famille d’un élève, dans son rapport annuel 2020. Motif: la prof avait «décidé, pour faire respecter le calme en classe, de hurler 'Heil Hitler' tout en effectuant le salut nazi», notait le document.
Selon le même texte, l’institutrice aurait également dit à ses pupilles: «Que dire de la fin de la guerre: les juifs ont récupéré des terres dans le monde entier qui ne leur appartenaient pas alors que les nazis, eux, n’ont rien eu». L’événement avait été rapporté par plusieurs médias romands en février 2021. Depuis, plus rien.
Tout au plus, la CICAD, dans sa revue annuelle 2020-2021 parue en juin 2021, mentionnait des contacts avec la cheffe du Département de l’instruction publique (DIP), la socialiste Anne Emery-Torracinta et une procédure «apparemment» ouverte contre l’enseignante. Selon nos informations, l’enseignante avait bel et bien été suspendue. Mais la voilà donc de retour.
La CICAD «choquée» par ce retour aux affaires
Le DIP confirme-t-il officiellement cette information? Que s’est-il passé? Quels sont les résultats de l’enquête? Les faits dénoncés par la CICAD ont-ils pu être vérifiés? Une sanction a-t-elle été prononcée? Porte-parole du DIP, Pierre-Antoine Preti botte en touche, invoquant des restrictions à la législation sur la transparence: «Nous ne communiquons pas sur des dossiers personnels au sens de l’art. 35 al. 2 de la LIPAD (ndlr: Loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles). Ces données font l’objet d’une protection particulière (art. 35 à 38 LIPAD) et d’un droit de communication à des tiers restreint (art 39 LIPAD)».
Joint par Blick, Johanne Gurfinkiel, secrétaire général de la CICAD, est «choqué»: «Vous m’apprenez sa réintégration. Je suis consterné de constater qu’une enseignante qui a fait l’objet de mesures disciplinaires à la suite de notre dénonciation puisse recommencer de pratiquer, dans le même collège, avec certainement les mêmes élèves, qui plus est. Comme si de rien n’était! Cette décision ne peut qu’interpeller!» Et de rappeler: «Faire un salut nazi et crier 'Heil Hitler' en classe n’a rien d’anodin, c’est quelque chose d’extrêmement violent et de scandaleux! Les sanctions doivent être proportionnées aux actes commis».
Le Conseil d’Etat sera questionné
La nouvelle fait aussi des vagues dans le sérail politique de la République. Membre de la commission de l’enseignement au Grand Conseil, Ana Roch, se montre perplexe. «Il est étonnant qu’elle récupère son poste alors que, selon mes informations, elle n’a pas vraiment présenté d’excuses ni fait son mea culpa, avance-t-elle au téléphone. Par ailleurs, c’est un peu fort de café de la remettre dans le même établissement!»
L’ancienne présidente du Mouvement citoyens genevois (MCG) compte déposer une question lors de la session parlementaire de cette fin de semaine. «Je m’interroge. Et il serait intéressant de savoir si sanctions il y a eu.» Le socialiste Romain de Sainte Marie hausse aussi les sourcils: «Si cet acte scandaleux a été confirmé par une enquête et qu’aucune mesure n’a été prise, je m’en étonne. Un geste extrêmement grave comme celui-ci ne peut pas rester sans conséquence.»
Son collègue libéral-radical Alexandre de Senarclens va plus loin encore. «Si les faits ont pu être vérifiés, alors cette enseignante n’a plus rien à faire dans le service public, lance le député, membre du comité directeur de son parti. Le DIP doit être intransigeant face à l’antisémitisme et je lui demande de prononcer des sanctions claires.» Même son de cloche du côté du député Thomas Bläsi, de l’Union démocratique du centre (UDC): «Les faits décrits au départ étaient proprement inacceptables. S’ils sont avérés, je ne comprends pas la décision du DIP. Je souhaiterais avoir davantage d’informations afin de comprendre ce qui la justifie.»
«J’espère qu’elle a été blanchie!»
La députée du Centre (ex-PDC) Patricia Bidaux lui emboîte le pas. «Tout ce que j’espère, c’est qu’elle a été blanchie après enquête, appuie cette autre membre de la commission de l’enseignement. Mais, pour moi, si elle a vraiment fait un salut nazi, alors un mea culpa ne serait pas suffisant pour pouvoir reprendre son poste. C’est une faute grave!»
La paysanne — l’une des quatre élues et élus du monde agricole au niveau cantonal — avait déposé en août 2021 une motion «pour la mise en place d’un programme scolaire pérenne de lutte contre le racisme et l’antisémitisme». «Ce texte, en cours de traitement du côté du Conseil d’État, demande davantage de prévention dans les écoles pour éviter que de tels événements inacceptables se produisent. Mais mon texte demande aussi que des enquêtes soient faites lorsqu’un cas est dénoncé.»
«Si sanctions il y a eu, c’est acceptable»
Parmi les personnes interrogées, la Verte Bénédicte Amsellem-Ossipow, elle-même de confession juive, est la plus nuancée. «S’il y a eu des sanctions, modulées selon les circonstances, c’est acceptable», estime la conseillère municipale (législatif) de la Ville de Genève.
L’élue, également membre du comité du Cercle Martin Buber, qui promeut la paix au Proche-Orient, précise toutefois: «Le geste est évidemment très grave. Il doit être considéré avec les circonstances et les prises de conscience de l’enseignante, qui doivent également être prises en compte. Ainsi, s’il y a eu une prise de conscience de sa part et qu’elle a fait amende honorable, je ne suis pas choquée par sa réintégration. Si cela n’est pas le cas, ma position serait différente.» L’avocate plaide, elle aussi, pour un meilleur suivi du personnel enseignant et des mesures de prévention.