«Madame armée», influenceuse militaire
Sur Instagram, elle raconte sa vie sous les drapeaux

Durant les 65 semaines de service qui l'ont menée au grade de lieutenant de l'armée suisse, une Fribourgeoise de 22 ans a alimenté un compte Instagram pour partager ses expériences. Pour Blick, elle explique les raisons de sa démarche.
Publié: 11.01.2022 à 00:33 heures
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Dernière mise à jour: 12.01.2022 à 13:39 heures
La jeune femme préfère rester anonyme «pour que chacune fasse son propre parcours».
Photo: Keystone
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

«Bravo Madame le Lieutenant! Toutes les expériences, bonnes ou mauvaises, forgent et forgeront l’officier que vous êtes devenue.» Les félicitations ne viennent pas de n'importe qui: c'est un divisionnaire, l'un des plus hauts gradés de l'armée suisse, qui a rédigé ce commentaire sous la dernière publication de «Madame armée» sur Instagram.

Cette jeune femme de 22 ans est sans doute la première «influenceuse militaire» de l'armée suisse. Elle avait 20 ans lorsqu'elle a ouvert son compte en mai 2020. «Je suis une future recrue féminine qui souhaite partager avec vous, mesdames (et messieurs!), son expérience militaire», avait-elle écrit en guise de message de bienvenue.

«Toutes les militaires connaissent ton compte»

Plus de 60 semaines de service plus tard, dont 22 week-ends en caserne, 35 tests Covid-19 et 350 km de marche, la recrue devenue lieutenant a achevé son parcours militaire. Sa plus grande fierté: être allée au bout de son rêve, de ne jamais rien lâché malgré un pied cassé. En plus des trois grades et trois distinctions obtenues, la visibilité obtenue sur les réseaux sociaux n'a été que du bonus pour cette Fribourgeoise. «Une fille m'a écrit: je n'ai pas croisé une militaire qui ne connaissait pas ton compte Instagram. C'était un très joli compliment.»

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Dans un café de sa capitale cantonale, «Madame armée» a accepté de raconter sa démarche et, en filigrane, son service militaire. Pour commencer, une première question: pourquoi rester anonyme? «Je souhaitais que chaque femme puisse s’identifier sans se calquer sur une autre personne», avance-t-elle. Et pour cette interview? «J'ai reçu quelques messages dérangeants, donc je préfère ne pas dévoiler mon identité. Tous les gens qui me connaissent savent qui je suis, de toute manière.»

Le fait que «Madame armée», que nous appellerons Rachel*, s'engage volontairement sous les drapeaux n'a pas étonné sa famille. C'est d'ailleurs durant le service de son frère aîné que le déclic s'est produit. «Chaque week-end, il nous rejouait toute la semaine dans le salon, se souvient-elle. J'avais l'impression de vivre le truc avec lui, donc ça m'a donné envie de le faire pour de bon.»

Le déclic: la journée d'information

Cette expérience a été en tout cas plus encourageante que la journée d'information officielle organisée par l'armée, pour lequel la jeune femme n'a presque que des critiques. «J'ai trouvé ça très nul, en tout cas dans mon canton. D'abord parce que l'on nous met avec des hommes qui n'ont pas vraiment envie d'être là, et qu'il n'y a que très peu d'informations adaptées au service féminin», critique Rachel.

La journée ne met pas à son goût l'accent sur les avantages que procure le service («les bourses d'études, par exemple»), mais se révèle surtout inutile: les recherches que la future recrue avait effectuées elles-mêmes ont été beaucoup plus instructives. Un déficit d'informations qui l'a poussée à créer son compte Instagram.

Heureusement pour elle, le recrutement a été plus adapté. «J'avais peur d'être la seule femme, et en réalité je me suis retrouvé dans un groupe exclusivement féminin de 30 recrues potentielles», explique la militaire. Une donne importante à la lueur d'une anecdote racontée par Rachel. «Le soir du recrutement, une fille s'est interrogée sur le fait d'avoir dû faire des «pompes» en sous-vêtements devant le médecin. Nous avons réalisé que c'était un comportement problématique et comme il y avait une femme gradée, nous sommes allées le lui raconter.» Pris très au sérieux, l'incident a abouti à des mesures contre l'homme en question. «Je ne suis pas sûre que nous aurions osé parler à un homme. Cela montre qu'il faut des femmes aussi dans la hiérarchie», souligne Rachel.

Un barème spécial pour les femmes, mais...

Tout au long de son service, elle réalise l'impact des structures pensées pour les hommes. A commencer par son affectation. «J'étais hyper stressée au moment du recrutement parce que je voulais absolument être conductrice de chars. Mais le barème sportif était conçu pour les hommes.» La Fribourgeoise obtiendra la distinction sportive — adaptée, elle pour les femmes —, mais cela ne suffira pas: elle sera échelon de conduite.

Une fonction peut-être moins prestigieuse à ses yeux, mais dans laquelle «Madame armée» s'épanouit. Tant bottes militaires aux pieds que sur les réseaux sociaux. «Franchement, tout se passe à merveille», écrit-elle dans des messages qui rassemblent toujours plus de monde au fil des semaines. «Surtout des femmes», précise la Fribourgeoise statistiques du compte à l'appui.

Enthousiaste, «Madame armée» poursuit son aventure sous les drapeaux. D'abord l'école de sous-officiers, puis l'école d'officiers, son rêve. D'ailleurs, féminise-t-on les grades? La question prend au dépourvu notre interlocutrice. Elle n'est pas plus au clair après avoir vérifié ses diplômes. «J'ai été sergente puis lieutenant, mais on m'a toujours dit sergent», se souvient-elle.

«LA CLAQUE»

Sur les réseaux, l'influenceuse militaire est très transparente: elle diffuse de vraies photos de son engagement. Ses camarades ont donné leur aval, tout comme la hiérarchie militaire. «Au début, on me faisait envoyer tous les contenus avant publication pour validation. À l'école de sous-officiers, on m'a fait demander une autorisation... qui est arrivée à la fin de mon engagement. Ils ont bien compris qu'ils pouvaient me faire confiance», rigole la gradée.

Pour autant, Rachel ne se prive pas de se montrer critique par moments. Par exemple lors de son école d'officiers, une expérience dont elle est loin de garder le meilleur souvenir. Pour étayer ses dires, la Fribourgeoise exhibe un carnet dans lequel elle a méticuleusement documenté sa vie militaire, semaine par semaine. À la première page de son école «d'of», une mention en lettres capitales et entourée: «LA CLAQUE».

A posteriori, la jeune femme se souvient avoir été trop stressée et s'être mise trop de pression, voulant absolument bien faire. Mais, malgré sa bonne condition physique, l'école d'officiers se passe mal. «La première semaine, nous avions un premier exercice très costaud. Nous avons dû faire 72 km de vélo de nuit avec paquetage complet, en plein mois de mars. En chemin, nous avons effectué notre premier tir au pistolet et nous avons dû faire tout le chemin du retour à vélo.»

«Vous avez fait de la merde»

«Hyper contente» d'y être parvenue, l'aspirante doit vite déchanter. «On nous a dit qu'on avait fait de la merde, désolée du terme. Nous avons dû faire un tour de la Panzerpiste en bonus, soit 12 km de plus...» Nerveusement et physiquement, la jeune femme lâche. Elle abandonne (un peu) Instagram pour se concentrer sur le travail quotidien. «Je voulais pourtant faire des posts encore plus réguliers, faire vivre mon école d'officiers comme le reste de mon aventure. Mais j'ai dû mettre la priorité sur moi-même. Et je ne voulais pas dégoûter les gens.»


Pour autant, elle ne se prive pas d'expliquer avec transparence — et dans un ultime post — avoir plutôt mal vécu la fin de son service. Une démarche saluée par un internaute: «Je trouve important de partager les bonne comme les mauvaises expériences, cela permet de faire voir la globalité de l'armée», écrit son auteur. Le divisionnaire Mathias Tüscher, commandant de la division territoriale 1 (qui regroupe tous les cantons romands et Berne), va dans le même sens dans son commentaire élogieux qu'il conclut par un «SF» (semper fidelis, «toujours fidèle», un slogan populaire dans l'armée).

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Que pense Rachel d'instaurer un service militaire obligatoire pour les femmes? La jeune Fribourgeoise n'est pas contre un service obligatoire, mais il faudrait alors repenser tout le système. «Certains hommes n'ont pas envie de faire l'armée et c'est leur droit. Certaines femmes, au contraire, pourraient être convaincues. L'important, c'est que chacun y mette du sien et surtout trouve un sens à son engagement», conclut Rachel. Le sien pourrait bien se prolonger: elle envisage de postuler pour Swissint, un organisme de promotion de la paix dans le cadre d'opérations internationales. «Mais d'abord, je vais en Allemagne puis en Angleterre pour apprendre les langues.»

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