Les féminicides représentent la majorité des homicides en Suisse. Loredana Galeoto de Laufen (BL) a survécu à une tentative de meurtre. Son mari, avec lequel elle était mariée depuis 27 ans, l’a poignardée. Elle est aujourd’hui tétraplégique incomplète à cause de cette agression.
Loredana Galeoto n'a pas connu un mariage heureux. Son mari la frappe dès sa première grossesse. Une première gifle, suivie de nombreux autres coups, accompagnés d’insultes. Le mari fumait du cannabis toute la journée, jusqu’à quinze joints. Il ne travaillait que quelques mois par an. «Il n’avait tout simplement pas envie de travailler. Il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas, et c’était la faute des autres», raconte Loredana Galeoto. «Ou la mienne.» Elle était alors battue, poussée, frappée, attrapée, secouée. Elle travaillait pourtant toujours, s’occupait des enfants, faisait le ménage, la lessive, la cuisine. «Et il me demandait de l’argent à la fin du mois pour fumer ses joints.»
«Il m’a persuadée que j’avais tort»
Elle est restée pour ses deux filles. «J’ai toujours eu l’espoir que les choses s’améliorent.» La Bâloise manquait de confiance en elle à force d'être humiliée par son mari: «Il me persuadait que j’étais fautive.» Les deux dernières années, elle dormait dans la chambre de sa fille «parce qu’il me réveillait parfois la nuit et m’insultait puisqu’il n’arrivait pas à dormir. Il me disait: 'Tu ne t’occupes pas de moi et tu te contentes de dormir.' Il me donnait des coups de pied à cause de ça.» Les filles ont fini par être témoins du traitement que leur père infligeait à leur mère. «Quand elles sont devenues adolescentes, elles sont intervenues verbalement et il les a aussi rabaissées. Mais il n’a jamais touché un seul de leurs cheveux. Je préférais que ce soit moi qui prenne les coups. S'il avait levé la main sur nos filles, j’aurais peut-être fini par le tuer.»
Par deux fois, Loredana Galeoto avait porté plainte, avant de se rétracter. «Il m’avait menacée de me faire encore plus de mal, ou de blesser nos filles.» Alors elle est restée, elle a tenu bon. «Mais j’ai toujours su que je partirais quand les enfants seraient grands.»
Enfermée, téléphone portable et clés confisqués
La fille aînée a déménagé directement après son apprentissage. Loredana Galeoto, qui avait développé un trouble alimentaire par frustration, a commencé à s’occuper davantage d’elle-même. «J’ai fait du sport et j’ai perdu plus de 30 kilos.»
Lors de l'été 2018, elle a eu deux semaines de vacances. Elle a passé la première à la piscine avec des amies et sa fille. «Mais cela ne lui convenait pas. Il m’a dit que je m’y pavanais. Il était extrêmement jaloux depuis que j’avais perdu du poids.» Son mari l'enferme alors dans l’appartement, lui prend ses cartes bancaires, son téléphone portable et ses clés. «J’ai passé la deuxième semaine de vacances à l’intérieur à faire le ménage pour lui.»
La fille cadette a tout raconté à l’aînée. Celle-ci a demandé à un ami de la police ce qu’il fallait faire et a tout enregistré. «Ma cadette est rentrée à la maison et m'a dit: 'Maman, ce soir, on s’enfuit.'» Elles ont quitté l’appartement la nuit en passant par le jardin. «Et Dieu merci, les chiens sont restés calmes.» Les deux femmes en pyjama ont été récupérées en voiture par la fille aînée et emmenées dans un appartement à la campagne où elles ont pu passer la nuit. Le matin, à 8h, elles se sont présentées au poste de police pour porter plainte.
La police s’est rendue chez l’homme et l’a emmené. Il a été placé en hôpital psychiatrique.
Un harcèlement permanent
Pendant ce temps, Loredana Galeoto a déménagé ses affaires dans un nouvel appartement qu’elle louait à Röschenz (BL). Elle n’était malheureusement pas arrivée au bout de ses peines. «La première fois qu’il s’est enfui, j’étais encore en train de défaire mes valises dans l’ancien appartement. Les policiers sont venus me chercher.» Quelques heures plus tard, son mari était arrêté sur la terrasse du jardin en train de fumer un joint, et ramené à l’hôpital psychiatrique.
Lorsqu’il s’est enfui la deuxième fois, on l’a laissé en liberté. «Les responsables ont dit qu’il n’était pas un cas adapté pour la détention psychiatrique, un élément qui a joué en ma faveur lors du procès.»
Après sa deuxième fuite, le mari de Loredana l'a traquée. «Il apparaissait là où je faisais mes courses. Il s’asseyait soudain en face de moi dans le bus. Il savait quand j’allais à mon cours de danse et m’appelait jusqu’à ce que je le bloque.» Des coups, il n’y en a pas eu pendant cette période mais il la suivait partout, jusqu’à ce qu’il découvre même où elle avait emménagé. Malgré l’interdiction de contact et l’ordre d’éloignement – dont il n’avait de toute façon rien à faire – il a exigé d’avoir accès au nouvel appartement. Il voulait voir le chien. «Il m’a dit qu’il rentrait tout de suite à la maison, qu’il avait pris cette décision. Il n’avait toujours pas compris que j’avais tiré un trait sur notre relation.» Lorsqu’elle lui a expliqué cela, les menaces sont devenues plus concrètes: il a sous-entendu qu’il avait la possibilité de la tuer ou de la blesser au point de la faire vivre en fauteuil roulant. «Il m’a alors montré un pistolet en disant que le premier coup m’était destiné. Il a répété ça à mes filles.»
«Papa a dit qu’il ne te ferait pas de mal si tu revenais à la maison»
Loredana Galeoto a compris qu’elle était en danger de mort. «Je me disais: il va me faire du mal. Ce n’est qu'après ça que je pourrai sortir de cette relation.» Elle a déménagé temporairement chez un partenaire de son cours de danse. «Il était le seul qui voulait bien m’accueillir. Tous les autres avaient peur de mon mari.»
Au bout de deux semaines, sa fille l’appelle: «Papa a dit qu’il ne te ferait pas de mal si tu revenais à la maison. » Loredana n'y croyait pas, mais sa fille était persuadée que son père était sincère. Puisque Noël approchait, la mère de famille passe les fêtes avec ses filles. Une journée que Loredana a particulièrement appréciée: «J’ai dit à ma cadette que nous devrions faire quelque chose d’agréable ensemble. Nous sommes donc allées jouer au billard et fumer la chicha avec ses amies, nous avons tellement ri.»
Le 27 décembre 2018, Loredana Galeoto donnait un coup de main dans la boutique de sa belle-mère. Son mari est passé en titubant. Il a ensuite retiré de l’argent, acheté un couteau à la Migros et est parti à la recherche de sa femme. «Je n’ai senti que son poing sur ma nuque, je n’avais pas compris qu’il y avait planté un couteau. Je me suis effondrée au sol, je suis restée immobile. Je lui ai demandé ce qu’il m’avait fait. Il s’est penché vers moi et m’a dit, après m’avoir poignardé: 'Tu l’as bien cherché.'»
«Il m’a pris ma vie»
Aujourd’hui, Loredana est gravement handicapée physiquement. «Il m’a pris mon ancienne vie. Les gens me voient peut-être rire dans mon fauteuil roulant et être forte malgré tout. Mais mes mains ne fonctionnent pas correctement, mes poumons ont été endommagés, mes intestins et ma vessie ne fonctionnent plus du tout. Récemment, je suis retournée à l’hôpital pour une occlusion intestinale.» Elle maudit son mari lorsqu’elle laisse tomber quelque chose ou lorsqu’il lui vient à l’esprit qu’elle ne pourra plus jamais danser. Pourtant, elle a fait sienne cette douleur: «Il m’a rendue forte. Et je suis enfin à nouveau libre.» Depuis, elle a rencontré un nouvel homme pendant sa rééducation.
Rétrospectivement, elle affirme avoir manqué d’aide. «La police connaissait mon cas. Mais elle m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire tant que rien de grave ne s’était produit.» Aller dans un foyer pour femmes et se cacher toute sa vie n’a jamais été une option pour elle. Son ex a été condamné à quinze ans de prison.
Aujourd’hui, elle profite à nouveau de la vie. Elle vit à Laufen dans un appartement accessible en fauteuil roulant et jouit d'une autonomie pour une grande partie des tâches quotidiennes. Malgré cela, elle ne peut s'empêcher de se demander: «Pourquoi n’a-t-on pas pu me protéger davantage?»
(Adaptation par Lliana Doudot)