L'opposition comme seule identité?
L'UDC, un parti tout simplement à contre-courant

Qu'il s'agisse de la guerre en Ukraine ou des mesures de lutte contre le Covid-19, l'UDC surfe toujours à contre-courant. S'agirait-il de la seule véritable ligne politique du parti? Et surtout, qui la trace?
Publié: 19.03.2022 à 06:41 heures
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Dernière mise à jour: 19.03.2022 à 07:07 heures
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Qui dirige vraiment l'UDC, et décide de la ligne de parti? Photo: le conseiller national Roger Köppel au téléphone.
Photo: keystone-sda.ch
Pascal Tischhauser

Pendant des décennies, l’UDC a relayé au rang de «communistes» et d'«agents de Moscou» quiconque était, selon le parti bourgeois, trop «à gauche». Et voilà que Vladimir Poutine initie une guerre d’invasion contre son pacifique voisin le 24 février dernier. Et voilà que les agrariens retournent leur veste, ne condamnant que mollement et prenant parfois ouvertement la défense du dirigeant russe. Qui sont les agents de Moscou à présent?

Et surtout comment et pourquoi? Qui décide de la ligne politique du parti? «Herrliberg», «Herrliberg», «Herrliberg» clament à l’unisson nos sources à l’interne, qui craignent un blâme du parti et souhaitent rester anonymes.

Herrliberg, commune lacustre zurichoise, le fief de Christoph Blocher – le maître à penser du parti.

«Toute le monde danse au rythme de Christoph Blocher»

Selon nos sources au sein de l’UDC, c’est toujours l’ancien conseiller fédéral et conseiller national qui dicte sa loi parmi les membres du parti.

Un membre témoigne: «L’exemple suivant montre à quel point Christoph Blocher est encore puissant. Lors d’un repas du groupe parlementaire de l’UDC, le ministre de l’Économie Guy Parmelin lui-même est venu remercier son prédécesseur pour ses précieux conseils, qu’il prodiguerait aux membres du Conseil fédéral actuellement en place.» «Tout le monde danse au rythme de Blocher», confie un autre membre, qui souhaite lui aussi conserver l’anonymat.

Martullo, Keller, Köppel: fidèles parmi les fidèles

Mais comment Blocher peut-il encore exercer un tel pouvoir? D’une part, le patriarche du parti peut compter sur des sbires très loyaux aux divers postes de vice-présidence. À commencer par sa fille, Magdalena Martullo-Blocher.

Et puis, il y a l'émission web nommée «Teleblocher», à travers laquelle il diffuse sa pensée. Et puisqu'on parle de l'influence médiatique, impossible de ne pas citer le fidèle parmi les fidèles et éditeur de la «Weltwoche», Roger Köppel. Le conseiller national orchestrerait la diffusion de la propagande du parti dans les médias mainstream à travers le journal hebdomadaire, autrefois de gauche. D’autres sources internes attribuent quant à elles un rôle important à Peter Keller, secrétaire général de l’UDC et plume qui signe les discours de Christoph Blocher.

Marco Chiesa, un pion parmi d’autres

Qu’en est-il de Marco Chiesa, actuel président de l’UDC Suisse? Chose étrange: malgré son grade, le nom du Tessinois n’est jamais évoqué par nos sources lorsqu’on demande qui véritablement est au guidon du parti.

Et Thomas Aeschi? Le chef du groupe parlementaire a une réputation de battant, qui connaît les dossiers sur le bout des doigts. Mais lui non plus ne serait rien de plus qu’un exécutant des ordres de «Herrliberg». Son dérapage au Conseil national était-il, lui aussi, orchestré par Blocher? Les membres du parti le nient, considérant cet événement comme un véritable incident.

Incident qui n’illustre que trop bien le trafic d’influence qui s’opère au sein du parti: à peine le Blick avait-il rapporté la diatribe d’Aeschi que la «Weltwoche» volait déjà au secours de ce dernier en publiant une colonne d’excuses.

Une machine qui s'inverse aussi: si un membre du parti fait des déclarations mal perçues à «Herrliberg», c’est la «Weltwoche» qui le met au pilori. Pas étonnant donc qu’aucune voix UDC n’ose s’élever contre la ligne pro-russe qu’affiche actuellement le journal – et le parti.

Une position incompréhensible sur la guerre en Ukraine

Mais comment la direction de l’UDC en vient-elle à penser que la Confédération a eu tort de se joindre aux sanctions de l’UE? «En premier lieu, l’UDC veut être contre le courant dominant – et contre le Conseil fédéral, dit quelqu’un que nous ne nommerons pas, mais qui est bien placé pour le savoir. Mais la base ne le comprend pas!» Presque tous les pays condamnent la Russie – et la Suisse devrait rester à l’écart?

L’affirmation selon laquelle la Suisse aurait ainsi abandonné sa neutralité est une «connerie» (sic): «Les membres ordinaires de notre parti sont remontés contre nos parlementaires!» Certains sont convaincus que cela coûtera des sièges à l’UDC lors des élections bernoises, dans dix jours, puis lors des élections fédérales de 2023.

«Herrliberg ne laisse rien au hasard»

Mais selon toute vraisemblance, cela n’entamera pas le pouvoir de Blocher. «Il va même déterminer qui succédera à Ueli Maurer quand celui-ci se retirera du Conseil fédéral.» Qui va-t-il désigner? «Probablement Toni Brunner», dit un membre du groupe. Le paysan du Toggenburg (SG) continue de jouer un rôle étrange et occupe toujours des positions importantes dans les organes internes du parti.

«Toni? Peut-être, mais seulement si Magdalena ne veut pas être conseillère fédérale», avance une politicienne. La fille de Christoph Blocher aurait largement contribué à se débarrasser d'un adversaire présumé pour un siège UDC au Conseil fédéral: «Elle a parqué Albert Rösti comme président chez Auto-Suisse.»

Comme quoi, à «Herrliberg», rien n’est laissé au hasard.

(Adaptation par Daniella Gorbunova)

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