Alors que l’hiver s’approche, où en est la Suisse sur le front du coronavirus? L’augmentation rapide du nombre de cas et la lenteur de la vaccination suscitent l’inquiétude.
Jan Fehr est l’infectiologue et expert en santé publique à l’Université de Zurich. Il s’inquiète devant la lenteur de la campagne de vaccination.
La semaine prochaine, la semaine nationale de vaccination, proposée par Conseil fédéral, aura lieu. Pensez-vous que ce sera un succès?
Jan Fehr: Je l’espère. Il est plus important de parvenir à un meilleur taux de vaccination. On a clairement pu se rendre compte dernièrement que les cantons avec une mauvaise couverture vaccinale ont subi une augmentation des cas. Quant au vaccin de rappel, je suis content que l’on puisse le proposer en Suisse. Toutefois, cela ne suffira pas à nous tirer d’affaire.
Les cas d’infection post-vaccinale se multiplient. Cela ne devient-il pas un problème?
Toute personne ayant déjà été vaccinée deux fois est très bien protégée contre les cas graves. Il existe des personnes dont le système immunitaire n’est plus aussi efficace, notamment des personnes âgées, qui doivent pouvoir bénéficier de la vaccination de rappel. Dans ces cas-là, on pourra empêcher les cas d’infections post-vaccinales.
Pensez-vous que les personnes vaccinées ou guéries devraient être soumises à des tests lors de leur retour sur le territoire Suisse?
En termes de sécurité sanitaire, ce serait bien, mais cela ne semble pas nécessaire pour le moment. Et un nouveau tour de vis de ce genre risque de braquer la population. Cela entraînerait une incertitude inutile et pourrait dévaloriser la vaccination. La présence de la vaccination et du statut de personne guérie restent pour l’heure de bonnes solutions.
Les infections post-vaccinales sont pourtant une réalité. Comment protéger les groupes particulièrement vulnérables?
Dans les situations où l’on doit entrer en contact avec ces personnes, par exemple celles qui sont affaiblies après une chimiothérapie, il faut en effet jouer la sécurité absolue. On pourrait imaginer devoir tester des personnes vaccinées ou guéries dans ce genre e cas.
Est-il possible que les infections post-vaccinales aient lieu à cause du variant Delta plus?
Il est difficile de l’évaluer pour l’instant. Même s’il n’est que légèrement plus contagieux, la situation reste fragile et peut redevenir incontrôlable.
Les infections post-vaccinales, Delta plus, le temps froid qui revient… Le terrain est à nouveau propice au Covid. Êtes-vous inquiet?
Oui, je suis inquiet. Mais j’ai encore l’espoir que nous pourrons nous en sortir sans nous retrouver dans une autre vague. Pour cela, il faut que le taux de vaccination augmente et que les mesures actuelles soient pleinement utilisées et mises en œuvre.
Voulez-vous dire que nous ne respectons pas les mesures?
Par rapport aux pays voisins, nous sommes plus laxistes. Je suis récemment rentré d’Italie en Suisse avec le train via Chiasso. Personne n’a demandé à voir mon certificat ou le formulaire d’inscription, tous deux pourtant obligatoires. Personne n’a été contrôlé dans tout mon wagon. En Italie, je devais montrer le certificat dès que je montais dans un train. La Suisse a encore une grande marge d’amélioration. Je vis des choses similaires en Suisse dans la vie de tous les jours.
Qu’est-ce que vous entendez par là?
Le port du masque obligatoire et le maintien de la distance sociale sont de moins en moins respectés. Je ne peux pas étayer cela par des chiffres, ce sont mes observations personnelles. La situation devient confuse et une érosion des mesures sanitaires s’installe. De nombreuses personnes qui entrent dans un restaurant ne prennent plus la peine de porter le masque jusqu’à la table.
N’est-il pas compréhensible que les gens veuillent revenir à la normale?
Oui, c’est compréhensible. Moi aussi c’est ce que je veux. Et c’est précisément la raison pour laquelle nous devons mettre en œuvre de manière cohérente des mesures qui ont fait leurs preuves. Cela comprend la vaccination et le certificat. Ce sont des mesures raisonnables par rapport à un confinement.
D’autres pays ayant des taux de vaccination nettement plus élevés que la Suisse ont déclaré que la pandémie était terminée. Que pouvons-nous faire?
Tout ce qui est en notre pouvoir pour ne plus être en queue du peloton européen en matière de vaccination… En Suisse, nous avons une approche assez crispée autour de la vaccination. Parmi mes collègues professionnels étrangers, il m’arrive même de ne plus oser m’afficher comme Suisse. Ils ne comprennent pas pourquoi la campagne vaccinale est une telle catastrophe, alors que la Suisse est souvent exemplaire à d’autres égards.
Quel est votre avis sur la question?
J’ai des débuts de pistes qui l’expliquent. Le fait que notre société n’a pas été aussi durement touchée que l’Espagne ou le Portugal, par exemple. Il est aussi possible que les Suisses se permettent de refuser le vaccin parce qu’ils savent que, grâce à nos très bons hôpitaux, ils auront toujours une bonne couverture hospitalière s’ils tombent gravement malades.
Le Conseil fédéral a voulu justement inciter à la vaccination en rendant les tests payants…
Le but des tests payant était de faire comprendre que les coûts engendrés par ceux-ci n’étaient plus acceptables pour le contribuable si la vaccination était disponible comme alternative. Cette décision aurait cependant dû être accompagnée d’autres mesures avant de ne pas manquer son objectif.
Quel genre de mesures?
Un contrôle cohérent des certificats, par exemple. Et le fait de ne pas retirer son masque tant que le certificat n’est pas présenté. Bref. Nous sommes actuellement en train de tourner en rond et de nous mettre complètement hors-jeu en comparaison internationale. Les conséquences seront négatives pour la santé de la population, mais aussi pour le tourisme hivernal et l’économie dans son ensemble.
(Adaptation par Alexandre Cudré)