Pour lui, il y a le feu au lac. Pas question d'admirer le rougeoiement du soleil dû au nuage de fumée provenant des incendies au Canada sans être conscient du danger. Dans ce cas précis, le risque est limité tant les nuages sont en hauteur. Leur arrivée était prévue jeudi dans la soirée, mais la date de départ reste inconnue.
Les flammes en Amérique du Nord durent depuis plusieurs mois, polluant l'air des grandes villes. Quelque 500 incendies de forêt sont actuellement actifs au Canada. La moitié sont considérés hors de contrôle. Le Québec, notamment, vit depuis début juin une saison des feux historiques et particulièrement précoces.
Le bois qui flambe est en fait un problème de santé public majeur et un désastre écologique. La communauté scientifique s'accorde à le dire, mais les médias en parlent rarement.
Directeur du Laboratoire des processus atmosphériques et de leurs impacts (LAPI) à l’EPFL, le professeur Athanasios Nenes est reconnu dans le monde académique. Le chercheur en environnement participe avec son équipe à améliorer les prévisions environnementales européennes. Son projet PyroTRACH, financé par le Conseil européen de la recherche, étudie l'impact de la combustion de la biomasse (l'ensemble du règne animal et végétal) sur les précipitations, le climat et la santé publique. Interview.
Pensez-vous que l'on puisse apprécier les couleurs du coucher de soleil, si celles-ci proviennent de drames comme les incendies au Canada?
C'est une question très personnelle. Scientifiquement, les rougeurs du soleil proviennent du fait que les particules de fumée ont une taille qui laisse passer plus de lumière rouge que d'autres couleurs. Je serai toujours en admiration devant la beauté d’un coucher de soleil rougeoyant. Par contre, je garde à l’esprit que les feux de forêt en sont la cause et qu’il faut à tout prix les éviter. Je considère cette beauté comme un rappel des effets désastreux du réchauffement climatique.
Comment les nuages sont-ils arrivés jusqu’en Suisse?
Lors de feux intenses, des nuages se forment et font grimper la fumée en hauteur dans l'atmosphère. À cette altitude, les nuages voyagent efficacement tout autour du globe grâce à de forts vents dominants. En quelques jours, ces courants ont mené les fumées à travers l'Atlantique jusqu'aux côtes européennes, puis dans les terres jusqu'en Suisse et à la Méditerranée.
Mais ces nuages de particules sont trop hauts pour avoir des conséquences néfastes sur notre santé, c'est juste?
La question de la santé, tout le monde se la pose. Nous l'avons montré, les fumées qui séjournent quelques jours dans l'atmosphère tendent à être très toxiques. Dès qu'elles descendent au niveau du sol, la toxicité de l'air ambiant augmente. Cela nous affecte tous. L'inhalation de fumée provoque stress oxydatif et inflammation dans tout le corps, augmentant les risques d'asthme, d'infarctus, d'AVC et d'autres pathologies. De plus, la fumée contient des substances cancérigènes. L'exposition croissante pourrait augmenter le risque de cancer.
Dans ce cas précis, il n'est pas prévu que les panaches descendent en quantités significatives. Il n'y a donc pas de risque sérieux pour la santé publique en Suisse. Néanmoins, les particules finissent par atteindre le sol. Et s'il pleut, comme prévu aujourd'hui, leurs composants toxiques retombent dans l'eau de pluie. Ils s'intègrent alors à l'écosystème, affectant le sol et les eaux souterraines.
Et quel est l'impact sur l'environnement en Suisse?
Beaucoup d'effets vont au-delà de la santé humaine. Au sol, la fumée de bois peut agir comme engrais. Mais elle contient aussi du carbone noir — ou suie — et d'autres substances absorbant la lumière. Ainsi, lorsque ces particules «sombres» se déposent sur la neige et la glace, elles accélèrent leur fonte. En Suisse, ce phénomène est particulièrement préoccupant pour nos glaciers et nos neiges éternelles. Pour les mêmes raisons, les particules de fumée contribuent au réchauffement des couches supérieures de l'atmosphère. Elles peuvent aussi perturber la formation des nuages. Modifier leur capacité à précipiter et à réfléchir la lumière du soleil vers l'espace et refroidir le climat.
Que ce soit accidentel, industriel ou même pour notre consommation personnelle, devrions-nous arrêter purement et simplement de brûler du bois?
C'est certain que nous devons diminuer la combustion du bois. Plus la planète se réchauffe, plus les incendies sont puissants et nombreux. Nous ne disons pas qu'il ne faut plus le faire du tout, mais même si c'est joli, mais il y a plus efficace que les cheminées individuelles.
Ce n'est pas très réjouissant...
Ce message peut paraître négatif, mais l'ignorance et l'inaction ont de lourdes conséquences. L'Organisation mondiale de la santé estime que plus de 400 000 personnes meurent prématurément en Europe en raison de l'exposition à la pollution atmosphérique. La fumée de bois constitue parfois jusqu'à 50 % de cette pollution. L'espérance de vie a atteint 80 ans. Sur une telle durée de vie, l'exposition aux feux de forêt et au chauffage domestique au bois augmente le risque de cancer et d'infarctus.
Essayez donc de minimiser votre contact avec la fumée lorsque du bois brûle. Si vous sentez cette odeur, évitez-la. Et portez un masque si vous le pouvez, pour éviter d'inhaler des particules toxiques.