La nouvelle cible des banques et des assurances en matière de prévoyance vieillesse? Il suffit d'observer les publicités. «Pour éviter les pertes de rentes à la retraite, misez sur la prévoyance individuelle», argumente Axa pour convaincre les femmes de constituer un troisième pilier. «C'est la femme qui décide — surtout en matière de prévoyance», clame un assureur sur une affiche.
Une conseillère financière de la Banque cantonale de Zurich va même jusqu'à se mettre en scène: «Voilà le conseil que je donne à ma meilleure amie: pilier 3a, pilier 3a, pilier 3a!» Une liste que l'on peut rallonger à souhait.
Pourquoi une telle offensive des assureurs? Parce que le déficit des rentes des femmes est actuellement au coeur de l'actualité, notamment dans la perspective du vote sur AVS21 en septembre.
On le sait: les rentes des femmes sont largement moins grandes que celles des hommes. Il n'y a qu'à voir les chiffres de la Confédération pour prouver ce que l'on appelle le «Gender Pension Gap»: le fossé représente 37% des rentes AVS, soit près de 20'000 francs par an.
«Du pur cynisme!»
L'exploitation de cette lacune à des fins publicitaires fait hurler la gauche. La vociférante conseillère nationale Jacqueline Badran mène la fronde: «C'est du pur cynisme! Comment une vendeuse, une coiffeuse ou une éducatrice de la petite enfance pourraient-elles cotiser au 3e pilier alors qu'elles doivent compter chaque franc à la fin du mois?»
La Zurichoise estime qu'il s'agit d'un «féminisme de bas étage»: à peine 11% de la population verse le montant maximal dans le pilier 3a, rappelle «Jacky» Badran. Les femmes, qui sont les plus touchées par la faiblesse des rentes, disposent d'une prévoyance professionnelle «au mieux faible, sinon inexistante» et ne peuvent pas se permettre un troisième pilier: «La stratégie, à droite, c'est que l'AVS soit financée par la TVA et un âge de la retraite plus élevé.»
Notre portrait de la Zurichoise
Des critiques qui trouvent un écho de ce côté-ci de la Sarine, en particulier dans les milieux syndicaux. «La propagande des assureurs est machiavélique, abonde le Vaudois Benoît Gaillard, de l'Union syndicale suisse. D'un côté, ils crient à la catastrophe pour l'AVS. De l'autre, ils cherchent à vous vendre des produits qui leur rapportent de l'argent.»
Une privatisation des retraites?
Le nerf de la guerre, c'est le côté solidaire de l'AVS: les employeurs y cotisent et les hauts revenus participent à financer une partie des petites retraites: «Ce que les assureurs et les banquiers veulent cacher, c'est qu'ils ne gagnent rien sur l'AVS… On comprend bien l'alliance qui se noue pour l'affaiblir.» Alors que renforcer les rentes est «immédiatement utile» pour ceux qui ne peuvent pas se payer un 3e pilier, insistent les deux socialistes.
Pour Jacqueline Badran et Benoît Gaillard, c'est un enjeu de fond, qui dépasse ces seules publicités pour le 3e pilier: lutter contre la tendance à une prévoyance toujours plus individuelle et moins solidaire. «Il faut appeler les choses par leur nom: le lobby des assureurs et des banquiers veut pousser à la privatisation de l'assurance vieillesse», résume Benoît Gaillard, responsable de la communication et des campagnes à l'Union syndicale suisse.
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À droite, ce marketing qui vise les femmes ne dérange pas. Du moins à entendre la conseillère nationale PLR Regine Sauter. «Nous avons un système à trois piliers, chacun est important», estime la Zurichoise, pour qui la revendication de la gauche pour une extension de l'AVS passe mal: «Le problème du déficit des rentes des femmes se situe au niveau du deuxième pilier, c'est donc là que nous devons intervenir.»
«Les femmes doivent travailler à plus de 50%»
La candidate à la succession de Ruedi Noser (démissionnaire) aux États souhaite abaisser la déduction dite de coordination, voire la supprimer complètement, afin que davantage de salaire soit soumis à la LPP. Cela permettrait aux bas revenus et aux personnes travaillant à temps partiel, dont une majorité de femmes, de se constituer une meilleure retraite. Regine Sauter se prononce également en faveur d'un renforcement du troisième pilier — par exemple via la possibilité de cotiser pour le conjoint qui n'exerce pas d'activité professionnelle.
Mais le plus important, selon l'élue PLR, est de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale: «Les femmes doivent pouvoir travailler à plus de 50% — cela réduirait aussi le déficit des rentes.»
Même son de cloche du côté de l'Association suisse d'assurances (ASA). «Notre système des trois piliers est équilibré dans la pondération entre solidarité et responsabilité individuelle, explique à Blick le porte-parole Jan Mühlethaler. Le mélange de prévoyance étatique, professionnelle et facultative est et reste un modèle de réussite pour la Suisse, même si les valeurs de référence des différents piliers doivent être adaptées.»
Le sujet chaud de l'automne
Le montant des rentes dépendrait fortement des parcours de vie et des décisions individuelles. L'association voit un besoin d'adaptation en particulier dans le deuxième pilier — par exemple via un seuil d'entrée plus bas et la remise en cause de la déduction de coordination. L'association s'oppose à une extension générale de l'AVS.
Dans tous les cas, la prévoyance vieillesse est l'un des sujets chauds de l'année politique. En septembre, le peuple doit voter sur la réforme de l'AVS (AVS 21), marquée en particulier par le relèvement de l'âge de la retraite des femmes à 65 ans.
Alain Berset, en sa qualité de ministre chargé de la Santé et des Affaires sociales, lancera la campagne lundi à ce sujet. La réforme de la prévoyance professionnelle (LPP), elle, fait l'objet de vives discussions au Parlement. Et pour le troisième pilier, le camp bourgeois voudrait faire augmenter les cotisations maximales, déductibles des impôts. Affaire à suivre...