Les prix du papier ont triplé
Les producteurs suisses de papier pris au dépourvu

La pandémie de coronavirus a provoqué un boom de demande de papier à recycler en carton. Une forte demande qui a pris de cours les producteurs suisses de papiers graphiques et les entreprises de recyclage. Le prix du papier a presque triplé en un an.
Publié: 06.07.2021 à 21:24 heures
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Le papier à recycler se fait rare dans le monde entier provoquant une augmentation des prix de leur rachat.
Photo: STEFAN BOHRER
Levin Stamm

Vous regarderez d’un autre oeil les liasses de vieux papiers et journaux qui traînent dans les rues ou les poubelles après la lecture de cet article. Leur valeur est en ce moment bien supérieure à ce que vous pourriez croire.

À cause d’une perturbation du secteur du papier depuis l’année dernière, le prix de cette matière première a presque triplé en Suisse. La raison principale: la pandémie de coronavirus et la fermeture des commerces physiques dans toute l’Europe. Ces contraintes ont poussé les consommateurs à changer leurs habitudes et à commander davantage en ligne, faisant exploser la production de colis d’emballage en carton.

Ce changement d’habitudes a un coût. L’expédition de marchandises commandées en ligne nécessite des quantités titanesques de boîtes en carton. Les plus grandes papeteries/entreprises de production de papier d’Europe achètent en masse des matières premières pour répondre à la forte demande.

Le marché du papier est à sec

Cette hausse de demande de déchets de papier pour produire du carton pénalise les fabricants de papier. Ces derniers ne parviennent plus à mettre la main sur suffisamment de déchets de papier pour les recycler. Pas question non plus de se rabattre sur ces tonnes de carton produites: si le papier peut être transformé en carton, l’inverse n’est malheureusement pas possible.

«Le papier transformé en carton est donc perdu pour le cycle de recyclage et de production de papiers graphiques (les papiers de presse et les papiers d’impression d’écriture, ndlr.)», explique Alain Probst, directeur général de la plus grande entreprise de recyclage des déchets de papier de Suisse. «C’est la première fois que la situation est aussi tendue depuis 30 ans».

Alain Probst siège également au conseil d’administration de la société lucernoise Perlen Papier – la dernière usine de production de papiers graphiques de Suisse – où il est responsable de l’approvisionnement en matières premières. Dans cette fonction également, la pénurie de vieux papiers le préoccupe. La production a été réduite. Un arrêt de production d’une semaine n’a pu être évité que grâce à des quotas supplémentaires.

De meilleurs prix à l’étranger

En plus de la crise sanitaire, la baisse globale de production de papier a également pesé sur le secteur. Au début de cette année, la production de déchets papier a baissé de 40%, à cause d’une baisse de l’impression du matériel publicitaire et du volume des journaux et magazines distribués. Ce manque à gagner n’a à ce jour pas été comblé.

La Suisse continue pourtant d’exporter des déchets de papier à l’étranger. «Les matières premières sont expédiées dans le monde entier car la demande de papier à recycler est partout très élevée!», déclare Beat Kneubühler, directeur général de l’association Recycling Papier und Karton. Les petits producteurs suisses sont laissés pour compte dans ces transactions.

L’équilibre entre les exportations et importations de déchets de papier est bancal en Suisse. Les fabricants continuent d’exporter massivement des déchets de papier vers les autres pays mais en ont importé beaucoup moins l’année dernière. La solution pour combler la pénurie ne serait-elle donc pas de diminuer les exportations? Pas vraiment pour Beat Kneubühler, car: «de nombreux négociants suisses de papier à recycler souhaitent maintenir leurs relations commerciales avec les pays étrangers.» Une des raisons est également économique: les producteurs suisses peuvent souvent vendre leur matière à de meilleures conditions à l’étranger.

Un marché opportuniste

Les acheteurs de papiers graphiques paient le prix de cette pénurie de ressources. Le «Migros Magazine» (le magazine qui a le plus grand tirage en Suisse après la «Coop Zeitung») a récemment annoncé qu’il allait réduire le nombre de ses numéros pendant plusieurs semaines.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres. À Weinfelden (TG) et Niedergösgen (SO), le groupe Model recycle chaque année près d’un demi-million de tonnes de déchets de papier et de carton. Aujourd’hui, l’entreprise vend une tonne de carton usagé à 140 francs, soit cinq fois plus qu’au début de la pandémie! Le PDG Daniel Model le sait: «Le marché de récupération du papier est un marché opportuniste». Les papeteries étrangères achèteraient des déchets de papier à la Suisse à des «prix très élevés».

«Trop de déchets finissent encore dans l’incinérateur»

Mais comme le prix de ses produits finis a doublé en l’espace de dix mois, l’entreprise de Daniel Model est en bonne position en comparaison. La tendance européenne à l’achat en ligne a donné un coup de pouce à son modèle commercial. Daniel Model déclare: «Nous avons même pu augmenter les ventes pendant la pandémie».

Le secteur s’accorde à dire que la situation ne s’améliorera que lorsque le cycle du papier sera à nouveau fermé. Dans de nombreuses régions d’Europe, la pandémie a interrompu ou ralenti les systèmes de collecte. «Trop de déchets de papier finissent encore dans l’incinérateur», déclare Daniel Model. Une opportunité manquée de les valoriser.


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