Les perdants et les gagnants en Suisse
Le franc est fort, l'euro est faible: quelles sont les conséquences?

Le taux de change franc/euro se situe à un niveau historiquement bas. Les marges des exportateurs en pâtissent. Blick vous explique qui est avantagé ou désavantagé par cette situation, et pourquoi l'appel à l'aide de l'industrie n'a pas encore eu lieu.
Publié: 24.09.2022 à 10:01 heures
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Le franc fort grignote les marges de l'industrie d'exportation suisse.
Photo: Keystone
Martin Schmidt

L'euro est en chute libre par rapport au franc suisse. Actuellement, un euro ne vaut plus qu'un peu plus de 0,95 franc. Pour les Suisses qui veulent partir en vacances dans la zone euro, c'est une bonne nouvelle. Avec un franc fort, ils peuvent se permettre de payer plus à l'étranger, et surtout, ils ressentent moins que la population locale l'horripilant renchérissement dans la zone euro.

Pour l'industrie d'exportation suisse, la chute de l'euro est en revanche très désagréable. Car elle pèse sur leurs marges. Et les temps difficiles sont peut-être encore à venir: de nombreux analystes s'attendent à ce que l'euro continue de s'effondrer.

Au début de l'année, l'euro valait encore 1,04 franc et a donc perdu plus de 9%. Pourtant, l'industrie n'a pas encore poussé de cris d'orfraie. L'une des entreprises concernées est Rieter, dont le siège est à Winterthur (ZH). Elle construit des machines pour le secteur textile et ne peut rester compétitive dans la zone euro qu'en baissant ses prix.

«Nous devons compenser l'appréciation du franc suisse par des baisses de prix», explique la porte-parole de l'entreprise Relindis Wieser à Blick. Pour que Rieter puisse compenser ces pertes, le groupe investit en permanence dans l'innovation. «Si nous améliorons constamment nos produits, cela nous aide à mieux résister à la concurrence», poursuit Relindis Wieser.

Les leçons de la crise de l'euro

Mais Rieter peut aussi couvrir une grande partie du risque de change par un hedging naturel. Le groupe exploite près de 30 sites de production dans plus de 20 pays et peut produire sur place dans la monnaie locale sans que le franc fort ne joue un rôle. Grâce à son expansion internationale, le groupe a massivement réduit sa dépendance vis-à-vis du cours de l'euro par rapport au franc au cours des dix dernières années.

De nombreuses autres PME et groupes en Suisse ont également suivi cette voie, après que le cours franc/euro a connu une chute sans précédent lors de la crise de l'euro il y a plus de dix ans. Fin 2007, la monnaie unique valait encore 1,67 franc, à l'automne 2011, elle ne valait plus que 1,04 franc. A l'époque, la Banque nationale suisse avait instauré un taux plancher de 1,20 franc pour un euro pendant près de trois ans et demi afin de soutenir l'industrie d'exportation - offrant ainsi à l'économie le répit nécessaire pour s'adapter.

L'industrie a de plus gros problèmes

L'industrie d'exportation suisse est en outre aidée actuellement par le fait que l'inflation dans notre pays est inférieure de moitié à celle de la zone euro, explique à Blick Claude Maurer, économiste en chef pour la Suisse chez Credit Suisse: «Le renchérissement plus faible dans notre pays aide les exportateurs, car il atténue une partie du désavantage lié au taux de change dans la concurrence des prix». En raison du renchérissement plus marqué à l'étranger, les entreprises suisses peuvent demander des prix plus élevés dans la zone euro. C'est la raison pour laquelle le taux de change réel s'élève à près de 1,15 franc pour un euro, contrairement au taux de change nominal de 0,95 franc.

Mais l'absence de panique dans l'industrie s'explique par d'autres raisons, comme le souligne l'Association suisse de l'industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (Swissmem). «Le franc fort n'est qu'un problème parmi d'autres. L'industrie a actuellement des soucis bien plus urgents, comme les prix élevés des matières premières et les hausses massives des prix de l'énergie, qui grignotent les marges des entreprises», explique Ivo Zimmermann, chef de la communication chez Swissmem. «De nombreuses entreprises ne peuvent pas répercuter facilement et rapidement de telles hausses de coûts sur leurs clients», poursuit-il.

Stadler Rail souffre du franc fort

La société CPH Chemie + Papier Holding AG, dont le siège est à Root (LU), confirme la problématique. Le groupe est actif dans la production et la distribution de produits chimiques et de papiers. Elle souffre beaucoup des prix élevés de ce dernier, de l'énergie et des matières auxiliaires. «Le franc n'est pas notre plus grand facteur d'inquiétude», déclare en effet le porte-parole de l'entreprise Christian Weber.

Pour l'instant, seules quelques entreprises sont vraiment touchées par le franc fort. L'exemple le plus connu est le constructeur de trains Stadler Rail, dont le siège est à Bussnang (TG). Les pertes au niveau de change ont grevé le résultat du groupe de 62,1 millions de francs au premier semestre. Cela est principalement dû aux commandes à long terme que le groupe a dû réévaluer au cours actuel de l'euro et du franc.

Les importateurs profitent du franc

Dès que les problèmes liés au renchérissement de l'énergie et des matières premières s'atténueront, le cours euro-franc devrait toutefois revenir sur le devant de la scène, estime Ivo Zimmermann, de Swissmem. Les situations difficiles de dette dans certains pays de la zone euro, comme l'Italie, continueront de mettre l'euro sous pression ces prochains mois. Chez Credit Suisse, on s'attend à ce que le franc s'apprécie à 0,93 franc pour un euro. D'autres prévisions tablent même sur un cours de 0,90 franc ou moins.

Mais il y a aussi en Suisse des bénéficiaires du franc fort. Les entreprises orientées vers l'importation peuvent acheter leurs produits moins chers à l'étranger. Avec un volume d'importation annuel de près de 300 millions de francs, cela représente une somme considérable. Répercutent-elles ces prix d'achat plus avantageux sur leurs clients? C'est une autre histoire.

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