Les loyers bas font pencher la balance
Non, les bénéficiaires du social ne déménagent pas pour s'en mettre plein les poches

Le tourisme de l'aide sociale existe-t-il vraiment? Des chercheurs ont étudié la question. Leur conclusion: le montant payé par une commune ne joue aucun rôle. Ce qui est déterminant, ce sont les logements bon marché.
Publié: 13.02.2023 à 05:46 heures
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Dernière mise à jour: 13.02.2023 à 12:05 heures
Les bénéficiaires de l'aide sociale ont tendance à déménager des petites communes vers les plus grandes - souvent aussi vers les villes.
Photo: Keystone
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Camilla Alabor

Depuis une dizaine d’années, on dénonce un «tourisme de l’aide sociale» un peu partout. Mais de quoi parle-t-on, au juste? Il s’agirait de personnes sans ressources, qu’on suspecte de se déplacer fréquemment d’une commune à l’autre. Le but: empocher des prestations sociales plus généreuses.

En Suisse, on a vu certaines communes tirer la sonnette d’alarme parce qu’elles attiraient un nombre de bénéficiaires de l’aide sociale supérieur à la moyenne. Ce thème a préoccupé les autorités locales de toute l’Europe. Et les étrangers étaient bien sûr particulièrement dans le viseur.

Des réponses concrètes

Mais ce «tourisme» existe-t-il vraiment? Une équipe s’est enfin penchée concrètement sur la question. Pour y répondre, Dominik Hangartner, professeur à l’EPFZ et chercheur en migration, a analysé les données des bénéficiaires de l’aide sociale suisse entre 2005 et 2015.

Dans une étude qui vient d’être publiée, sa conclusion est sans appel: non, on ne déménagerait pas plus souvent pour s’en mettre plein les poches. Les Suisses ne le feraient pas, et les étrangers non plus. Alors les bénéficiaires de l’aide sociale restent-ils statiques? Non, comme tout le monde, ils déménagent parfois. Mais il faut noter qu’ils se déplacent moins souvent que la moyenne de la population.

Dans un second temps, l’équipe de Dominik Hangartner s’est quand même penchée sur la raison de ces déplacements. Et a découvert que le montant des prestations sociales ne jouait qu’un rôle secondaire. Au sommet des priorités des prestataires: le prix de leur loyer.

Le choix du nouveau lieu de résidence se fait donc en fonction du montant que leur coûtera leur nouveau toit. Dans le cas des bénéficiaires étrangers de l’aide sociale, les chercheurs ont également noté un deuxième facteur qui pesait dans la balance: la présence de concitoyens près du nouveau lieu de domicile. Le souci de créer des liens sociaux jouerait ainsi un grand rôle.

Y a-t-il des touristes de l’aide sociale?

Comment les chercheurs sont-ils parvenus à ce constat? Dominik Hangartner a accepté de détailler sa méthodologie.

Tout d’abord, son équipe et lui ont calculé quel était le gain maximal en cas de déménagement d’une commune pingre vers une commune généreuse, révèle-t-il. Par mois, un bénéficiaire de l’aide sociale pouvait recevoir 142 francs supplémentaires – une somme non négligeable pour un montant de base de 977 francs (en 2015). Ils ont pu en conclure que ce n’était pas une raison valable de changer de lieu de résidence. Car en réalité, les bénéficiaires suisses ne recevaient en moyenne que 15 francs de plus qu’auparavant après un déménagement, et les étrangers 22 francs.

L'étude a été menée par Dominik Hangartner, professeur à l'EPFZ et chercheur en migration, et ses collègues Jeremy Ferwerda et Moritz Marbach.

«Vu la faiblesse des montants, nous n’avons pas pu partir du principe que les gens déménagent pour cette raison», glisse le scientifique. En cause: les coûts sociaux et financiers d’un déménagement sont sensiblement plus élevés.

Mais un lien entre le taux d’aide sociale et le prix des loyers dans une commune s’est en revanche rapidement dégagé: des loyers plus bas conduisaient à ce que davantage de bénéficiaires de l’aide sociale s’installent dans un endroit.

Enfin, les personnes concernées avaient tendance à déménager de petites communes vers des communes plus grandes. C’est-à-dire que les bénéficiaires étrangers préféraient s’installer dans des endroits où vivaient déjà d’autres personnes de leur nationalité. Et souvent, il était question de grandes villes, où des communautés se sont formées.

Non, la réponse est non. Ce qui est déterminant, ce sont plutôt les loyers bas mentionnés, comme il en existe aussi à Winterthour.
Photo: Switzerland Tourism

«Un rôle plus important»

«Ces facteurs semblent de toute évidence peser plus lourd que le montant des contributions à l’aide sociale», assure Dominik Hangartner. Ces 20 francs supplémentaires par mois seraient donc plutôt un «sous-produit» d’un changement de lieu de résidence. C’est-à-dire un avantage non négligeable, mais qui n’a pas motivé le déménagement.

Les chercheurs se sont également penchés sur la question des conséquences d’une baisse ou d’une hausse des montants de l’aide sociale dans une commune. Résultat? «Nous ne constatons pas d’exode ou d’immigration notable de bénéficiaires de l’aide sociale», tranche-t-il. Ce qui vaut aussi bien pour les nationaux que pour les étrangers.

Pour le professeur de l’EPFZ, les résultats sont surprenants par leur clarté. Il en tire une conclusion: «Peu d’éléments permettent de penser que les autorités devraient baisser les montants par peur du tourisme de l’aide sociale», avance-t-il.

Tout le monde a droit à l’aide sociale

C’est pourtant justement pour éviter ce type de tourisme que la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) a édicté des directives. Celles-ci ne sont pas contraignantes: il ne s’agit que de recommandations.

Le montant des besoins de base a souvent fait l’objet de débats politiques. Rappelons notamment que, dans les années 2010, certaines communes se sont offusquées d’un jugement du Tribunal fédéral qui disait que tout le monde avait droit à l’aide sociale dans notre pays. Y compris que les personnes récalcitrantes avaient également droit à l’aide sociale. Pour cette raison, elles avaient bruyamment quitté la CSIAS.

Entre-temps, la tension est un peu redescendue. Certes, des cantons persistent à ne pas respecter les directives de la CSIAS. Le canton de Berne, par exemple, fait partir ses calculs de taux nettement plus bas que le reste de la Suisse pour les besoins de base. De plus, certains cantons comme Saint-Gall n’ont pas suivi l’augmentation due au renchérissement de ces dernières années. Mais il faut bien souligner que ce sont là des exceptions: 21 cantons sur 26 ont adopté les directives actuelles.

Le directeur de la CSIAS, Markus Kaufmann, se réjouit de cette étude. Ses conclusions confirment ce que son association avait remarqué, souligne-t-il. «Nous n’avons jamais pu constater que les gens déménagent uniquement en raison du montant des besoins de base», assure-t-il. Beaucoup ne sont d’ailleurs pas particulièrement mobiles: un tiers des bénéficiaires de l’aide sociale sont des enfants. «Et les parents ne veulent pas les arracher à l’école à laquelle ils sont habitués», souligne-t-il.

Des chiffres bas

Actuellement, le débat sur l’aide sociale fait un peu moins les gros titres. Selon Markus Kauffmann, la raison se trouverait peut-être au niveau de la baisse du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale. Selon les estimations de la CSIAS, leur taux est tombé à moins de 3% fin 2022. Il s’agit de la valeur la plus basse depuis 20 ans.

Comment l’expliquer? Le directeur cite comme raison principale la bonne situation sur le marché du travail. Mais il avance aussi un autre facteur: certaines personnes n’osent même pas demander l’aide sociale. Soit parce qu’elles risquent de perdre leur permis de séjour, soit tout simplement par honte.

«C’est un problème», assène-t-il. Selon lui, le but n’est pas que les gens fassent la queue par centaines pour des repas gratuits, comme c’est le cas actuellement dans certaines villes. «En Suisse, notre système permet de prendre en charge les plus pauvres. C’est précisément à cela que sert l’aide sociale.»

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