La forte hausse des coûts de la santé est un sujet brûlant, encore renforcé par l'annonce de la hausse des primes d'assurance maladie. Cette nouvelle inquiète la population suisse, sans compter qu'elle renforce la pression mise sur le système politique pour freiner la hausse des coûts. Anne-Geneviève Bütikofer, directrice de l'association des hôpitaux suisses H+ au Centre hospitalier de Bienne (BE), a été interviewée par Blick à ce sujet, qui ne la réjouit guère. Elle ne demande pas moins qu'une révolution totale du système de santé suisse.
Madame Bütikofer, mardi prochain, le ministre de la Santé Alain Berset présentera une nouvelle fois une hausse massive des primes d'assurance maladie. La raison en est la forte hausse inattendue des coûts de la santé. Qu'est-ce qui ne va pas dans les hôpitaux suisses?
Ce ne sont pas les hôpitaux qui vont mal, mais la compréhension du financement du système de santé. Le financement actuel ne couvre plus, et de loin, les coûts effectifs des hôpitaux. De nombreux hôpitaux sont donc dans le rouge et subissent une pression financière énorme.
Tout le monde est donc responsable de la situation, sauf les hôpitaux?
Il ne sert à rien de rejeter la faute sur l'un ou l'autre acteur du système de santé. C'est le système en tant que tel qui doit être modifié.
Comment vous y prenez-vous ?
Aujourd'hui, les législateurs n'ont d'yeux que pour les coûts. Ils doivent si possible cesser d'augmenter, bien que les décisions politiques génèrent constamment de nouveaux coûts. La discussion sur la réduction des coûts n'est qu'une politique de pansement. Si nous voulons changer quelque chose, nous devons parler du financement des soins de santé.
Que demandez-vous concrètement?
Nous demandons une augmentation de 5% de tous les tarifs. Le renchérissement doit enfin être pris en compte. Le commerce de détail ou les entreprises d'électricité peuvent adapter leurs tarifs en cas d'augmentation des coûts, mais pas les hôpitaux. Les tarifs sont négociés et approuvés par les cantons. Les autorités et les assureurs ne sont toutefois pas prêts à les augmenter.
Parce que cela entraînerait automatiquement une hausse des primes pour la population encore plus importante que celle qui existe déjà...
C'est vrai. Mais attention: je ne réclame pas des primes plus élevées. Je pose la question de savoir si, dans le système, nous finançons les bonnes choses, avec les bonnes ressources. Aujourd'hui, toutes les prestations hospitalières sont financées par l'assurance maladie obligatoire. Peu importe ce que le Parlement décide, il n'y a pas de nouvelles ressources. Un exemple: l'introduction du dossier électronique du patient a coûté des millions aux hôpitaux. Cela n'a pas fait l'objet d'un remboursement supplémentaire. Aujourd'hui, la politique engendre bien plus de coûts qu'elle n'optimise le système. C'est aussi pour cette raison que les hôpitaux sont massivement sous-financés. Si nous n'agissons pas maintenant, le système de santé s'effondrera.
Il faut donc une révolution?
Absolument! Le système actuel n'est plus supportable non seulement pour les prestataires de soins, mais aussi pour les payeurs de primes. La pression est si grande qu'une révolution semble inévitable.
Que proposez-vous?
Nous devons par exemple nous demander si le modèle actuel de caisse maladie est encore le bon. Un système avec 50 assureurs est-il encore viable? Cette concurrence a-t-elle tenu ses promesses? La caisse maladie doit payer la prestation pour le patient. C'est tout. Si 2,5 millions de personnes changent de caisse chaque année, avec des coûts de 800 à 1'000 francs par changement, nous aurions déjà augmenté notre potentiel d'économies de plusieurs milliards. Les réflexions autour de la caisse unique sont donc légitimes.
Le PS réclame l'introduction d'une caisse-maladie étatique, des sondages ont récemment montré que la caisse unique est également plébiscitée par la population en raison du choc des primes. Vous vous joignez donc à cet appel?
Je ne dis pas que la caisse unique est forcément la bonne voie. Mais elle mérite d'être prise en considération. Si nous demandons une révolution dans le système, nous devons songer à toutes les possibilités, mais nous restons ouverts et intéressés par de nouvelles idées.
Les assureurs ne voient pas la nécessité d'une révolution, mais évoquent les coûts qui devraient être réduits. Aujourd'hui encore, de nombreux patients sont alités à l'hôpital pour des interventions qui pourraient être effectuées en ambulatoire. Mais le traitement stationnaire apporte plus de chiffre d'affaires aux hôpitaux.
C'est vrai. Mais ici aussi, la mauvaise incitation réside dans le système: le secteur ambulatoire est déjà sous-financé de 30%! Malgré cela, les hôpitaux suisses connaissent déjà un développement considérable de l'ambulatoire.
Dans les pays voisins, ce changement est nettement plus avancé.
Oui, mais pourquoi? Parce que le financement fait défaut chez nous. Plus les hôpitaux pratiquent l'ambulatoire, plus le trou financier se creuse. C'est un énorme problème. En cas de doute, les hôpitaux sont pénalisés financièrement s'ils choisissent le traitement le plus judicieux sur le plan médical. Nous brûlons de l'argent parce que nous devons financer transversalement le traitement ambulatoire. Pourtant, il est important de développer ce secteur. Les prestations ambulatoires peuvent être fournies avec moins de personnel et d'infrastructure, ce qui est également avantageux au regard de la pénurie de personnel qualifié. C'est une volonté politique. Ce qui manque, ce sont des incitations financières.
La densité hospitalière, très élevée en comparaison internationale, a une grande influence sur les coûts de la santé en Suisse. Mais qui détermine la densité hospitalière? Les cantons.
Et ceux-ci doivent se baser sur les besoins de leur population. La forte densité d'hôpitaux est un souhait de la société. J'habite à Neuchâtel. Ici, la volonté de réduire l'hôpital cantonal à un seul site a échoué plusieurs fois devant les électeurs. Nous enregistrons donc des pertes, mais la population ne veut pas que cela change. En fin de compte, ce qui est toujours décisif, ce sont les sacrifices que la société est prête à faire.
Nous menons cet entretien au Centre hospitalier de Bienne. Il y a ici cinq hôpitaux pour un bassin de population de 180'000 personnes. C'est de la folie!
D'un point de vue économique, oui. Mais ces hôpitaux ne sont pas vides. Au contraire, il manque du personnel spécialisé pour s'occuper des lits. Ce personnel manque aussi parce que le financement pour des conditions de travail optimales fait défaut. Dans toute cette discussion, nous ne devons pas oublier le rôle joué par les hôpitaux lors de la pandémie du COVID-19. Dans d'autres pays, des gens sont morts parce qu'il n'y avait pas assez d'infrastructures ou de personnel qualifié pour traiter les malades. Chez nous, nous avons applaudi les hôpitaux et surtout le personnel pendant la pandémie, mais aujourd'hui, presque plus personne ne s'en souvient. Nous pouvons économiser énormément sur les hôpitaux en changeant le système. Mais est-ce que la population le veut?
La question se pose de savoir si tous les hôpitaux doivent tout proposer. Au lieu d'injecter encore plus d'argent dans le système et de faire la course à l'armement, il faudrait améliorer la collaboration interrégionale.
Il faut encore plus de collaboration, oui. Mais il se passe déjà beaucoup de choses. Les hôpitaux doivent collaborer, ne serait-ce qu'en raison de la pression financière, car ils n'y arrivent plus seuls. Et cela va encore empirer. Nous devons réfléchir à la manière dont cela doit être organisé lors de tables rondes avec les politiciens et les assureurs. Quelles domaines de santé doivent exister? Qui propose quoi?
C'est exactement ce que l'on a essayé de faire en Suisse alémanique. Mais la planification hospitalière supracantonale avec six cantons a échoué en raison d'intérêts particuliers, car cela aurait entraîné des fermetures d'hôpitaux. Faut-il davantage de pression de la part de la Confédération?
Nous vivons dans un pays fédéraliste, la planification hospitalière est l'affaire des cantons. La Confédération a bien sûr un rôle à jouer, elle doit être présente à la table, elle doit avoir une vision des soins de santé qui doivent être proposés en Suisse. Je n'ai pas entendu parler de cela jusqu'à présent. Je ne sais pas quel paysage hospitalier le Conseil fédéral envisage dans le futur.
Il y a environ trois semaines, une rencontre au sommet a eu lieu avec le ministre de la Santé Alain Berset. Vous en avez donc tiré peu d'espoir?
Monsieur Berset quitte son poste de conseiller fédéral à la fin de l'année, il ne va plus guère déclencher la révolution nécessaire. Nous nous adressons une fois par an au membre du Conseil fédéral compétent. Ces dernières années, Monsieur Berset a toujours été à l'écoute de nos préoccupations. Malheureusement, c'est tout.
Vous attendez-vous à une mort des hôpitaux en Suisse dans les prochaines années?
Oui. Les premiers ont déjà dû fermer à Berne. Si aucune réflexion d'ensemble n'est menée à moyen terme pour adapter le système, d'autres suivront. Les patients ne seraient plus pris en charge, la qualité ne serait plus garantie. Si nos hôpitaux étaient amenés à faire faillite, des investisseurs étrangers prendraient le relais. Les secteurs rentables sur le plan économique seraient développés, le reste serait fermé. Nous ne devons pas en arriver là.