Un homme d’un certain âge entre dans l’Erotikfactory, une boutique zurichoise plutôt… sexy. Il se dirige directement vers le coin cinéma, prend un DVD, et étudie attentivement les corps nus qui le recouvrent. Puis, il retourne la pochette et lit le verso. Son visage reste immobile. Le processus est répété plusieurs fois jusqu’à ce que deux titres gagnent la course: «Gimme a Gangbang 2» et «Sex Island 2». Il passe à la caisse et paie. Malgré la présence de pornographie gratuite sur le net. «Je n’ai pas confiance en Internet», se justifie l’homme.
Steve Temperli, directeur d’Erotikfactory, est compréhensif: «Beaucoup de personnes de l’ancienne génération ne veulent pas laisser de carte de crédit ou de traces quelconques sur Internet. Ils viennent donc chez moi.»
Les films pornos en berne
La branche érotique, Steve Temperli la connaît comme sa poche. A 20 ans, il a commencé à vendre des films pornographiques sur cassettes VHS. Puis Internet est arrivé et a inondé le marché. «Les ventes de DVD pornos sont tombées en chute libre. Aujourd’hui, je ne fais cela que par égard pour mes clients réguliers… Mais plus pour longtemps non plus». Il trouve cela regrettable non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan éthique: «Pour les productions de DVD, je sais qui se cache derrière. Pour les vidéos sur le net, personne ne s’y retrouve».
On ne peut pas arrêter l’évolution. Et cela touche durement certaines entreprises. En 2017, l’entreprise Erotik-Markt a dû fermer 6 de ses 14 filiales en Suisse. Beate Uhse, autrefois le plus grand groupe érotique d’Europe, a également glissé vers l’insolvabilité. Les deux entreprises se plaignaient de l’effondrement des revenus générés par les films pornos. Mais ce n’était pas la seule raison. Les magasins de Beate Uhse étaient considérés comme sordides. L’image de marque rebutait la clientèle.
Le Covid a propulsé les sex-shops en ligne
Steve Temperli souhaite contrecarrer cette perception de manière ciblée. Il a installé une lumière claire et peint les murs en blanc plutôt qu’en rouge et noir. Son magasin ressemble à une droguerie, ce qui doit suggérer l’hygiène et la santé. En outre, il a réorienté son activité principale vers les sextoys.
Depuis, ce sont surtout les vibromasseurs qui remplissent les caisses. Ils se présentent sous toutes les formes, couleurs et tailles. Et ressemblent le moins possible au membre masculin. Car les modèles hyperréalistes se vendent moins bien. Mais la question demeure: Pourquoi aller dans un magasin? Tout est disponible en ligne – discrètement… et sans honte.
Au début de la pandémie de coronavirus, la Suisse cliquait pour acheter. Le commerçant en ligne Amorana a par exemple annoncé une hausse de 78% en 2020. Mais dès l’année suivante, la tendance s’est essoufflée. Les chiffres de vente n’étaient plus que de 4% supérieurs.
Le concurrent Magic X évoque d’une évolution similaire. Les deux entreprises expliquent cette croissance modeste de la même manière: le Covid-19 a fait avancer la numérisation, mais n’a pas pu supplanter les magasins. Beaucoup apprécient encore les achats sur place.
«Je veux un masseur de prostate»
A Zurich, un autre client entre dans l’Erotikfactory. Le propriétaire Steve Temperli s’approche de lui: «Bonjour, je peux vous aider?» – «Oui, je veux un masseur de prostate». – «Wow, tu sais ce que tu veux. Qu’est-ce qui te fait dire ça?» – «Mon thérapeute m’a dit que c’était bon pour la prostate» – «C’est vrai, mais tu dois toujours utiliser du lubrifiant et prendre ton temps! Sinon, ça fait mal quand tu insères le truc». Le client achète le produit. En sortant, il souligne encore une fois: «Je le fais pour des raisons de santé». Steve Temperli sourit: «L’objet peut aussi exciter sexuellement».
Beaucoup apprécient d’être conseillés, estime le propriétaire du Sex shop. «Tout le monde sait comment utiliser un godemichet». Mais il y a certains produits high-tech qui dépassent vite les connaissances.
«Nous vendons des appareils sexuels commandés par une application, des vagins artificiels avec moteur rotatif, ainsi que des dilatateurs». Les gens devraient savoir comment les utiliser et comment éviter des blessures. A cela s’ajoute un contact personnel avec les clients. «Les gens partagent avec moi leur côté le plus intime».
Steve Temperli lui-même se décrit comme tout simplement sexuel. «Hétérosexuel, homosexuel: je ne veux pas être classé». Il a essayé beaucoup de ses produits. «J’aime bien le vagin artificiel». Pour le reste, il se décrit comme très sensible. «Au lit, un anneau pénien, du lubrifiant et de l’huile de massage me suffisent».
Des étudiants aux retraités
Le businessman du sexe se dit heureux, mais il a quand même quelques soucis. Les commerçants en ligne ne cessent de croître et de dominer le marché. De grands groupes comme le WOW Tech Group rachètent en masse des boutiques en ligne.
«Le rapport de force, c’est David contre Goliath», déplore le petit entrepreneur. En raison de la concentration du marché, ce sont les grands acteurs qui fixent les prix. Pour Steve Temperli, la diversité en souffre également: «Les nouveaux producteurs de sextoys disparaissent si leurs appareils ne sont pas intégrés à l’assortiment des grands groupes».
Au vu de cette évolution, on pourrait supposer que le conseiller de l’intimité se sent menacé financièrement. C’est pourtant le contraire qui se produit. Il affirme augmenter son chiffre d’affaires de 5 à 6% par an. «Nous avons une grande clientèle d’habitués. Des étudiants aux retraités». De plus, l’Erotikfactory aurait une excellente réputation.
Ce qui profite à l’activité de Steve Temperli, c’est l’acceptation croissante de la sexualité. Il sent que les sentiments de honte ont tendance à diminuer. Les Suisses et Suissesses seraient moins réticents à entrer dans une boutique érotique.
«J’ai eu une cliente de 70 ans dont le mari était décédé récemment. Elle ne voulait pas d’un nouveau partenaire, mais ressentait encore du désir et pensait à un vibromasseur. Lorsqu’elle s’est trouvée devant moi, c’était la première fois qu’elle entrait dans un sex-shop. Deux semaines plus tard, elle m’a remercié en m’envoyant une lettre».