Les deux coprésidents du PS
«La droite nous a volé le concept de liberté»

Réuni ce samedi à Saint-Gall, le parti socialiste veut lancer deux initiatives populaires. Les deux coprésidents Mattea Meyer et Cédric Wermuth en dévoilent le contenu à Blick et expliquent comment ils comptent repositionner leur parti autour de la valeur de «liberté».
Publié: 28.08.2021 à 05:57 heures
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Dernière mise à jour: 28.08.2021 à 18:12 heures
Mattea Meyer et Cédric Wermuth, les deux coprésidents du PS, ne veulent pas laisser le monopole de la liberté à l'UDC ou à la droite en général.
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Adrien SchnarrenbergerJournaliste Blick

Après l’UDC et les Verts le week-end passé, c’est au tour du PS d’effectuer sa rentrée politique. À Saint-Gall, un programme chargé attend les délégués socialistes: deux initiatives populaires vont être proposées, annoncent ses coprésidents Mattea Meyer et Cédric Wermuth à Blick.

La première porte sur la place financière suisse, que le PS veut «écologique et solidaire». La deuxième s’attaque à la thématique des crèches. Le parti à la rose réclame «un accueil extrafamilial partout dans le pays». «Nous nous préoccupons des problèmes concrets de la population», explique Cédric Wermuth. Avec sa collègue à la tête du PS Mattea Meyer, l’Argovien a accepté de dévoiler la stratégie du parti pour les mois à venir. Interview.

Voilà près d’un mois que Marco Chiesa vous a traités de «parasites» et de «socialistes de luxe». Sans grande réaction jusqu’ici…
Cédric Wermuth: C’est l’un des problèmes du paysage médiatique actuel : chaque provocation anecdotique de l’UDC passe pour l’information de la semaine. Marco Chiesa a essayé d’allumer un incendie, de détecter des différences dans la population pour mieux la diviser. Notre projet c'est de rassembler autour de la liberté pour toutes et tous, et nous attendions ce premier Congrès en «présentiel» pour lancer cette dynamique.

La liberté? Traditionnellement, c’est un mot qui appartient plutôt au jargon UDC.
CW: La liberté telle que conçue par la droite est la liberté pour les privilégiés de vivre leur égoïsme. Nous luttons pour que tout le monde puisse vivre sans craindre pour leur existence, par exemple grâce à de bons salaires et rentes. Notre liberté est une liberté que nous construisons ensemble, à travers le service public, les œuvres sociales, les solutions collectives. Cette terminologie nous a été volée par la droite, alors que la liberté est historiquement la raison d’être du socialisme et du PS. Notre combat, c’est de l’offrir à toutes et tous.

Mais est-ce judicieux de se battre sur un terrain déjà bien occupé?
Mattea Meyer: Ce n’est pas une question de marketing mais de contenu. Pour la droite, la liberté est un privilège de personnes déjà favorisées. Mais les personnes sans passeport, les femmes, les minorités sexuelles, les précarisé-e-s sont autant de catégories qui n’ont que peu de libertés. C’est dans l’ADN du PS de se battre pour elles. Le droit de choisir son mari, l’AVS ou le droit de vote des femmes sont autant de victoires socialistes.

Les mots de Marco Chiesa ont été «un peu forts», de son propre aveu, mais ils cachent une réalité: le PS cartonne dans les villes, bien moins dans les campagnes. Comment convaincre hors des centres urbains?
MM: Avec ce clivage ville/campagne, Marco Chiesa veut cacher les vraies fractures dans ce pays que sont les différences de revenus. Nous nous battrons pour des crèches, des rentes et salaires décents et des loyers abordables à la fois dans les villes et dans les campagnes. Le lieu où l’on habite n’est pas déterminant.
CW: Vous savez, je viens d’un canton, l’Argovie, où nous n’avons pas de grandes ville. Marco Chiesa a beau s’en prendre aux «socialistes de luxe dans les villes», ce qu’il attaque en réalité, ce sont les infrastructures qui sont plus développées dans les villes. Or, ce n’est pas la faute des villes — il s’agit d’une tendance de ce pays de construire le service public surtout dans les centres urbains, où vit davantage de monde.

Quel est votre remède?
CW: Il faut élargir ce qui est bon en campagne (loyers plus modérés, accès direct à la nature, etc.) et l’apporter en ville. Cela vaut aussi dans le sens inverse: il faut réunir le meilleur des deux mondes et l’appliquer à tout le pays.

Beaucoup de gens qui habitent en campagne sont obligés d’avoir une voiture. C’est leur liberté aussi, non?
MM: Bien sûr, il ne s’agit pas d’interdire la voiture. Il s’agit de développer les transports publics pour tout le monde, notamment dans les régions périphériques. C’est une politique climatique concrète qui améliore réellement la vie des gens.
CW: Sur ce thème, il y a tout de même un débat: que vaut ma liberté personnelle de polluer beaucoup vis-à-vis de celle des populations futures ou des habitants d’autres pays?

Les questions climatiques ont beaucoup profité aux Verts. N’avez-vous pas peur de cette concurrence?
MM: Nos deux partis ont des perspectives et des histoires différentes, mais nous sommes alliés sur la quasi-totalité des sujets. Il faut s’unir pour combattre la droite, nous sommes plus forts ensemble et il n’y a pas de temps à perdre pour des conflits internes ou de la concurrence entre le camp rose et vert.

L’écologie séduit l’électorat vert — et le PS? Est-il devenu la gauche caviar, comme le prétend l’UDC? Que reste-t-il du vote «ouvrier»?
CW: Dire que le PS n'est pas voté par les ouvriers, c’est un mythe. Notre concept, c’est de ne pas faire de différenciation en choisissant un public-cible mais plutôt de proposer des solutions pour la majorité de la société. Contrairement à ce qui a pu se passer en Allemagne, en Italie ou en France, nous n’avons jamais abandonné la question sociale — c’est une belle victoire de la présidence de Christian Levrat.

En parlant de justice sociale: l’«initiative 99%» de la Jeunesse socialiste n’est pas bien partie…
MM: Je préfère voir les choses dans l’autre sens: il y a presque une majorité de gens (environ 45% selon les premiers sondages, ndlr.) en faveur d’une initiative qui vient de la Jeunesse socialiste. C’est un sacré score. Il faut être réaliste, ce sera difficile de gagner, surtout avec la campagne intense de la droite et ses «fake news». À les entendre, chaque propriétaire ou patron de PME va être touché, alors que l’on ne parle que des fortunes qui dépassent les 3 millions de francs. Ce soutien est encourageant et montre que beaucoup de gens dans ce pays n’acceptent plus que les multinationales et les riches profitent.

Reste que ce texte mettrait en danger le «modèle suisse». Difficile d’imaginer financer les services publics dont vous parliez plus tôt.
CW: Pendant cette pandémie, nous avons vu qui crée réellement la richesse dans ce pays. Posez la question de ce qui est plus dangereux: une semaine sans les soins médicaux et l’État social ou une semaine sans les spéculateurs? C’est le service public qui est à la base de la création de la valeur. Ce ne sont pas les managers en Gucci ou en Prada mais les gens qui se lèvent tous les jours à 8h pour aller travailler à l'usine, pour faire le ménage, s’occuper des enfants, tout ce qui relève du domaine du «Care». C’est un message très important à faire passer.

Vous lancez précisément une initiative populaire sur les crèches. Quel est l’objectif?
CW: Dans l’agglomération argovienne où je vis, il est très difficile de trouver une place de crèche. Cela vous oblige à adopter un mode de vie conservateur, avec une personne à la maison. Prenez mon cas personnel: nous avons deux enfants, et les mettre deux jours par semaine à la crèche sans subvention — ce qui est juste, car nous disposons d’un bon revenu — revient à 25’000 francs par an. C’est presque l’intégralité du salaire d’une personne à temps partiel. Et d’une manière générale, les crèches sont un bon exemple de ce qui ne va pas au niveau de la justice sociale – ce que notre initiative veut corriger.

C’est-à-dire?
MM: J’ai pu le constater en tant que jeune parent, les salaires y sont inacceptablement bas, c’est scandaleux. Les employés des crèches gardent notre bien le plus précieux, nos enfants. Ces salaires, alors que les patrons des GAFAM gagnent des millions, sont un signal des priorités actuelles de notre société. Il n’y a presque personne de plus de 25 ans dans nos crèches, parce qu’ils sont obligés de trouver un autre job pour gagner correctement leur vie. La même chose se passe dans les soins ou les hôpitaux. Les salaires ne correspondent pas aux responsabilités.

Cette rentrée d’automne marque le début de la deuxième partie de la législature. Quel bilan tirez-vous à mi-parcours?
MM: Nous n’avons pas gagné les élections dans les cantons (le PS a perdu 24 sièges parlementaires lors des onze dernières élections, ndlr.), mais nous restons optimistes. Notamment grâce aux votations: même si nous avons échoué à la majorité des cantons, le peuple a dit oui à l’initiative sur les multinationales responsables. Cette majorité en faveur d’une prise en compte des inégalités est réjouissante. Et pour tous les sujets importants à venir — Covid, AVS —, nous avons des solutions pour la population.

Alors qu’une coprésidence était envisagée, Thierry Burkart devrait être le nouvel homme fort du PLR. Êtes-vous satisfaits avec ce modèle bicéphale au PS?
CW: Absolument! A titre personnel, nous sommes les deux entièrement convaincus que c’est le modèle d’avenir. Je n’aurais pas assumé ce rôle tout seul — surtout pas en tant que jeune parent. Nous voulons tous les deux voir nos enfants grandir. Je ne suis pas surpris que le PLR ait fait un choix différent, mais cette époque des héros masculins qui sont de grands leaders est révolue à mes yeux. Il faut des mécanismes plus démocratiques et plus égalitaires, comme le revendiquent les mouvements féministes ou du climat. D’une manière générale, j’aimerais que cette manière de fonctionner soit mieux acceptée, que ce soit en politique ou dans la vie professionnelle. Même si pour rédiger un discours comme celui de ce samedi, cela complique un peu les choses et ça prend deux semaines (rires).

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