La plupart des faillites sont dues à de mauvaises prises de décision et, très rarement, à de la malchance. Mais dans certains cas, mettre la clé sous la porte n'arrive pas par hasard et fait quasiment partie du modèle commercial. Ces candidats à la faillite surfent sur la vague de banqueroutes qui déferle actuellement sur le paysage des entreprises suisses.
«Les cas suspects augmentent et nous constatons clairement une augmentation des faillites abusives», reconnaît Raoul Egeli, président de l'union suisse des créanciers Creditreform. Le nombre de cas suspects est désormais nettement supérieur au niveau d'avant la pandémie. Rien qu'en mars, il y en a eu plus de 70, alors même que les experts estiment que le nombre de cas non déclarés est élevé.
Les secteurs de l'hôtellerie-restauration et de la construction sont particulièrement appréciés des entrepreneurs faillis, aussi appelés «croque-morts d'entreprise». Selon une étude du service d'information économique Dun & Bradstreet, les faillites ont augmenté de 46% dans l'hôtellerie-restauration et même de 76% dans le bâtiment au cours des trois premiers mois de l'année.
Crédits Covid et faillites
Comment fonctionne exactement ce genre de faillite? Un entrepreneur est en difficulté financière, mais reste sur le marché grâce à des méthodes de dumping. Il omet de payer les cotisations sociales, vend une partie de son inventaire, augmente sa montagne de dettes, avant de se retirer dès que la situation devient trop critique. À partir de là, c'est le croque-mort de l'entreprise qui prend le relais, en effectuant des achats aux frais de la société aussi longtemps que possible et en bradant les derniers biens de l'entreprise avant que tout ne s'effondre.
Les crédits Covid pourraient faire grimper le nombre de cas d'abus, comme le prévoit Raoul Egeli: 137'000 entreprises en Suisse ont reçu des crédits Covid de la Confédération pour un montant de 16,9 milliards de francs. Actuellement, 92'000 entreprises ont encore des crédits ouverts pour plus de 9,3 milliards de francs. «Je pars du principe que la plupart des entreprises ne sont pas en mesure de rembourser ces crédits», déclare Raoul Egeli.
Rien que dans le canton de Zurich, la police cantonale estime que les personnes qui font faillite causeraient chaque année des dommages économiques de plusieurs centaines de millions de francs. Mais de nombreux cas suspects ne sont même pas poursuivis, car il n'y a rien à récupérer pour les créanciers. «Comme il n'y a que des dettes, les autorités finissent par clore la procédure de faillite, faute d'actifs. Les personnes lésées devraient alors avancer 4000 francs pour que la procédure soit relancée», explique Roland Berli.
Une loi trop édulcorée
Roland Berli a travaillé pendant 18 ans à la police cantonale en tant qu'enquêteur et dirige depuis plus de deux décennies un bureau fiduciaire à Hinwil dans le canton de ZUrinch. Comme ses clients ont déjà été victimes de croque-morts d'entreprise, il rédige actuellement une thèse sur le sujet.
La Confédération veut rendre la mise en faillite plus difficile avec un paquet de mesures prévu pour l'année prochaine. Roland Berli a examiné ce paquet à la loupe dans le cadre d'une enquête auprès d'experts. «Lors de la consultation, la nouvelle loi a été trop édulcorée pour permettre une poursuite pénale ciblée», résume-t-il.
On peut toutefois s'attendre à de petites améliorations. D'abord, les réseaux avec des hommes de paille seront plus facilement identifiables à l'avenir grâce au lien entre la banque de données des entités juridiques et la banque de données personnelles. En outre, les fonctionnaires en charge des faillites seront désormais tenus de dénoncer les cas suspects, même si les contrôles restent aussi une question de ressources. La tâche ne sera pas aisée, étant donné que les faillis détruisent souvent l'ensemble des documents comptables, ce qui rend les poursuites pénales très difficiles.