Hekmatullah Azizi se réjouissait. Ce réfugié afghan a trouvé un emploi de pizzaiolo dans un restaurant de Bâle. Mais sa joie a failli être de courte durée. Ce jeune homme vit dans le canton de Zurich. Or, les autorités lui ont refusé un changement de domicile. Un problème pour lui: les horaires de travail dans le secteur de la restauration sont irréguliers et les pauses entre le service de midi et du soir sont souvent longues. Les trajets auraient donc pu mettre un frein à ses ambitions.
Heureusement, Hekmatullah Azizi ne s'est pas laissé faire. Le jeune homme a malgré tout trouvé un moyen de prendre le chemin du travail. Pendant la semaine, il loge chez sa mère, qui vit à Bâle-Campagne. Cela ne l'arrange pas, mais il s'accommode tout à fait de la situation. Il se montre toutefois très agacé par l'attitude des autorités, qui lui compliquent la tâche. «Je ne comprends pas pourquoi elles ne nous aident pas au lieu de nous mettre des bâtons dans les roues», regrette-t-il.
Car Hekmatullah Azizi n'est que l'une des 45'000 personnes admises à titre provisoire en Suisse. Il n'est donc pas seul avec ses problèmes. Selon les cantons, des règles plus ou moins strictes s'appliquent aux requérants d'asile et aux personnes admises à titre provisoire lorsqu'il s'agit d'accepter un emploi.
Une équipe dirigée par Dominik Hangartner, chercheur en migration à l'EPFZ, a analysé dans une nouvelle étude l'effet de ces restrictions. Sa conclusion? «Ces règles sont l'une des raisons du faible taux d'activité des personnes en demande d'asile.» Ce qui nuit également au pays d'accueil, souligne-t-il. Car «ceux qui n'ont pas de travail doivent être soutenus par l'aide sociale», déplore-t-il.
Les demandeurs d'asile ne peuvent travailler que dans certaines branches
L'étude se base sur des chiffres relatifs à l'intégration des réfugiés sur le marché du travail entre 1999 et 2016. Concrètement, les auteurs ont examiné quatre restrictions qui s'appliquent aux demandeurs d'asile et aux personnes admises à titre provisoire: l'interdiction de travailler, la priorité des travailleurs indigènes, les restrictions sectorielles, ainsi que régionales.
L'interdiction de travailler s'applique aux demandeurs d'asile pendant les trois premiers mois suivant leur arrivée, voire plus longtemps dans certains cantons. Quant à la priorité des travailleurs indigènes, elle ordonne que les entreprises pourvoient les postes vacants en premier lieu aux Suisses et citoyens de l'UE.
De plus, les restrictions sectorielles demandent que les requérants d'asile ne travaillent que dans certaines branches. Par exemple, ils peuvent œuvrer dans la restauration, mais pas dans le bâtiment. Les restrictions régionales ont pour conséquence que les demandeurs d'asile et les personnes admises à titre provisoire doivent mettre la main à la pâte dans le canton où ils résident.
Chiffrer l'impact des restrictions
A quel point ce système est-il restrictif? Les règles sont plus ou moins strictes selon les cantons. Par exemple, Glaris limite fortement les secteurs dans lesquels les réfugiés peuvent travailler, alors qu'il y a moins d'interdictions dans les Grisons. Ces différences ont permis aux auteurs de l'étude de chiffrer l'impact des restrictions.
Avec des résultats très parlants. Ainsi, lorsqu'un réfugié passe de l'un des cantons les plus restrictifs, comme Glaris, à une collectivité publique plus permissive, tels les Grisons, ses chances de trouver du travail s'en voient presque doublées.
Concrètement, le taux d'activité des demandeurs d'asile et des personnes admises à titre provisoire passe de 11 à 19% au cours des cinq premières années après leur arrivée, comme le montre l'étude. Cet écart peut selon les auteurs s'expliquer uniquement par le fait que les restrictions les plus dures tombent. «C'est justement parce que le taux d'activité des personnes en fuite est faible qu'il serait important de supprimer les obstacles inutiles», assure Dominik Hangartner.
Les réglementations actuelles ont l'effet inverse. Pire encore: elles conduisent les personnes en recherche d'asile à être plus souvent dépendantes du chômage et à encaisser un salaire plus bas que les autres, des années plus tard encore. En effet, un accès restrictif au marché du travail dès l'arrivée en Suisse diminue significativement les chances de trouver un emploi sur plusieurs années. En même temps, les restrictions affaiblissent le pouvoir de négociation des réfugiés face aux entreprises. En d'autres termes, ils doivent se montrer satisfaits de trouver un emploi, et c'est tout.
Salaire inférieur aux accords de la branche
Rahman D.* en a fait l'expérience. Cet Afghan de 34 ans avait déjà travaillé sept ans en Iran comme constructeur métallique. Après son arrivée en Suisse, il a retrouvé un poste dans ce domaine. Or, son revenu était inférieur à ce qu'imposent les accords dans la branche.
«De 2016 à 2021, j'ai gagné moins de 50'000 francs par an, s'étrangle Rahman D. Et ce, bien que le salaire minimum soit de 65'000 francs pour des personnes ayant mon profil, c'est-à-dire âgées de plus de 25 ans et ayant cinq ans d'expérience professionnelle!»
L'Afghan n'a pas pour autant songé à démissionner. Il risquait de ne pas retrouver de travail dans son domaine, fulmine-t-il.
«Des règles strictes n'incitent pas les réfugiés à quitter la Suisse»
Pour l'auteur de l'étude, la question décisive est de savoir où se situe l'utilité des restrictions actuelles. «S'agit-il de protéger les résidents peu qualifiés de la concurrence des réfugiés? Ou veut-on inciter les réfugiés à quitter à nouveau la Suisse?»
Dominik Hangartner et ses collègues se sont penchés sur les deux scénarios. Résultat? «Nous ne trouvons aucune preuve que les citoyens de l'UE ont de meilleures chances sur le marché du travail lorsque les cantons sont plus restrictifs envers les demandeurs d'asile et les personnes admises à titre provisoire.» Il va même plus loin: «Les règles dures ne conduisent pas à ce que les personnes en fuite quittent plus facilement la Suisse. Nous ne voyons pas de différence entre les cantons stricts et les cantons plus permissifs.»
Au vu de ces résultats, la conclusion de Dominik Hangartner est implacable. «Les restrictions entraînent des coûts élevés pour les réfugiés et la société d'accueil - sans avantages mesurables.» De son point de vue, il serait judicieux que les cantons restrictifs s'alignent sur les cantons plus permissifs. «Cela profiterait à la fois aux personnes en fuite et aux contribuables», avance-t-il.