Les addictologues s'inquiètent
Les Suisses consomment de plus en plus de stéroïdes anabolisants

Muscles saillants et force lors des entraînements. C'est la promesse qui va de pair avec la prise de stéroïdes anabolisants. Sauf que les effets secondaires parfois graves de ce traitement sont souvent passés sous silence. Les addictologues suisses s'inquiètent.
Publié: 02.01.2023 à 08:29 heures
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Les stéroïdes anabolisants sont en plein boom en Suisse.
Photo: Getty Images/EyeEm
Robin Bäni

Sandro Ricci*, 27 ans, est prêt à tout pour avoir des muscles saillants. Même si cela doit passer par des piqûres tous les trois jours. Devant son miroir, il s’injecte à trois reprises dans la fesse des substances telles que la testostérone, la masterone et la déca-duraboline (ndlr: aussi connue sous le nom de nandrolone).

Le jeune homme fait passer les effets de ces stéroïdes anabolisants sur sa santé au second plan. Et se tient à son rituel d’injection. Au bout de deux mois, il marque une pause avant de recommencer ce traitement. Objectif: arborer des muscles saillants et de larges épaules avec veines apparentes.

Des standards diffusés sur les réseaux sociaux

Ce rituel, Sandro Ricci le raconte à Blick après un an d’abstinence. Il travaille actuellement comme coach sportif dans un club de fitness, et souhaite rester anonyme pour ne pas perdre son emploi.

Le jeune homme parle rarement en «je». «On a» ou «On est», insiste le jeune homme. Bien que ces substances utilisées pour «pumper» les muscles soient largement répandues et utilisées en Suisse, le fait est que notre société stigmatise ceux qui prennent des stéroïdes anabolisants. Une étude du Centre de médecine de l’addiction de Zurich conclut que plus de 200’000 personnes en consomment au cours de leur vie dans notre pays. Et la tendance est à la hausse.

Philip Bruggmann, qui a mené cette étude, explique: «Les images de corps parfaits se propagent via les réseaux sociaux. Les jeunes se comparent aux personnes qui consomment des anabolisants. Ils veulent aussi ressembler à cela et se tournent vers les stéroïdes. C’est ainsi que se crée une spirale.»

Effets secondaires très graves

En ligne, des influenceurs comme le bodybuilder Mark Bell, 46 ans, partagent leurs expériences. Sur Instagram, le sportif est suivi par pas moins d’un demi-million de personnes. Dans une vidéo, un interlocuteur mentionne le recours à ces anabolisants: «La thérapie de remplacement de la testostérone a un effet positif sur ta vie. Tu as plus confiance en toi et ton corps change un peu.»

L’homme ne mentionne toutefois pas les risques et les effets secondaires des injections. Sandro Ricci a visionné des vidéos et des podcasts de ce genre. Pour s’informer, il a parcouru YouTube et de nombreux forums. Il a également demandé conseil à ses amis «pumpers».

Pour le professeur Philip Bruggmann, ce manque d’informations fiables est particulièrement problématique: «Les médecins qui ne sont pas spécialement formés aux anabolisants réagissent généralement avec réticence, voire de manière stigmatisante.» Souvent, les connaissances nécessaires pour fournir des conseils solides font défaut.

Par conséquent, les personnes concernées se tournent vers leur propre réseau. Le problème est que, la plupart du temps, on n’y transmet pas de connaissances spécialisées, mais au mieux des semi-vérités. Les risques sont minimisés et les bienfaits mis en avant.

Le résultat est souvent désastreux. Les anabolisants peuvent par exemple avoir pour effet secondaire de rétrécir les artères. Le risque d’accidents vasculaires cérébraux est par ailleurs important. «En médecine, les personnes reçoivent un traitement de substitution à la testostérone lorsque leur production endogène est trop faible. Il s’agit alors de quantités relativement faibles», précise l’expert en médecine. Pour obtenir une forte croissance musculaire, les personnes qui ont recours à ces substances prennent des dosages bien plus élevés, ce qui conduit à «des effets secondaires inévitables».

D’autres substances actives que celles indiquées

Ces conséquences n’ont d’abord pas inquiété Sandro. Après sa première semaine d’injection, son nez s’est mis à saigner et il a commencé à avoir de l’acné sur le dos. Peu après, ses cheveux sont tombés. Ses glandes mammaires ont augmenté de volume, tandis que Ses testicules ont rétréci. Sa libido était en berne: une conséquence classique de la prise d’anabolisants.

Les boutiques en ligne promettent de l’aide et font la promotion de doses de testostérone au même titre que de pilules de Viagra. Au fil du temps, Sandro se sentait de plus en plus mal à l’aise. Il a fait des implants capillaires et a dû subir une opération de réduction des glandes mammaires. Après avoir décidé d’arrêter la prise de ces substances, il a sombré dans la dépression. Un autre effet secondaire des anabolisants qui créent une dépendance.

Pire encore: tous les dangers de la prise de ces substances n’ont pas encore été énumérés. Selon le Centre de médecine de l’addiction, les trois quarts des produits anabolisants sont des contrefaçons. Ils contiennent d’autres substances actives que celles indiquées ou ne sont pas correctement dosés. Des médicaments issus de la médecine vétérinaire sont vendus sur Internet et par des dealers. Ou des substances illégales fabriquées dans des laboratoires secrets et distribuées sur le marché noir. Pour les réseaux criminels, c’est une affaire de plusieurs millions de francs.

Les ados veulent aussi en prendre

Jonas Personeni, qui travaille au sein de la fondation Swiss Sport Integrity (SSI), confirme le trafic qui se cache derrière ces substances. «Les produits dopants interdits proviennent principalement d’Europe de l’Est ainsi que de pays asiatiques», affirme-t-il. La SSI collabore avec les autorités de poursuite pénale et examine les substances illégales interceptées. Ces dernières années, le nombre d’importations de stéroïdes anabolisants a augmenté, ce qui indique que l’utilisation de ces produits est à la hausse.

Sandro l’observe également au quotidien dans son travail. De plus en plus de personnes intéressées viennent lui poser des questions à ce sujet. «Même des jeunes de 16 ans veulent essayer de prendre de la testostérone.» Une évolution inquiétante, même pour lui.

Pour l’instant, Sandro ne consomme plus de stéroïdes anabolisants. «Un jour, j’aimerais peut-être m’y remettre», se projette le jeune homme. Sa puissance lors des entraînements lui manque. Tous comme le reflet de ses muscles gonflés devant le miroir.

*Le nom a été modifié

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