Elle s’en souvient très bien. Alors qu’elle traversait la cour d’un établissement scolaire vaudois, deux enfants la hèlent d’une voix enjouée: «Madame Fripouille!». L’instant l’a marquée, le surnom est resté. Victoire Radoux l’a endossé comme un manteau taillé sur mesure, puisqu’il fait référence à son projet de cœur, l’idée à laquelle la trentenaire consacre son énergie depuis plusieurs années.
D'ailleurs, ses efforts ont récemment donné lieu à une première consécration: Fripouille, un jeu de cartes dédié à sensibiliser les jeunes à l’écologie, sera proposé dès la rentrée 2025 aux écoles publiques du canton de Vaud. La direction pédagogique vient en effet de valider un premier projet pilote, début décembre: le jeu sera utilisé dès les classes de la 5P, avec un complément pédagogique développé sur mesure pour les cours de géographie des classes du secondaire 1.
Le but du jeu est simple: obtenir un maximum de points tout en complétant les quatre familles de cartes rouges (énergie), bleues (transport), jaunes (numérique) et vertes (agriculture), toutes agrémentées d’éléments bénéfiques ou néfastes pour l’environnement. Des cartes joker pimentent le tout au travers de questions ou d’actions.
Passer de la déprime à l'espoir
Il s’agit d’une très belle étape pour la jeune entrepreneure romande, qui a osé un changement de carrière avant de concrétiser son projet. Après un Bachelor à l’École Hôtelière de Lausanne et quelques années dans le milieu de l'évènementiel sportif, au sein de l’UEFA, Victoire se souhaitait un nouveau métier, axé vers le développement durable.
«Je me suis remise aux études, j’ai suivi un Master en durabilité et gestion de l’énergie, raconte-t-elle. L’idée de créer un véhicule de communication amusant m’est justement venue lors de mes cours, lorsque j'ai réalisé qu'il existe un écart entre ce que j’apprenais et ce que j’avais entendu auparavant au sujet de l'écologie.» La jeune femme déplore par exemple qu'on parle énormément de l’impact de l’aviation sur l’environnement et beaucoup moins de la pollution numérique, alors que ces informations sont essentielles pour le grand public.
«Je trouvais également dommage que les débats sur le climat véhiculent autant de ressentis agressifs ou déprimants, ajoute-t-elle. Car au fond, l’écologie, c'est pouvoir se réjouir de l’avenir.»
Première étape: des cartes écrites et plastifiées à la main
Sa carrière prend donc un tout nouveau tournant: aujourd'hui, Victoire travaille dans l’industrie du recyclage et continue à développer son projet, malgré une flopée d'avis décourageants: «Lors de mes échanges avec des professionnels de l’industrie du jeu, certains étaient convaincus que la thématique était trop déprimante et qu'il n'intéresserait pas sous cette forme. D’autres, à l’inverse, m’ont beaucoup soutenue.»
Loin de se laisser décourager par ces réactions décevantes, la Romande persévère. S’ensuit l’élaboration minutieuse de 120 cartes écrites et plastifiées à la main, ainsi qu’une période de tests réalisés dans une école vaudoise, afin d’affiner les règles et mieux évaluer l’intérêt des enfants pour le jeu.
Deuxième étape: mille jeux imprimés d'un coup
La sauce prend. «Les jeunes joueurs semblaient très vite en redemander, désireux d’acquérir le jeu pour l'utiliser chez eux. Je reçois aussi des demandes de la part d’entreprises, pour l'organisation d'ateliers autour du jeu.»
Comment Madame Fripouille s’est-elle sentie au moment de recevoir le premier exemplaire imprimé de sa création? «Enthousiaste et anxieuse, admet-elle. Auto-financée, j’imprimais mille jeux d’un coup! Mais on ne s’est pas loupé, heureusement!» L'écologie est présente également dans la conception des cartes, imprimées en Europe à partir de papier certifié FSC et de plastique compostable.
Alors que l'année touche à sa fin, ponctuée de bonnes nouvelles et de perspectives réjouissantes, Victoire se sent aussi fatiguée que satisfaite: «Je vais profiter des fêtes pour me reposer, et démarrer 2025 pleine d’énergie!»