Les violences sexistes, la discrimination et les abus de pouvoir font partie intégrante de l'armée suisse. Selon une étude publiée en octobre 2024, 90% des femmes à l'armée ont subi des violences sexistes ou sexuelles. L'hostilité envers les homosexuels est aussi fortement répandue au sein de l'institution.
Les récits de victimes, les cas traités par la justice militaire et les propos tenus lors des sorties par les recrues et les officiers montrent à quel point le problème est profond. Certains témoignages glacent le sang. Dans une interview accordée à Blick, Markus Theunert, psychologue spécialisé dans les questions de masculinité, fait le point.
Markus Theunert, pourquoi y a-t-il autant de cas de discrimination et de violence sexistes dans l'armée suisse?
L'armée reste à l'image de la société, même si elle a ses spécificités. Moins une organisation est mixte, plus le risque de voir certaines particularités culturelles prendre de la place grandit. Le climat qui règne dans l'armée est actuellement très tendu: les hommes se réfèrent à des normes de virilité qui déteignent sur les relations qu'ils entretiennent entre eux. La finesse et la sensibilité ne sont pas exigées, mais la sévérité et la dureté oui. Ce tout constitue un terrain propice à la violence et aux agressions en tout genre.
Neuf femmes sur dix subissent des violences sexuelles à l'armée. Qu'est-ce qui ne va pas dans cette institution?
Dans l'histoire de la société humaine, les femmes ont souvent été considérées comme des objets. Jusqu’à il y a quelques décennies à peine, elles disposaient de très peu de droits. Ce rapport hommes-femmes, reste, malgré les évolutions, profondément ancré dans notre culture. Les hommes sont amenés à croire, à tort, que l'attention féminine leur est due. Certains en viennent même à croire qu’ils ont des droits sur le corps des femmes, qu’ils peuvent en disposer à leur guise.
Dans un autre registre, pourquoi la haine envers les personnes homosexuelles est-elle si répandue dans l'armée?
L’armée est un espace très particulier: les hommes y vivent très proches les uns des autres et sont censés entretenir de solides liens de camaraderie. Ils doivent veiller les uns sur les autres, faire preuve d’attention, pour que l’esprit d’équipe puisse fonctionner. Mais en parallèle, il leur est strictement interdit de ressentir la moindre tendresse ou attirance sexuelle envers d’autres homme. Cela serait perçu comme profondément «non viril». La plupart ne parviennent à gérer cette tension qu’en rejetant violemment et en dévalorisant l’homosexualité.
Pourquoi tant d’hommes ont-ils du mal à assumer la responsabilité de comportements déplacés?
Parce que le masculin reste, dans notre société, le genre privilégié. De nombreux hommes n'acceptent donc pas qu'on puisse critiquer leur comportement ou, pire encore, qu'on leur fasse remarquer qu’ils ont franchi une limite et qu'on les somme de s'excuser. Cela implique une remise en question personnelle: qu’est-ce qui n’a pas fonctionné? En quoi ce comportement a-t-il été blessant? Pourquoi s’agit-il d’une forme de violence? Tous les hommes ne sont pas en mesure, ou ne sont pas prêts, à entamer une telle réflexion.
Les membres de l'armée rapportent certaines évolutions positives au cours des dernières années. La jeunesse est-elle plus sensible?
J'aimerais faire ici une mise en garde: l'illusion qui veut que ces problèmes disparaissent d’eux-mêmes avec le temps est trompeuse. Des études montrent qu’au sein de la jeune génération masculine, on observe un net recul en ce qui concerne les questions de genre. Autrement dit, les anciens schémas de pensée refont surface. A ce titre, je m’attends plutôt à ce que cette problématique prenne à nouveau de l’ampleur dans un avenir proche.
Comment l'armée suisse peut-elle résoudre le problème du sexisme de manière durable?
En tant que société, nous devons progresser et confronter nos racines patriarcales. C’est la seule manière de venir à bout de ces violences. Et l’armée, en tant que composante de la société, doit également s’engager dans ce processus.