«Cette maison nous a sauvé la vie.» Assise à la table en pierre de son rustico à Mondada, Cordula Huber allume une cigarette. Neuf mois se sont écoulés depuis cette nuit qui a tout bouleversé, le 29 juin 2024, lorsque l’eau et les pierres ont tout emporté sur leur passage.
Le malheur semblait palpable dans l’air: dans l’après-midi, la poussière du Sahara recouvrait le Tessin d’un voile lourd. «Nous sentions que quelque chose se préparait», raconte Cordula Huber. Il a commencé à pleuvoir, d’abord légèrement, puis les averses se sont rapidement transformées en pluies torrentielles. A un moment donné, même le chien refusait de sortir. Vers minuit, une cellule orageuse s’est abattue sur la vallée: des centaines d’éclairs, des trombes d’eau, un fracas assourdissant.
A une heure du matin, l’alarme a retenti. Sur le téléphone portable de Cordula Huber, le message d’Alertswiss s’est affiché: «Eloignez-vous des cours d’eau et ne descendez pas dans les caves!» Cordula Huber s’est alors demandé: «Où puis-je aller?» Sa fille Maria, âgée de 37 ans, dormait dans la chambre voisine. C’est alors que la terre s’est mise à trembler. «Comme dans une machine à laver», décrit Cordula Huber pour expliquer ce qu’elle a ressenti. La vieille maison en pierre du XVIIIᵉ siècle a tremblé, mais elle a tenu bon.
Ce que Cordula Huber ignorait encore, c’est qu’à quelques mètres de là, à Fontana, un gigantesque glissement de terrain avait éventré le village. Des blocs de pierre, aussi grands que des maisons, avaient dévalé la pente, emportant la vie de trois touristes allemandes. L’image d’une maison détruite, d’une armoire éventrée avec des vêtements encore accrochés, hante toujours l’esprit de Cordula Huber.
Reprendre courage
Au matin, c’est le bruit des machines qui les a réveillées. Dehors, un paysage apocalyptique s’étalait devant eux: des amas de pierres, une forêt entièrement disparue, et leurs deux voitures balayées par la catastrophe. Peu après, les secours leur ont annoncé qu'elles avaient dix minutes pour rassembler l’essentiel dans un sac à dos. Puis, mère et fille se sont retrouvées suspendues à un câble d’hélicoptère qui les a évacuées vers Cevio, au fond de la vallée. Douze heures plus tard, Cordula Huber était de retour à Zurich. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle a pleinement mesuré l’ampleur des ravages causés par les intempéries.
«Après cela, j’ai été traumatisée», raconte Cordula Huber. La nuit, elle se réveillait en hurlant dans son lit, saisie par des tremblements internes. Aujourd'hui, elle va mieux. L'assurance couvrira les dégâts causés aux anciens murs de la maison. Il reste encore beaucoup à faire, mais il faut aller de l’avant. Cordula Huber en est consciente: la maison, qu’elle possède depuis 2021, l’a protégée. Depuis la mi-avril, la vallée de la Bavona est à nouveau accessible, une route construite à la hâte traverse désormais le cône d’éboulis. La vie reprend gentiment son cours.
Presque comme avant
Plus haut dans la vallée, à Foroglio, Martino Giovanettina et sa femme Sara tiennent l’Osteria Alpina La Froda. Il y a quelques jours, lorsque l’aubergiste et écrivain a enfin pu franchir à nouveau le pont menant à son restaurant, il s’est senti étrangement étranger dans ce lieu qu’il connaît pourtant depuis 35 ans. Il a dû se réhabituer au grondement de la cascade, à l’air humide et au vent froid. A présent, tout semble presque comme avant: des randonneurs s’installent à l’extérieur, savourent de la polenta et du fromage d'alpage.
Bientôt, La Froda accueillera à nouveau des événements culturels: concerts, expositions, soirées littéraires. Et le 14 juin, Martino Giovanettina y présentera son nouveau livre, intitulé «La notte delle pietre folli» signifiant «La nuit des pierres folles». La vie en montagne l’a toujours inspiré, en particulier la manière dont la nature impose son rythme, transformant parfois brutalement les paysages fixés depuis des siècles.
Ce qu’il a bâti ici, à La Froda, n’apparaît sur aucune carte, précise Martino Giovanettina: «Cela existe surtout dans la mémoire des gens.» Le restaurant est bien plus qu’une simple bâtisse: c’est un lieu d’âme, une montagne ouverte qui appartient à tous. C’est pourquoi la solidarité de la population a été immense après les intempéries qui ont isolé Foroglio tout un été. Aujourd’hui, Martino Giovanettina espère que la route restera ouverte: «Si on ferme le Val Bavona, ce sera une vallée morte.»
Métamorphose d'une vallée
Le long de la route qui traverse le val Maggia, des affiches annoncent une exposition inaugurée ce samedi à Cevio: Metamorfosi di una valle – la métamorphose d'une vallée. Elle retrace l’histoire de la construction des barrages dans les années 1950 et de l’exploitation de l’énergie hydraulique.
Les intempéries exceptionnelles de juin 2024 ont elles aussi transformé le paysage. Alors, comment continuer à vivre ici? C’est la question au cœur d’un projet initié par les communes concernées et la Fondation Val Bavona. L’objectif est d’élaborer, avec une large participation, une vision collective du futur paysage. Mais avant cela, le temps est à la célébration: le Val Bavona a récemment été désigné «Paysage de l'année» par la Fondation suisse pour la protection et l'aménagement du paysage. La cérémonie de remise du prix aura lieu le 24 mai à Cavergno, en présence du conseiller fédéral Albert Rösti.
Une nouvelle réalité
«La cohésion est forte dans ces vallées», souligne Lorenzo Dalessi, président de la Fondazione Valle Bavona. Revenir à l’état d’avant la catastrophe n’est ni possible ni souhaitable. Trop de matériaux ont été déplacés et le paysage a été profondément modifié. Le défi est désormais de faire de ces changements une opportunité. Le respect face aux forces de la nature restera présent, affirme Lorenzo Dalessi. Et c’est essentiel, car «l'augmentation des événements météorologiques extrêmes n'est malheureusement plus un scénario hypothétique, mais bien une réalité, dans les Alpes comme ailleurs».