Est-ce qu’il y aura bientôt des pingouins en plein centre de Genève, en été comme en hiver, comme dans le complexe couvert Ski Dubaï? C’est la question que se pose le conseiller national et vice-président des Vert’libéraux genevois Michel Matter, à l’autre bout du fil, lorsque Blick l’interroge sur la piste de ski indoor qui devrait voir le jour à Genève d’ici à 2027.
L’idée lui semble lunaire. «Nous vivons en Suisse! Si on va skier, on le fait à la montagne, avec de la vraie neige, argue le politicien. Une société qui bénéficie d’un paysage comme le nôtre, et qui construit des pistes indoor dans le même temps, c’est une société qui marche sur la tête — point!»
Un autre élu, le président du Parti socialiste, Thomas Wenger, n’a par ailleurs pas attendu notre coup de fil pour fulminer, se fendant d’un poste amer sur Facebook à ce propos lundi soir.
À l’origine de la polémique, une initiative privée, portée par l’association Projet Genève, une coalition de politiciens qui se sont donné pour mission de réambiancer le bout du Léman (tant via la fête que le sport). Son nouveau poulain étant le futur Urban District, un énorme complexe sportif de 10’000 mètres carrés, qui compte proposer un grand nombre d’activités sportives diverses et variées... Dont une piste de ski indoor.
Sur les réseaux sociaux, il y a des quidams qui soutiennent l’idée de cette installation dans la section commentaires — «Très beau projet!». Mais l’indignation semble plus véhémente: «POLLUTION!», «complètement con! Devrait être interdit en Suisse», ou encore «sacrée avance concernant le 1er avril», lit-on par exemple sur Facebook. D'autres s'inquiètent du sens des priorités de la ville et du canton de Genève, et crient à l'injustice: «Pour ça, pas de soucis pour les autorités (...) mais pour construire une nouvelle patinoire pour le club de hockey, qui le mérite, rien», dénonce par exemple un utilisateur.
Et les internautes ne sont pas les seuls à s’émouvoir de ce projet. À gauche et au centre de l’échiquier politique, l’idée d’une piste de ski à l’intérieur, au cœur de Genève, fait pour le moins grincer des dents. «Lorsque j’ai lu que c'était en cours, j’ai vraiment cru que c’était une bonne blague, nous confie Thomas Wenger. Je n’exagère pas!»
Une machine à polluer?
Le socialiste enchaîne: «Je m’étonne beaucoup qu’une nouvelle association telle que Projet Genève — qui se veut moderne et dynamique — puisse soutenir un projet aussi absurde et décalé…»
Sans grande surprise, la conseillère nationale et présidente des Vert-e-s genevois-es, Delphine Klopfenstein Broggini, n’en pense pas moins: «Ce projet est complètement hors sol, il manque de bon sens. J’en suis d’autant plus étonnée que nous sommes aujourd’hui dans une situation où les économies d’énergie devront être les maîtres mots des prochaines décennies…»
Pour elle, la vision du sport que représente le futur Urban District n’est pas en phase avec notre époque: «Le tourisme durable, les activités de loisir qui respectent l’environnement, ça existe déjà — aussi en Suisse. Et, ma foi, le ski n’en fait pas forcément partie. Par manque de neige, ce sport est voué à se raréfier, oui. S’accrocher à ça, par le biais de pistes indoor, ou autres absurdités comme la généralisation des canons à neige, c’est s’accrocher au vieux monde.»
Le privé doit être responsable
Interrogées quant à l’aspect écologique du projet dans l’article qui le révélait au monde, ses chevilles ouvrières s’en dédouanaient alors. Invoquant le fait de rendre ce sport plus accessible, et renvoyant la responsabilité de l’impact écologique aux autorités chargées de l’alimentation électrique.
Des arguments qui ne sont pas du goût de Thomas Wenger. «Se dédouaner de son empreinte écologique parce qu’on est dans le secteur privé est aberrant, s’indigne le socialiste. De plus, la durabilité — ou non — d’un projet n’est pas uniquement liée à l’électricité. Il y a aussi la mobilité, les matériaux de construction, les produits vendus sur place qu’il faut prendre en compte, par exemple.»
Même son de cloche du côté du conseiller national vert’libéral Michel Matter, selon qui «le secteur privé doit toujours avoir la durabilité en tête. Se déresponsabiliser de l’impact écologique de son projet, c’est comme ouvrir le robinet d’eau de sa salle de bains pendant des heures, juste pour rigoler, puis déclarer que c’est aux Services industriels de Genève de payer la note…»
L’accessibilité, cette fausse excuse?
Les porteurs du projet avaient insisté sur ce point: une telle installation doit aussi jouer un rôle social, en permettant à toutes et à tous de s’essayer au ski. Mais, construire une piste indoor, est-ce vraiment rendre le ski plus accessible?
Thomas Wenger n’est vraiment pas convaincu: «Si l’entrée de base dans ce complexe est estimée à 15 ou 20 francs (ndlr: des chiffres fournis par Projet Genève), et qu’il faut payer plus pour faire du ski indoor, comme l’affirment les organisateurs, au final, ça revient au même prix qu’un abonnement dans une petite station à proximité de Genève! Comme la Givrine, par exemple. Donc, même en termes d’accessibilité et de prix, ce projet n’a pas de sens.»
Michel Matter appelle quant à lui à faire preuve d’un peu plus de créativité pour sauver la planète. «Les personnes qui veulent pouvoir s’entraîner au ski toute l’année peuvent déjà le faire grâce à des méthodes alternatives, qui ne consomment aucune énergie, contrairement à cette piste de ski artificielle, avance-t-il. Les skieurs de fond placent, par exemple, de petites roulettes sous leurs skis pour pratiquer sans neige.»
Un malentendu, pour projet Genève
Confronté à ces réactions, Darius Azarpey, vice-président du PLR Genève et tête d’affiche de l’association Projet Genève, qui parraine le futur Urban District, pointe du doigt ce qu’il estime être un malentendu: «On le voit clairement sur les simulations en images 3D: ceci n’est pas de la vraie neige, mais un tapis roulant, tout simplement! Un tapis qui permettra aux visiteurs d’avoir l’impression de glisser sans bouger.» Pas de pingouins au programme non plus, a priori.
Et au politicien de mettre l’accent, encore une fois, sur l’accessibilité: «C’est une installation qui peut aussi être utile et intéressante pour les personnes à handicap, qui n’auraient peut-être jamais eu la chance de pratiquer ce sport autrement.»
Niveau pollution, le libéral-radical assure qu’il prendra ses responsabilités. À l’autre bout du fil, il promet que son association va travailler à rendre ce parc sportif durable au possible. Notamment via une charte écologique. Affaire à suivre...