Qui est Hansjörg Wyss? Aux États-Unis, beaucoup attribuent à ce Suisse de 86 ans un rôle-clé dans la victoire électorale de Joe Biden. Un businessman bernois comme «spin doctor» de la première puissance mondiale? L’homme ne veut pas prendre position sur de telles affirmations. Le «fantôme» a néanmoins accepté de parler virtuellement à Blick depuis son domicile actuel, non loin de Boston.
La pandémie a repris du poil de la bête aux États-Unis en tout début d’automne. Comment est la situation actuellement?
Hansjörg Wyss: Cela s’est tranquillisé. Au début septembre, le Covid a de nouveau été hors de contrôle. On est passé tout près de la catastrophe dans plusieurs États du Sud. Sur les côtes ouest et est, le taux de vaccination est très bon, ce qui permet de voir venir. Pas comme dans les régions rurales du centre du pays ou dans le sud. Cela provoque des vagues successives d’infection, avec à la clé une pression sur le système de santé. Les politiciens conservateurs ne veulent pas reconnaître la dangerosité du virus…
À 86 ans, vous faites partie du groupe à risque. Cela vous fait-il peur?
Peur non, mais j’ai du respect pour le virus. Mon épouse et moi avons essayé de vivre aussi normalement que possible. Nous ne nous sommes jamais terrés, si je puis dire. Mais depuis le printemps 2020, porter un masque, respecter les distances et se faire tester régulièrement fait partie de notre quotidien. J’avoue cependant qu’à la longue, nous relativisons un peu et que nous avons pris mon avion pour nous rendre en Californie.
Êtes-vous vaccinés?
Évidemment! Chaque personne saine d’esprit se fait vacciner. Je faisais partie des premiers de ma classe d’âge à le faire, en janvier déjà. C’est pourquoi j’ai même déjà reçu une nouvelle injection, le fameux «booster».
Constatez-vous autant de controverse et de résistance autour du vaccin aux États-Unis qu’en Suisse?
Cela dépend. Dans les États du nord et en Californie, ce n’est pas un thème. J’ai dit aux collaborateurs de ma fondation: «soit vous vous faites vacciner, soit vous perdez votre job!» Je n’ai dû procéder à aucun licenciement. Bon, c’est aussi parce que je n’engage pas n’importe qui (rires).
Qu’est-ce qu’on peut dire à quelqu’un qui hésite pour le convaincre?
On doit distinguer les choses. Avec les sceptiques, qui ont fait de la lutte contre le vaccin une quasi-religion, on ne peut de toute façon pas discuter. Mais il y a une part non négligeable de personnes, notamment des jeunes, qui n’ont pas encore reçu leur piqûre par fainéantise. Nous pouvons exposer à ce groupe les dangers potentiels du virus et leur rappeler pourquoi il est absolument primordial d’agir vite.
Comment évaluez-vous la politique anti-Covid en Suisse?
Il y a eu un grand chaos l’automne dernier. L’esprit frondeur de certains petits cantons a compliqué les choses — le Conseil fédéral ne peut pas tout décider de lui-même. Heureusement, l’introduction du certificat Covid a été une très bonne mesure. Lors de ma récente visite dans les Grisons chez des amis, j’ai pu me sentir en sécurité au restaurant. Celui qui n’avait pas de certificat devait simplement rester chez lui. Par bonne conscience et respect vis-à-vis des autres clients, nous nous sommes de plus testés chaque matin.
Voilà qui est exemplaire. Néanmoins, le certificat Covid est contesté. Certain(e) s estiment qu’il s’agit d’une vaccination forcée indirecte.
Oui oui, «certain(e) s». Il s’agit de politiciens de l’UDC, qui sont très bien relayés par les médias. Tout cela manque cependant d’intelligence…
Avec tout notre respect, c’est précisément le contraire: les UDC qui s’engouffrent dans cette brèche agissent avec beaucoup d’intelligence politique — ils flattent leur base électorale.
C’est vrai. Après tout, les politiciens ne sont pas intéressés en premier lieu par le bien-être de la population mais par leur réélection. Et le grand avantage des politiciens, c’est que les gens oublient très vite…
Malgré la pandémie, l’économie suisse se maintient super bien. Comment l’expliquer?
Nous sommes leaders mondiaux dans les domaines de la technologie et de la formation. La Suisse a des écoles primaires, secondaires et des Universités à la pointe. C’est pour cela que l’économie est aussi robuste. Mais attention, nous allons au-devant de cinq années très compliquées, à mon sens.
Pourquoi?
Parce que nous ne parvenons pas à normaliser nos relations avec l’Union européenne. Le Conseil fédéral n’aurait jamais dû interrompre les négociations sur l’accord-cadre. Je ne peux pas comprendre cette décision. Il aurait fallu discuter davantage à l’interne avant de claquer la porte bêtement. Avec les accords bilatéraux, c’est comme si nous étions dans l’Union européenne, mais avec des avantages et plus de libertés. J’espère que l’on pourra bientôt se rasseoir à la table des négociations.
Qu’est-ce qui menace la Suisse, donc?
Nous allons bientôt être considérés par l’Union européenne comme le Pakistan par exemple. La Suisse va être ignorée, que ce soit pour le programme de recherche Horizon dès 2027 ou pour les discussions importantes en général. C’est un poison pour notre économie et pour notre force d’innovation. Cela va beaucoup nuire à nos start-ups et nos PME dont nous sommes si fiers…
Quel est le plus gros défi pour la Suisse du 21e siècle?
La croissance démographique. La Suisse ne peut pas être concurrentielle avec 11 millions d’habitants. Le beau et préservé pays que nous avons tous appris à connaître et à aimer, ce serait fini. La Suisse ne serait alors qu’une grande ville.
Voilà Hansjörg Wyss soudain pile dans la ligne de l’UDC! Votre recette, c’est aussi de limiter l’immigration?
Pas du tout! L’immigration nous a beaucoup rendu service, c’est un fait. Il y a de plus en plus de gens très intelligents qui arrivent en Suisse et apportent beaucoup à notre pays. Scientifiques, ouvriers, etc. La Suisse n’est pas une île! Vouloir «limiter l’immigration», ce n’est qu’un slogan politique simpliste. La croissance démographique est un défi global, il serait illusoire de croire que la Suisse puisse prendre une voie solitaire dans cette problématique.
Pour quel parti votez-vous en Suisse?
En tout cas pas l’UDC! Ce parti est un grand danger pour notre pays — il n’a jamais compris que ce qui faisait la force de la Suisse, c’était sa connexion au monde. La priorité de l’UDC, c’est de voir flotter des drapeaux suisses dans chaque village… Sinon, tous les partis ont des idées intéressantes. Parfois, ce sont les socialistes qui arrivent avec une bonne initiative, d’autres fois le camp libéral.
Aux États-Unis, vous êtes proche des démocrates. Est-ce que Joe Biden vous a déjà dit merci?
Pourquoi ça?
En mai dernier, le «New York Times» rapportait que vos dons avaient beaucoup aidé le nouveau président, tant lors du congrès démocrate que pour accéder à la Maison Blanche.
Ce sont des bêtises. C’est un journaliste conservateur qui ne fait que d’écrire ce genre d’articles sans fondement. Je n’ai pas dépensé un seul centime pour un candidat aux élections américaines de 2020, je peux vous l’assurer.
Néanmoins, qu’a Joe Biden de mieux que Donald Trump?
Nous n’avons plus un président qui ment 10 fois par jour. Chaque personne qui était contre Donald Trump était détruite. Avec Biden, on peut être d’un autre avis. C’est le retour à une certaine normalité qui a beaucoup manqué et qui fait du bien au pays.
Avec une fortune estimée à 6 milliards de francs, vous faites partie des Suisses les plus riches. Que voulez-vous faire de tout cet argent?
Je veux faire le bien grâce à ma fondation. A l’échelle mondiale, nous nous engageons pour la préservation de la planète. Nous avons par exemple un projet récent dans l’État de Géorgie, où nous construisons six parcs nationaux entièrement à notre charge. Dès qu’ils seront construits, nous partagerons les coûts d’entretien avec l’État.
Vous avez adhéré au programme «Giving Pledge» de Warren Buffet, Bill Gates et d’autres milliardaires. Vous avez ainsi promis de donner la moitié de votre patrimoine avant votre décès. Où en êtes-vous sur ce terrain?
Le «Giving Pledge» est déjà réussi, puisqu’une très grande partie de mon patrimoine est dans ma fondation et plus sous mon contrôle. A mon décès, la quasi-totalité de mes richesses restantes iront dans ma fondation.
Est-ce que vous vous engagez aussi en Suisse?
Oui, je donne à diverses organisations de plus petite envergure. Par exemple à la Mutterverein Bern-West (une association de mères bernoises) ou un groupe bâlois qui soutient les écoles au Népal. À Genève, nous avons fondé un centre pour la neuro-ingénierie en partenariat avec l’EPFL et l’Université de Genève. Et nous soutenons de nombreuses start-ups helvétiques.
Pourquoi cette passion pour les dons?
Parce que pour vivre au quotidien, je n’ai pas besoin de millions, encore moins de milliards. Qu’est-ce que cela m’apporterait de conduire une Rolls-Royce hors de prix à travers la ville? Cela ne m’inspirerait rien de bons. Je dois bientôt m’acheter une nouvelle voiture — ce sera une Toyota Prius, le modèle le plus respectueux de l’environnement que j’ai trouvé. C’est une bonne chose. Et en plus, elle est bon marché (rires).
Vous avez grandi dans un environnement plutôt pauvre…
Attention! Tous les journalistes adorent écrire ça à mon sujet. En réalité, j’ai grandi dans les conditions les plus «riches» qui soient et que l’on puisse espérer: lorsque je rentrais de l’école à midi, ma famille écoutait les nouvelles et nous en discutions pendant une demi-heure. La même chose le soir. Cela m’a beaucoup apporté, mon enfance a été parfaite.
Vous vivez depuis 40 ans aux États-Unis. Un retour en Suisse n’est-il pas envisageable?
C’est impossible. Ma vie est ici aux États-Unis, j’y ai tout mon cercle social. Je rends visite à mes amis et à ma famille restée en Suisse quatre fois par an. Mais dès que j’atterris à Zurich, je redeviens 100% Suisse. Et lorsque mon avion se pose à Boston, c’est le contraire, je me sens totalement Américain. Cette vie partagée entre deux pays me convient tout à fait.