Le MCG et le Centre mécontents de la grande alliance de droite
«Je ne voterai jamais pour la candidate du Centre qui vomit sur le MCG»

Le Centre et la droite de Genève ont annoncé une liste commune pour le Conseil d'État, en vue du second tour des élections du 30 avril. Une alliance que le Centre et le MCG auraient rejoint à reculons. Et qui pourrait, paradoxalement, profiter à Pierre Maudet. Analyse.
Publié: 04.04.2023 à 18:34 heures
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Dernière mise à jour: 04.04.2023 à 20:27 heures
Le MCG, qui a réalisé un bon score à l'élection au Parlement genevois le dimanche 2 avril, ne serait pas fan de l'idée de s'allier au Centre.
Photo: keystone-sda.ch
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Daniella GorbunovaJournaliste Blick

«C’est une première depuis les années 1990, à Genève», s'exclame le député socialiste Alberto Velasco. Et ça n'enchante pas forcément tout le monde. La nouvelle est tombée dans la nuit de lundi à mardi: le centre, la droite, la droite radicale et le Mouvement citoyen genevois — qui défend pourtant farouchement sa posture «ni de gauche, ni de droite» — vont faire front commun pour le second tour des élections genevoises.

Vous avez bien lu: le PLR, l’UDC, le MCG et l'ex-PDC partiront main dans la main à l’assaut du Conseil d’État le 30 avril prochain, avec cinq candidats (deux PLR, puis un de chaque parti de cette nouvelle alliance), face à une gauche déjà unie depuis le premier tour.

Pourquoi une telle manœuvre? Parce que malgré sa claire majorité au Parlement, à l’issue de la course du dimanche 2 avril, la droite est en moins bonne posture pour ce qui est du Conseil d’État. Parmi les sept vainqueurs du premier tour, seules les deux candidates libérales-radicales, Nathalie Fontanet et Anne Hiltpold (ainsi que Pierre Maudet), sont issues du bord centre-droite.

Après un tel dénouement, «un préaccord d’alliance avait déjà été établi dimanche soir. Les grandes décisions ont été prises dans le cercle restreint des présidents» de la droite et du Centre, nous confie une source bien renseignée. Non sans quelques (grosses) réticences des centristes et du MCG, d’après nos informations (on y reviendra).

Cette entente suffira-t-elle à faire pencher le Conseil d’État à droite? Fera-t-elle chuter Pierre Maudet, qui est parvenu à faire entrer son nouveau parti au Parlement? Rien n’est encore gagné. Et certains partis concernés risqueraient même d’y perdre des plumes, selon plusieurs observateurs internes et externes. Voici pourquoi.

Une alliance inédite

Si cette quadruple-entente est assez inédite à Genève, elle a déjà été envisagée depuis longtemps. Le président du PLR Bertrand Reich explique: «Cela fait deux ans que nous appelons de nos vœux une alliance élargie à droite. Nous nous réjouissons qu’elle ait enfin lieu.» Le libéral-radical d’ajouter: «On va vers un fonctionnement à la Fribourgeoise, car on voit bien que ça marche. Là-bas, le Centre ne s’est joint à la droite qu’au deuxième tour également. Et la droite a fini majoritaire, au bout du compte.»

Le chef de groupe de l'UDC du bout du Léman, André Pfeffer, emboîte le pas au président du PLR: «L’UDC a toujours tendu la main à une grande alliance de la sorte. Plus encore, nous la demandions. Notre objectif prépondérant étant la majorité de droite au Conseil d’État.»

Le PLR, tête pensante de cette opération, a-t-il réussi l’exploit de «réconcilier» des partis aussi radicaux que le MCG et l'UDC avec le Centre? Un membre des libéraux-radicaux proche du comité directeur nous confie que «réconcilier est un bien grand mot. C’est plutôt un principe de réalité.»

Aussi contacté, Jacques Blondin, le président du Centre, déclare quant à lui qu'une telle entente n'était pas forcément une évidence pour son groupe: «Nous avions mis en place une stratégie et des hypothèses qui ne se sont pas confirmées le dimanche 2 avril. Nous l’avons toujours dit: nous partirons seuls au premier tour, mais nous sommes ouverts à des alliances au deuxième. Aujourd’hui, sans cette alliance, nous n’avons aucune chance de faire élire notre candidate Delphine Bachmann au Conseil d’État.»

Si c'est pour y aller à reculons, pourquoi ne pas avoir plutôt rejoint Pierre Maudet, par exemple? «C’est une option qui est arrivée très tard dans les discussions. Et, dans la constellation actuelle, ce n’est pas une option qui nous a intéressés, puisque nous sommes tout de même historiquement proches du PLR...», explique le président des centristes.

Le Centre est là par dépit

Un membre du Centre proche du comité directeur, qui a souhaité rester anonyme, avoue quant à lui être véritablement déçu de la tournure qu'ont pris les événements. Il confesse: «Pour nous, je dirais que c’est vraiment le scénario du pire. Mais pour tenter de sauver une place au Conseil d’Etat, nous devons effectivement faire des compromis. Même comme ça, ce n’est pas gagné.»

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«Le Centre a toujours dit que les politiques anti-frontalières et anti-immigration du MCG et de l’UDC étaient rédhibitoires pour lui»
Alberto Velasco, député socialiste
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Et pour cause, le parti de la droite modérée doit désormais faire front commun avec l'UDC et le MCG. Deux entités dont les positions sur l'immigration et les frontaliers, par exemple, sont assez antithétiques à celles du Centre. Niveau ligne politique, donc, ça risque de coincer. Et l'électorat va bien finir par s'en apercevoir: «Ça va être un vrai tremblement de terre. Et on sous-estime clairement sa magnitude», regrette notre source.

Le député socialiste Alberto Velasco, réélu le 2 avril, observe quant à lui cette entente se faire de l'extérieur. Mais il parle lui aussi d'un cocktail explosif: «Le Centre a toujours dit que les politiques anti-frontalières et anti-immigration du MCG et de l’UDC étaient rédhibitoires pour lui. Comment peut-il désormais s’allier avec ces deux partis, sans donner l’impression de trahir son électorat? On est à la limite de l'imposture».

Le MCG est là, mais furieux

Du côté du Mouvement citoyens genevois (MCG), malgré les réjouissances officielles, ça grince fort des dents — d'après nos informations. La décision de rejoindre l'alliance aurait été prise à la verticale, signée Mauro Poggia, actuel conseiller d'Etat du parti, et François Baertschi, président. «Personne d’autre n’a eu son mot à dire. C’est un peu de la dictature», soupire une source interne bien renseignée.

Notre interlocuteur relaie une levée de boucliers au sein des membres, et ne mâche pas ses mots: «Je trouve incroyable que l’UDC et le MCG acceptent de s’allier au Centre! Leur candidate Delphine Bachmann nous a littéralement vomi dessus le soir des élections du 2 avril, nous traitant entre autres de populistes. Je peux vous dire que, à l’intérieur du Mouvement, cette alliance avec elle ne passe pas du tout!»

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«Jamais je ne voterai pour Delphine Bachmann. Elle ne nous salue même pas, au parlement»
Un membre du MCG
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De quoi faire chauffer les stylos dans les urnes? Très certainement. Consignes ou pas, cette source ne soutiendra pas le Centre: «Jamais je ne voterai pour Delphine Bachmann. Elle ne nous salue même pas, au Parlement. Elle a toujours fait comme si on n’existait pas. Maintenant, elle va aussi devoir faire sans nous.»

Contrairement aux centristes, certains membres du MCG nous confient qu'une entente avec Pierre Maudet aurait pu être envisageable, de leur côté. «La bonne alliance, pour beaucoup de nos membres, aurait été une alliance MCG, UDC et Libertés et Justice sociale (LJS). C’est-à-dire les vainqueurs de la parlementaire, qui s’allieraient entre eux. Si on avait joué cette carte-là, on aurait pu avoir de meilleures chances de placer nos trois conseillers d'Etat respectifs», à savoir Philippe Morel (MCG), Lionel Dugerdil (UDC) et Pierre Maudet (LJS).

Quelles conséquences?

On l'a dit: cette entente était envisagée depuis longtemps déjà. Mais les événements du premier tour ont sûrement confirmé sa nécessité. Un membre de l’UDC proche du comité directeur commente: «Pierre Maudet a effectivement fait un score absolument abasourdissant. Beaucoup de ceux qui doutaient de ses chances ont changé d’avis. Si son parti n’était pas entré au parlement, il est clair qu’il n’aurait pas autant été pris en compte à la table des négociations de la droite...»

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«S’il s’agit avant tout de faire barrage à Maudet, comme je pense que c’est le cas, la droite se trompe!»
Alberto Velasco, député socialiste
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Mais quel est le but premier de cette alliance: reverser la gauche, ou renverser Pierre Maudet? Notre observateur externe, le socialiste Alberto Velasco, décrypte: «S’il s’agit avant tout de faire barrage à Maudet, comme je pense que c’est le cas, la droite se trompe! Car ce dernier devient ainsi ouvertement le martyr de l’establishment — en pleine période pascale, qui plus est, ça risque d’attirer la sympathie de l’électorat plus qu’autre chose (rires).»

Pour un autre interlocuteur, membre de l'un des partis de cette entente de droite — qui a souhaité conserver l'anonymat — cette alliance peut en effet s'avérer être une fausse bonne idée. Car «dans cette conjoncture, avec le MCG et l’UDC qui ont rejoint l’entente, le seul choix populiste et anti-establishment qui reste aux électeurs, c’est Pierre Maudet. C’est sûr que des gens vont voter pour cela.»

Cette même source pense qu'un tel ticket centre-droite risque en revanche d'avantager l'un des maillons faibles de la gauche, la conseillère d'Etat Verte Fabienne Fischer, candidate à sa réélection: «C'est elle qui risque le plus d’y gagner, mathématiquement. Elle était en danger, mais elle pourrait finalement de se retrouver dans une posture assez favorable, grâce aux dissensions à droite quant à la candidate du Centre Delphine Bachmann, qui ne fait pas consensus du tout.»

Alors, à qui bénéficiera réellement ce grand rassemblement du Centre et de la droite? Réponse définitive le 30 avril.

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