«Chaos. Pauvreté. Faim. Froid. Mort.» Même pour l'UDC, habituée aux phrases choc, la rhétorique avait de quoi marquer les esprits mercredi matin. Devant la presse, le parti est venu dire à quel point il était inquiet par les catastrophes d'une ampleur sans précédent qui menacent le pays.
Le coupable n'est pas en Russie, selon l'UDC, mais bien en Suisse: c'est la gauche et les Verts, avec pour cheffe de file Simonetta Sommaruga, qui ont mis notre pays dans cette situation fâcheuse. «Elle a délibérément retardé le développement de la production d'électricité, dans le but d'instaurer une dictature écologique», a vivement attaqué Thomas Aeschi, président du groupe parlementaire de l'UDC.
Selon lui, la crise qui menace est la conséquence logique de la stratégie énergétique 2050 que la Suisse a adoptée après l'accident dévastateur de la centrale nucléaire japonaise de Fukushima. Si l'on ne s'était pas engagé dans cette voie, il y aurait encore suffisamment d'électricité et de gaz l'hiver prochain, assure-t-il. Et peu importe si la majorité dans les urnes a été large (environ 58%), en mai 2017.
Pas encore de sortie du nucléaire
Est-ce vrai? La «SE2050» est-elle vraiment le fossoyeur de l'indépendance suisse en matière d'énergie? Examinons les faits. D'abord, il faut se rappeler que cette stratégie repose sur deux piliers essentiels: l'abandon progressif du nucléaire et le développement des énergies renouvelables.
L'accident de Fukushima a certes été le moteur de ce changement de cap et motivé la sortie du nucléaire, mais celle-ci est en réalité très timide. Jusqu'à présent, elle s'est limitée à la centrale de Mühleberg, déconnectée du réseau à la fin 2019. Les quatre autres centrales suisses — Beznau I et II, Gösgen et Leibstadt — continuent de produire dans les mêmes proportions.
Avec l'arrêt de Mühleberg, il manque environ 3 térawattheures (TWh) d'électricité à la Suisse. Mais, par rapport à 2010 (l'année d'avant-Fukushima), un total de 3,4 TWh d'électricité issue de sources renouvelables a été injecté. Vous aurez fait le calcul: l'arrêt de Mühleberg est donc déjà plus que compensé.
Mühleberg serait de toute façon déconnectée
De plus, indépendamment de la sortie décidée du nucléaire, l'électricité de Mühleberg aurait de toute façon fait défaut cette année. En effet, les Forces motrices bernoises (FMB), qui exploitent la centrale, avaient déposé une demande dès 2008 pour remplacer celle-ci avec une nouvelle infrastructure.
Si tout s'était déroulé normalement, celle-ci serait actuellement en construction sur les rives de l'Aar. Mais pour cela, l'ancienne centrale aurait dû être arrêtée et démantelée au préalable. Et comme répondent les FMB à Blick, ses experts étaient partis à l'époque du principe que la nouvelle centrale nucléaire aurait pu produire de l'électricité «au plus tôt en 2023, mais plutôt en 2025».
Nous serions donc pour l'hiver 2022 exactement au même point sans Fukushima, contrairement à ce qu'avance l'UDC. On peut même se demander si, sans la Stratégie énergétique, la Suisse aurait à ce point développé l'énergie renouvelable.
Berne n'a pas assez anticipé
Ce que l'on peut légitimement reprocher à la Confédération, en revanche, c'est de ne pas avoir anticipé les risques potentiels. Même si Doris Leuthard martelait à l'époque qu'une ou deux centrales à gaz (plutôt problématiques en matière de climat) pourraient assurer la transition en cas de problèmes, celles-ci ne sont toujours pas en vigueur.
Si c'était le cas, cela ne règlerait pas forcément le problème: la Suisse pourrait-elle se faire livrer suffisamment de gaz, alors que la concurrence est forte pour en obtenir en Europe?
Depuis 2010, notre pays a dû importer environ 4 TWh pour passer l'hiver. Même si la consommation de courant en Suisse est stable malgré la croissance démographique, il va falloir trouver des solutions plutôt que ressasser les décisions passées.